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La mauvaise image que donnent les médias de la Guinée équatoriale pèse sur ses ancrages diplomatiques (4/6)

Publié le jeudi 21 juin 2012 à 23h25min

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La Guinée équatoriale dérange. Trop riche, trop vite. Injustement trop riche disent même certains. Les pays du golfe de Guinée qui sont producteurs de pétrole (chronologiquement : Angola, Gabon, Nigeria, Congo, Cameroun) l’ont été quasiment tous, significativement, dans les deux décennies 1960 et 1970. Même si l’exploitation pétrolière y avait été engagée bien plus auparavant (à la fin de la première décennie du XXème siècle pour l’Angola !).

Et les évolutions de ces pays n’ont pas été des modèles : guerre du Biafra au Nigeria ; guerre civile MPLA/UNITA en Angola ; révolution marxiste-léniniste et guerre civile au Congo ; corruption « pétrolière » au Gabon ; recettes pétrolières hors budget au Cameroun… Du même coup, « l’effet pétrole » n’y a pas été réellement perçu par les observateurs (et encore moins par les populations). Ni Lagos, ni Libreville, ni Luanda, ni Brazzaville, ni Yaoundé n’ont changé de physionomie, en l’espace de quelques années, du fait de l’exploitation pétrolière.

En Guinée équatoriale, « l’effet pétrole » est perceptible dans tout le pays. D’abord parce qu’il n’y avait aucune infrastructure économique et sociale auparavant ; ensuite parce que sa superficie (28.000 km²) ne saurait être comparable à celle des autres pays du golfe de Guinée (le plus petit de ces pays est le Gabon avec une superficie qui est près de dix fois celle de la Guinée équatoriale ; et je ne parle pas du Nigeria qui frôle le million de km² et de l’Angola qui dépasse 1,2 million de km² !). C’est le 20 mars 1995 que Jeanne Buchanan, contact d’United Meridian Corporation (UMC) à Malabo, a annoncé la découverte d’un gisement de pétrole significatif sur l’offshore Zafiro-1. La Guinée équatoriale ne produisait alors qu’un peu de gaz et de condensat sur l’offshore Alba et personne ne pensait que ce pays méconnu de tous (et souvent méprisé par ceux qui le connaissaient) allait devenir une puissance pétrolière sans commune mesure avec ce qu’ont été ses partenaires francophones de la CEMAC. La Guinée équatoriale, avec ses 28.000 km² et son million d’habitants, joue désormais dans la cour des grands : Angola et Nigeria.

Depuis, la Guinée équatoriale est devenue méconnaissable. Et les rapports qu’elle entretient avec l’Afrique et le Reste du Monde ont pris une nouvelle dimension. Malabo pouvait, à juste titre, penser que l’Afrique et le Reste du Monde allaient se réjouir d’assister à son « émergence » sur la scène africaine et mondiale, devenant un pays pouvant avoir des ambitions pour lui-même, pour la région et pour le continent. Il pouvait penser aussi que ses partenaires traditionnels s’enthousiasmeraient pour des programmes de développement dont ils seraient les premiers bénéficiaires en termes de contrats. Rien de tout cela. La richesse de la Guinée équatoriale a été jugée outrecuidante. Elle l’était ; et elle le demeure.

Mais il aurait sans doute mieux valu être partenaire d’un pays riche et en bonne santé que d’un pays pauvre et malade. Sans pour autant jouer le jeu de la compromission, de la corruption, de la délation mais celui d’un partenariat exigeant y compris en matière d’information et de communication. En rejetant globalement la Guinée équatoriale dans les poubelles de l’Histoire du capitalisme pétrolier (qui est une des pages les plus sombres du capitalisme « occidental »), on permet aux aventuriers de tous poils de s’imposer comme des interlocuteurs crédibles. Quand ils ne sont que des profiteurs.

Hormis l’information officielle – succincte – ou celle « clientèliste » de quelques médias « panafricains » que personne n’achète et que personne, du même coup, ne lit, il faut reconnaître que l’information sur la Guinée équatoriale se limite à l’information sur le chef de l’Etat et sa famille. Exceptionnellement, au début de cette année, CAN oblige, l’information footballistique a été l’occasion, pour des journalistes africains, de découvrir la vie réelle de leurs compatriotes expatriés dans cet eldorado du golfe de Guinée ; eldorado qui, trop souvent, pour les non-nationaux, tangente le premier cercle de l’enfer (cf. LDD Guinée équatoriale 022/Lundi 13 février 2012).

