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L’Ivoirien Amara Essy, missi dominici d’Alassane D. Ouattara à Alger (1/2)

Publié le samedi 7 juillet 2012 à 09h01min

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Son message a été clair et net ; et sans grandes nuances : « Ce qui se passe au Mali concerne aussi bien les pays de la Cédéao que ceux du Nord, et nous sommes persuadés que sans l’Algérie il n’y aura pas de solution à cette crise […] L’Algérie connaît mieux que nous ce problème. Il y a eu les accords d’Alger signés entre les Maliens et le président Bouteflika à ce sujet et nous allons présenter un rapport au président Ouattara contenant tous ces éléments pour trouver une solution à cette crise ».

L’homme qui s’exprime ainsi, à Alger, s’appelle Amara Essy. Ce n’est pas un inconnu, loin de là ; mais il faut bien reconnaître que, depuis qu’il ne s’adonne plus qu’au business (il est, à l’instar de tous ceux qui ont perdu le pouvoir politique, « consultant international »), on avait perdu sa trace du côté de gouvernements asiatiques fortunés mais guère réputés pour leurs pratiques démocratiques (notons cependant qu’Essy n’a pas la réputation d’être un partisan forcené de l’enrichissement sans cause).

Voilà donc Amara Essy qui reprend officiellement du service, pour le compte d’Alassane D. Ouattara, cette fois. Après avoir servi Félix Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié et le général Robert Gueï. Le déplacement d’Essy à Alger ne saurait étonner. Son parcours diplomatique est particulièrement éloquent et il a noué avec les responsables politiques algériens une réelle proximité. C’est d’ailleurs cette proximité qui avait fait qu’il avait été envoyé à Alger par Gueï, le 22 janvier 2000, porteur d’un message destiné à Abdelaziz Bouteflika : Gueï, ne voulant pas être exclu du sommet de l’OUA, à Lomé, en juin 2000, entendait prendre l’engagement ferme auprès de Bouteflika, président en exercice de l’OUA, que le retour à l’ordre constitutionnel serait effectif, en Côte d’Ivoire, dès octobre 2000.

Essy venait de passer, quelques semaines auparavant, des jours difficiles. Arrivant de Londres à destination d’Abidjan par un vol British Airways dans la nuit de Noël 1999, son Boeing 777 avait été détourné sur Accra (Ghana) pour cause de coup d’Etat dans la capitale ivoirienne. Finalement, l’autorisation d’atterrir à Abidjan sera donnée alors que les soldats insurgés sont à la recherche de cette éminente personnalité du régime déchu. Les tirs d’armes automatiques vont retentir dans sa résidence et auront raison d’un… des nombreux paons qui ornent son jardin (dont certains ornaient la résidence du « Vieux »). Informé que sa famille est en danger, Essy décidera de se rendre au camp militaire d’Akouédo, à l’Est de la capitale, où les proches de Bédié étaient détenus. Parmi d’autres, il y avait là Paul Akoto Yao, Laurent Dona Fologo, Guy-Alain Gauze, Amadou Ouattara, Adama Nibi Coulibaly, etc. Essy se livrera aux soldats et passera trois jours à Akouédo.

Un homme s’était alors inquiété auprès du Comité de salut public (CSP) de ce qu’il advenait de lui. Un diplomate algérien, ancien journaliste à El Moudjahid : Abdelkader Messahel dit « Dadi ». Il était alors le représentant spécial de Bouteflika à l’OUA (après avoir été ambassadeur à Ouagadougou de 1987 à 1991). Aujourd’hui, Messahel est ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines à Alger et à ce titre préside la délégation algérienne lors des sommets de la Cédéao ; c’est l’incontournable « Monsieur Afrique » de Bouteflika ! Autant dire qu’Essy était bien placé pour prendre langue avec les responsables politiques algériens alors que la situation au Mali ne cesse de se détériorer.

D’une famille originaire de Kouassi-Datekro, dans le Nord-Est de la Côte d’Ivoire (non loin de Tanda qui se trouve sur la route Agnibilékrou/Bondoukou), Amara Essy est né le 20 décembre 1944 à Bouaké. Fils d’un commis de l’administration (animiste mais converti à l’islam parce que c’était la religion de son « tuteur »), Essy fera ses études en Côte d’Ivoire puis en France (où il sera accueilli par un oncle), à Rochefort-sur-Mer d’abord, à Loudun ensuite où il obtiendra son bachot. Inscrit à l’université de Poitiers, un accident de voiture va l’envoyer à l’hôpital et sa convalescence achevée, il préférera rejoindra Abidjan pour y poursuivre des études d’histoire. Il passera sa licence à Paris, s’engagera au Havre comme mousse sur un cargo pour une période de trois mois, voudra être conseiller juridique après avoir engagé des études de droit, fera un bref passage au cabinet du ministre de l’Education nationale à Abidjan, reviendra à Paris. Il obtiendra, par la suite, un DES de droit public et se formera à la diplomatie dans le cadre de la Dotation Carnegie pour la paix internationale*.

