LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

La mauvaise image que donnent les médias de la Guinée équatoriale pèse sur ses ancrages diplomatiques (2/6)

Publié le mardi 19 juin 2012 à 22h00min

PARTAGER :                          

Au début des années 1980, la Guinée équatoriale, pays hispanophone, a choisi de s’ancrer formellement dans l’univers francophone : politique, économique, culturel, social. « C’était un besoin, me dira, en 1995, le ministre Agustin Nse Nfumu. Il ne s’agissait pas seulement de s’intégrer dans une zone économique ou de privilégier des relations diplomatiques avec des pays francophones, mais de prendre en compte une réalité palpable. La Guinée équatoriale n’a des frontières qu’avec des pays francophones, le Cameroun et le Gabon. Et nos populations, aux frontières, sont bilingues. Ce sont les mêmes familles qui habitent de part et d’autre de la frontière. Mettre en place une structure qui prenne en compte la réalité francophone d’une partie de la population était donc une nécessité ».

On aurait pu penser, aussi, que de s’ancrer dans la francophonie était également une façon pour Malabo de régler ses problèmes avec Madrid, les relations entre l’Espagne et la Guinée équatoriale ayant toujours été tendues. « Ce sentiment ne peut exister que du côté de l’ancienne métropole, m’avait rétorqué Nse Nfumu. A aucun moment, cela n’a été un positionnement de la Guinée équatoriale. Il ne s’agissait pas de nous démarquer de l’Espagne, bien au contraire, mais de répondre à une nécessité. Si le gouvernement était resté en marge de cette réalité, cela aurait créé un vide quelque part. Quand les populations commercent avec les Camerounais ou les Gabonais, ces échanges se font en français, ils deviennent naturellement francophones. C’est à cette réalité que nous avons voulu répondre. Et puis, il y avait l’aspect « coopération ».

A travers l’ACCT [devenue aujourd’hui, en quelque sorte, l’OIF], nous accédions à une nouvelle forme de coopération qui n’est pas du ressort du ministère des Affaires étrangères. La francophonie a ses propres institutions et puisqu’elles existent, il nous fallait les intégrer ; c’était une force pour nous dès lors que c’était l’occasion de diversifier nos partenaires et nos programmes d’action. C’est grâce à l’ACCT que nous avons pu faire connaître les auteurs équato-guinéens en Afrique centrale ».

Le président Obiang Nguema Mbasogo ne me tenait pas, bien sûr, un autre discours que celui-là. Un peu plus radical sans doute vis-à-vis de Madrid : un chef d’Etat peut se permettre des prises de position diplomatiques qui ne sont pas l’apanage des ministres. « Nous étions un pays totalement méconnu, me dira-t-il lors d’un de nos entretiens en mars 1995. A la suite de notre entrée dans la zone franc, dans l’UDEAC, nous sommes devenu des membres à part entière de la famille francophone. Et on a commencé à parler de nous. C’était la seule façon, pour notre pays, de rompre avec les tabous, c’est-à-dire cette capacité qu’avait l’Espagne d’occulter la Guinée équatoriale pour qu’elle ne soit pas visible sur la carte du monde. Nous avons commencé par nous faire connaître en Afrique puis en Europe grâce à la France. C’est ensuite l’Amérique latine qui a pris conscience de notre existence alors que l’Espagne s’était toujours efforcée de nier notre hispanité dès lors qu’il s’agissait de s’intégrer à des ensembles collectifs. De l’Amérique latine nous sommes passés à l’Amérique du Nord et les Américains installés au Nigeria ont, du même coup, découvert la Guinée équatoriale à quelques encablures seulement de la côte nigériane ».