Si la liberté de la presse est, en Guinée équatoriale, reconnue et garantie par la Constitution, la classe politique – à quelques rares exceptions, à commencer par le chef de l’Etat - est peu encline à communiquer et encore moins à informer ; n’évoquons même pas la possibilité de polémiquer sur des sujets sensibles. Pas seulement politiques, mais économiques et sociaux. Le président de la République est conscient du déficit d’information qui existe dans son pays et du mauvais traitement médiatique qui en résulte. Il l’a dit, récemment, à l’occasion de la Journée de la liberté de la presse et d’une conférence de presse qu’il a accordée aux médias nationaux et internationaux. « Je souhaiterais qu’il y ait un journal dans ce pays, mais pour cela il faut des investissements privés. Le gouvernement peut aider, oui ; par exemple, c’est vrai qu’il faut une imprimerie pour aider les médias à imprimer moins cher. Le gouvernement étudie actuellement ce projet, mais le problème principal se trouve chez les professionnels, qui doivent travailler pour l’obtenir, et chez les investisseurs qui doivent développer un projet privé. Le manque de presse fait que les gens de Guinée équatoriale ne s’adaptent pas finalement à la lecture ». Il a dit encore au sujet du traitement négatif que les médias « occidentaux » réservent à son pays : « Notre pays a énormément changé dans les dernières années, mais beaucoup de médias ne veulent pas voir la différence entre le passé et le présent. Mais il est également nécessaire que nous-mêmes divulguions cela pour que la presse internationale connaisse ce que nous faisons dans ce pays ».

Il y a quelques années, dans Le Figaro Magazine (9 décembre 2006), Olivier Michel signait un papier sur les « dictateurs » et établissait un « recensement des vrais tyrans ». Il citait Fidel Castro, King Jon-il, Sparmourad Niazov, Than Shwe, Robert Mugabe, Augusto Pinochet, Hugo Chavez, etc. Mais aussi « Teodoro Obiang Nguema, président de la Guinée équatoriale, [qui] fait figure de chef comptable. Au pouvoir depuis 1979, il aurait détourné 700 millions de dollars, déposés dans une banque américaine ». La question que je posais alors était simple : Olivier Michel sait-il, au moins, où se trouve la Guinée équatoriale et que sait-il du président Obiang Nguema ? Je pariais alors, sans risque, qu’il ne savait rien ni de l’un ni de l’autre. Ce qui ne veut pas dire que l’information soit sans fondement ; sauf qu’elle ne peut pas être, dès lors, crédibilisée. Ainsi va la communication dans le monde « occidental ».

Les médias ne visent pas uniquement à informer, ils véhiculent, également, des clichés. Qui ont la vie dure. Et dans laquelle les « journalistes », par facilité, s’engouffrent sans réfléchir. Mais la tâche de ceux qui véhiculent ces clichés (et le fait de dénoncer ces clichés n’est pas pour autant une absolution accordée au mode de production politique en Guinée équatoriale), à longueur d’année, est d’autant plus facile que les journalistes qui souhaiteraient s’informer honnêtement sur le pays et ses réalités politiques, économiques, sociales, culturelles, n’ont généralement accès à aucune source d’information « humaine ».

La Guinée équatoriale, pour des raisons historiques principalement (la colonisation espagnole, une décolonisation douloureuse, la nature du régime de Macias Nguema…) n’a pas développé une culture de la communication et de l’information. Et ce ne sont pas les pages de « messages » publiées dans la presse panafricaine ou les « numéros spéciaux » qui peuvent changer la donne. Bien au contraire. Elles laissent penser que ce pays est obligé de payer pour que l’on parle de lui ! Les années passent et les problèmes demeurent. Sauf à espérer que l’arrivée d’Agustin Nsé Nfumu au ministère de l’Information et d’Agapito Mba Mokuy aux Affaires étrangères, deux hommes qui ont une expérience « différente » - tout particulièrement à l’international - permette de changer la donne actuellement en vigueur.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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