Dès 1970, il rejoindra la diplomatie ivoirienne de manière quelque peu informelle et sera en poste au Brésil pendant trois ans ; de quoi satisfaire cet amateur (modéré) de football, de samba et de diversité culturelle (musulman pratiquant, il est marié à une catholique) qui, désormais, parle couramment le portugais. Mais c’est à Genève et à New York, dans le cadre des Nations unies, qu’il se fera remarquer ; il passera, au total, plus de quatorze ans à New York (et plus de vingt ans près des Nations unies), ce qui en fait un expert du multilatéralisme. Il était représentant permanent de la Côte d’Ivoire auprès des Nations unies (il avait même présidé le Conseil de sécurité en janvier 1990) quand il sera appelé au portefeuille de ministre des Affaires étrangères dans le premier gouvernement d’Alassane D. Ouattara (qui venait d’être nommé premier ministre). Nous sommes le 30 novembre 1990. Ils sont dix-neuf ministres (dont deux ministres délégués auprès du Premier ministre) chargés de remettre la Côte d’Ivoire sur les rails sous la conduite d’ADO. A ce poste, Essy remplaçait Siméon Aké en place depuis… 1977.

Quand, à la suite de la mort de Félix Houphouët-Boigny, Bédié va s’installer à la présidence, Essy conservera la main sur les Affaires étrangères. Au lendemain des obsèques du « Vieux » et de la dévaluation du franc CFA, il va organiser la visite officielle de Bédié en France (11-15 juillet 1994) ; et le 20 septembre 1994, il sera élu président de l’Assemblée générale des Nations unies. Un événement en Afrique noire francophone. Et l’occasion pour lui de citer Albert Camus : « Alors qu’ils pouvaient tout, ils ont osé si peu… » ; ce message s’adressant non pas aux Ivoiriens mais à la « communauté internationale » dans un contexte délicat : ex-Yougoslavie, Rwanda. « N’a-t-on pas trop donné l’impression d’agir en fonction d’intérêts particuliers là où l’intérêt général, celui de la communauté des Nations, commandait des réponses apportées sans arrière-pensées ? », s’interrogera Essy à tribune des Nations unies.

En 1996, il sera candidat à la succession de l’Egyptien Boutros Boutros-Ghali au secrétariat général de l’ONU ; mais c’est le Ghanéen Kofi Annan qui, finalement, l’emportera. Le 11 mars 1997, après un sommet des pays du Conseil de l’Entente, à Yamoussoukro, la Côte d’Ivoire présentera la candidature d’Amara Essy au poste de secrétaire de l’OUA occupé alors par le Tanzanien Salim Ahmed Salim ; mai, au dernier moment, Bédié retirera son soutien à sa candidature. Il faudra donc attendre le 9 juillet 2001 pour qu’Essy lui succède à la tête de l’organisation panafricaine. Dans un contexte particulier. Comme le disait alors, avec humour, Omar Bongo Ondimba, Essy était, cette fois-là, le seul candidat à pointer au chômage. La Côte d’Ivoire, près de deux ans après le coup d’Etat qui a renversé Bédié, était déjà en crise. Qu’Essy, qui a servi les chefs du PDCI toute sa vie, soit soutenu, dans sa candidature, par Laurent Gbagbo, était déjà une victoire. C’est aussi que l’OUA cédait la place à l’UA, l’Union africaine.

* Carnegie Endowment for International Peace, modèle de « diplomatie philanthropique », a été créé par le magnat de l’acier (sa compagnie, numéro un mondial du fer et de l’acier, deviendra par la suite US Steel Corp.), Andrew Carnegie, en 1910. Il s’agissait de développer, au temps du capitalisme triomphant, une expertise intellectuelle sur les questions du droit international alors encore embryonnaire afin de mettre la guerre « hors-la-loi ». Groupe de lobbying, son idéologie était celle d’une nation qui ambitionnait de devenir la première puissance économique mondiale (ce qu’elle n’était pas à la veille de la Première guerre mondiale) : la paix, la démocratie et le marché !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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