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Berlin a reçu avec intérêt et considération le président du Faso, Blaise Compaoré (3/3)

Publié le mercredi 27 juin 2012 à 09h12min

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La 17ème conférence internationale de Berlin a été ouverte, le 14 juin 2012, par le président du parlement allemand, le Bundestag, le Prof. Dr. Norbert Lammert, en présence du président du Faso. Lammert est docteur en sciences sociales, enseignant, député de la CDU (démocratie chrétienne – Lammert est catholique) depuis 1980, président du Bundestag depuis le 18 octobre 2005, vice-président de la fondation Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS) depuis mars 2001. Le thème de cette conférence a été : « Notre responsabilité devant Dieu et les Hommes pour la promotion de la paix et la solidarité entre les peuples ».

On imagine mal, en France, une telle problématique exposée dans un cadre politique aussi « ouvert » que le parlement, en présence du gotha politique national. Mais c’est là le résultat non seulement d’une façon d’être des responsables politiques allemands mais plus encore d’un formidable lobbying mené par certaines agences spécialisées ; je vais y revenir. Il n’est pas certain que Compaoré ait été à l’aise pour traiter de cette problématique (taillée sur mesure pour son ancien premier ministre, Tertius Zongo). « Promotion de la paix et solidarité entre les peuples », pas de problème ; c’est le fonds de commerce de la République du Faso. « Responsabilité devant Dieu et les hommes », c’est une autre affaire : si le Burkina Faso est largement multiconfessionnel, la question de la religion n’est pas – pour l’instant – une préoccupation politique même si, avec l’accession de Tertius Zongo à la primature (2007 à 2011), Dieu a fait subitement irruption dans le discours gouvernemental.

Compaoré s’est donc contenté de plaquer sur le savoir-faire burkinabè en matière de paix et de solidarité quelques références religieuses (Journée nationale du Pardon, place des responsables religieux dans la « transition démocratique » des années 1990, etc.) sans jamais aborder la question de fond : celle de « la responsabilité devant Dieu et les hommes » qui serait la nôtre. Car, bien évidemment, la « promotion de la paix et la solidarité entre les peuples » interpelle non seulement les responsables et les élites politiques mais l’ensemble de la société. Je dirais même tout autant la « société civile » que la classe politique dès lors que la nature humaine est faite bien plus d’affrontement que de conciliation ; et que les Etats se sont construits généralement sur l’affrontement entre nations (l’Allemagne en est l’expression la plus aboutie).

Ainsi donc, selon Compaoré, les fondements de « l’édification d’un monde de paix et de solidarité » seraient, selon « une approche holistique », « la culture de la prévention des conflits et de la préservation de la paix dans notre comportement quotidien d’homme et de décideur ; le renforcement de la connaissance, de l’acceptation de l’autre, de l’esprit de tolérance et du respect de la dignité humaine ; la promotion d’une gouvernance économique et politique mondiale inclusive, juste et équitable ». Considérant que nous traversons une « crise de civilisation » qui serait la « crise de la modernité », Compaoré a appelé à la construction « de nouveaux modèles sociaux pacifiques organisés autour de : l’élévation de la responsabilité des leaders politiques, des chefs religieux et des peuples dans la promotion de la paix ; la réalisation de nouvelles solidarités par le biais de la bonne gouvernance ; la multiplication des actions et pensées en faveur de la paix et de la solidarité au niveau international ». Pas de quoi bouleverser les fondements socio-religieux du « pays des hommes intègres ».

Il faut resituer la thématique de cette rencontre internationale de Berlin dans son contexte. Elle fait spécifiquement référence au préambule de la Constitution allemande de 1949 (fondation de la RFA) qui commence ainsi : « Conscient de sa responsabilité devant Dieu et devant les hommes […], le peuple allemand s’est donné la présente loi fondamentale en vertu de son pouvoir constituant ». L’Allemagne n’est pas une exception en Europe du Nord mais se trouve en pointe (avec les Polonais) dans cette démarche religieuse. Ses responsables politiques (Helmut Kohl en tête) s’étaient d’ailleurs prononcés en faveur d’une référence, dans le projet de Constitution européenne, non seulement aux valeurs chrétiennes sur lesquelles se serait fondée l’Europe mais à Dieu. Un mélange des genres entre politique et croyance qui tend à se structurer afin d’investir, également, le domaine du business.

La conférence internationale de Berlin, à laquelle vient de participer Blaise Compaoré, a été co-organisée par la Fondation pour les valeurs fondamentales et l’entente entre les peuples. Une association créée en 1984 dont l’objectif serait de « promouvoir un esprit international de tolérance politique et culturelle, d’entente entre les peuples fondée sur la religion et l’aide au développement ». Son initiateur, qui a été reçu, à Berlin, par le président du Faso, n’est autre que Rudolf Decker. Impressionné lors d’un séjour à Washington, en 1979, par le « Prayer Breakfast » né aux Etats-Unis dans l’entre-deux-guerres, formidable lobby qui rassemble, au nom de Dieu, hommes politiques et hommes d’affaires (et auquel aucun chef d’Etat US, à commencer par le dernier en date, Barack Obama, ne refuse de participer), Decker a « franchisé » la formule en Afrique sur des terres propices à cet enracinement. Né à Böblingen, à une vingtaine de kilomètres de Stuttgart, septuagénaire, Decker, entrepreneur avisé proche de la CDU, revendique tout autant de voyages en Afrique qu’il a passé d’années sur terre. Il a consacré deux ouvrages à ces pérégrinations politico-évangéliques au cours desquelles il se présente comme « envoyé par Dieu ». Il aurait été au contact de Mobutu Sese Seko (Zaïre), tout naturellement adepte du « Prayer Breakfast » dès lors qu’il était entre les mains de « communicants » US tels que Van Kloberg & Associates, Ltd - Omar Hassan Ahmed Al-Bachir et John Garang (Soudan), Yoweri Kaguta Museveni (Ouganda), Siad Barré (Somalie) – la Somalie a été son premier voyage en Afrique – Antoine Nduwayo (premier ministre du Burundi en 1995)… Mais Decker est surtout connu pour ses « interventions » dans le dossier rwandais.

Ayant été au contact avec Juvénal Renzaho, ambassadeur de Kigali en Allemagne avant d’être nommé conseiller du président rwandais, Decker parviendra à entrer en relation avec Juvénal Habyarimana, le chef de l’Etat. Le 1er octobre 1990, depuis l’Ouganda de Museveni, le FPR de Paul Kagamé va mener une attaque contre le Nord du Rwanda. C’est alors que Decker débarque à Kigali. Il va s’efforcer, dit-on, de jouer les missi dominici entre Museveni et Habyarimana, parvenant à convaincre ce dernier de « la bonne volonté » de son puissant voisin du Nord, sponsor de Kagamé. Selon certains commentateurs, Decker avait pour mission « d’endormir la vigilance du président Habyarimana qui, jusqu’à la dernière minute, a toujours cru en la bonne volonté du président Museveni de faire la paix en usant de son influence sur le tandem FPR/NRA ». Decker aurait, par la suite, agi en étroite connexion avec le diplomate US, David P. Rawson (ambassadeur à Kigali de fin 1993 à fin1995 ; il avait été chargé d’affaires ad interim en Somalie, au temps de Siad Barré, en 1986-1987 ; il sera par la suite ambassadeur au Mali de 1995 à 1999), représentant du « Prayer Breakfast Network ».

Le 6 avril 1994, le crash de l’avion dans lequel se trouvait notamment Habyarimana va donner le signal du génocide dans lequel vont périr des centaines de milliers de Rwandais. Les tenants de la thèse du complot Washington-Kampala visant à installer Kagamé à Kigali présentent Decker et le « Prayer Breakfast Network » comme des acteurs de premier plan de ce complot. D’autant plus que Kagamé jouerait désormais à fond la carte de ce lobby envisageant de fonder une « église patriotique » ; d’où les exactions menées contre la hiérarchie catholique dans ce pays.
Les voies de Dieu sont décidemment de plus en plus impénétrables. Même si elles conduisent, trop souvent, du côté du pouvoir des hommes… !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 28 juin 2012 à 10:08 En réponse à : Berlin a reçu avec intérêt et considération le président du Faso, Blaise Compaoré (3/3)

    Pourtant Africa Intelligence (en ligne) dit ce qui suit :

    "BURKINA FASO Angela Merkel zappe Blaise à Berlin
    Contrairement à Faure Gnassingbé en juin 2009, le président burkinabè n’a pas eu droit aux honneurs de la chancelière allemande Angela Merkel, toujours un peu défiante envers les chefs d’Etat africains inoxydables"...

  • Le 28 juin 2012 à 19:42, par Kinte En réponse à : Berlin a reçu avec intérêt et considération le président du Faso, Blaise Compaoré (3/3)

    IL FAUT DIRE PLUTOT SANS CONSIDERATION Ouiiiiii !
    La Présidence en Allemagne est honorifique. Angela Merkel, le Vrai Chef, a bel et bien zappé le PF. Les occidentaux commencent à se lasser des Présidents qui s’éternisent au pouvoir. Le message est clair. Et ça va continuer..
    Le PF s’est retrouvé dans une réunion où l’on se convainc que c’est "Dieu qui donne le pouvoir" .. Gravissisme... Je pensais que c’était le Peuple : Démocratie.. Est ce un signe des temps ? Les burkinabè doivent méditer sérieusement sur cet acte anodin...lorsque on commence à se convaincre que c’est Dieu qui donne le pouvoir !! Prions alors vraiment sérieusement car demain risque d’être catastrophique...douloureux...

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