Je ne suis pas certain que la France et la francophonie aient pleinement perçu l’intérêt qu’il y avait à aider la Guinée équatoriale à sortir des ténèbres dans lesquels la colonisation et la décolonisation l’avaient plongée. Pas assez de dialogue ; trop de condescendance. La Guinée équatoriale n’est pas un pays comme un autre. Ce n’est pas le Cameroun, le Gabon, le Congo, la RCA… Ce n’est pas le même passé ; ce n’est pas le même présent. Obiang Nguema Mbasogo ajouterait sans doute : « ce n’est pas le même avenir » lui qui a une vision plus opérationnelle de ce qu’il doit faire de ses ressources en pétrole et en gaz (Malabo a entrepris la liquéfaction de son gaz pour une meilleure optimisation en vue de son exportation et l’utilise également dans des centrales à gaz à cycle combiné pour la production d’électricité ; des projets toujours évoqués par les autres pays producteurs du golfe de Guinée mais jamais réalisés !). Les eldorado ne sont jamais les paradis que les légendes nous content ; et la Guinée équatoriale n’échappe pas à la règle. C’est qu’il est plus facile de bâtir une ville nouvelle (en l’occurrence Sipopo) que de bâtir un homme nouveau. Le pays est indépendant depuis trois décennies ; il a subi douze années d’une des plus rudes dictatures qu’ait connues le continent africain ; il a émergé sur la scène africaine et internationale depuis à peine plus de quinze ans.

En quinze ans, il a pu transformer sa physionomie du tout au tout mais il n’a pu mener les enfants nés alors, pour les mieux lotis, que jusqu’à la fin du collège. Et ceux qui entraient alors au collège – là encore les mieux lotis – atteignent tout juste dans l’âge d’homme, celui où on assume enfin des responsabilités familiales et sociales. C’est dire que le pays souffre d’un déficit « humain » considérable et que ce n’est pas en une seule génération qu’il peut être comblé. D’où, bien évidemment, les problèmes auxquels le pays est confronté. Trop d’argent, trop vite pour un peuple qui n’a pas eu, dans le même temps, la possibilité d’évoluer socialement à un rythme… humain !

Nse Nfumu a été parfaitement conscient des contradictions qui sont le fondement de la société équato-guinéenne. « Notre problème majeur, m’avait-il dit déjà en 1995, c’est la nécessaire évolution des mentalités. Nous sommes le seul pays hispanophone d’Afrique centrale mais le monde francophone est omniprésent dans notre environnement. Par ailleurs, à l’instar de la majorité des autres peuples de la région, nous sommes des Bantou. Et cette culture des Bantou est encore très proche ; nous sommes bien plus au contact avec la culture de nos origines, de ce qui est le fondement de notre être, que d’autres peuples. Et cette culture peut être, parfois, en contradiction avec les courants modernes qui irriguent notre société. Il faut nous rapprocher les uns des autres sans que les uns fassent violence aux autres. Nous sommes soumis à une hispanité et à une francophonie qui nous ont été apportées par d’autres et sans perdre de vue nos origines – bien au contraire, il nous faut les consolider – il faut réussir ce mariage culturel qui correspond à la réalité du terrain ».

Ce discours prend une ampleur toute particulière chez Nse Nfumu. Parce qu’il n’est pas qu’un homme politique ; c’est aussi un intellectuel auquel on doit plusieurs ouvrages historiques. Et qu’après avoir été secrétaire général du PDGE, membre de son conseil national et de son secrétariat exécutif, après avoir été le conseiller diplomatique du chef de l’Etat et son représentant personnel au conseil permanent de la Francophonie au sein de l’OIF, être revenu au gouvernement en tant que ministre d’Etat, ministre de l’Information, du Tourisme et de la Culture (11 février 2003 dans le gouvernement de Candido Muatetema Rivas), être élu député, il s’est retrouvé à Londres, en février 2005, en tant qu’ambassadeur.

Une fois encore, l’apprentissage d’une autre culture. Il a quitté la Grande-Bretagne voici quelques semaines pour céder la place à Mari Cruz Evuna Andeme, la fille d’Alejandro Evuna Owono Asangono, ministre d’Etat de la présidence de la République chargé des missions. Ami de jeunesse du président, homme de confiance du chef de l’Etat, Alejandro Evuna est la clé de voute de la formation gouvernementale (qui, en Guinée équatoriale, est bien plus que cela). Quant à Agustin Nse Nfumu, il a rejoint, le 22 mai 2012, le gouvernement de Vincenté Ehaté Tomi au portefeuille de ministre de l’Information, de la Presse et de la Radio avec, sous son autorité, un ministre délégué et un vice-ministre.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique