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Bernard Squarcini, « Le Squale », ayant été harponné, le « renseignement » français entreprend sa mutation (1/3)

Publié le lundi 4 juin 2012 à 21h55min

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« Si, aujourd’hui, on perd la bataille de l’information et du renseignement, on perd la guerre. Le renseignement est indispensable aussi bien pour la décision politique que pour la manœuvre militaire. C’est le gage de la liberté d’action ». Les mots de Jean-Claude Mallet, aujourd’hui conseiller spécial du ministre français de la Défense (cf. LDD France 0603/Jeudi 24 mai 2012) sont l’expression d’une préoccupation qui est aussi celle de l’Elysée et de Matignon : le « renseignement » doit être une priorité.

Mais une conjoncture diplomatique, politique et sociale particulièrement délicate, le « renseignement » doit être aussi « républicain ». Il y a quelques mois, en janvier 2012, Olivia Recasens, Didier Hassoux et Christophe Labbé ont publié un ouvrage remarqué sur la gestion du renseignement français par le patron de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), Bernard Squacini, dont le surnom est « Le Squale ». Son titre annonçait la couleur : « L’Espion du président. Au cœur de la police politique de Sarkozy » (éditions Robert Laffont – Paris, 2012). Et le commentaire en quatrième de couverture était tout autant explicite : « Jamais un service de renseignement n’aura été autant instrumentalisé au profit d’un seul homme, Nicolas Sarkozy ».

La proximité entre Squarcini et Sarkozy n’a jamais été un mystère. Quant, début 2004, alors qu’il était le numéro deux des Renseignements généraux (RG) depuis dix ans et qu’il pouvait prétendre à sa direction (confiée alors à Pascal Mailhos), Squarcini s’était retrouvé préfet délégué à Marseille. « Les marques d’estime appuyées que lui dispensait Nicolas Sarkozy depuis des mois lui ont été fatales du côté de l’Elysée » (où se trouvait alors Jacques Chirac) écrira Piotr Smolar dans Le Monde (daté du 26 février 2004). Il lui faudra attendre l’arrivée de Sarkozy à l’Elysée pour être nommé, le mercredi 27 juin 2007, à la tête de la DST. « Un des responsables politiques les plus proches de Nicolas Sarkozy », « L’agent du président », « L’homme de confiance de Nicolas Sarkozy, pilier de sa campagne présidentielle », « Le couteau suisse du président », « Officier traitant de la Sarkozie », « Homme lige de l’Elysée »…, la presse s’en est donnée, depuis, à cœur joie ; il est vrai que « pour Squarcini, le journaliste est plus que jamais l’ennemi de l’Elysée, donc sa bête noire à lui aussi »*. Squarcini et Sarkozy s’étaient rapprochés en juillet 2003 quand Yvan Colonna, assassin présumé du préfet Erignac, a été arrêté par… Squarcini (qui est chez lui en Corse, pour des raisons familiales et pour y avoir été directeur adjoint des RG) et que Sarkozy, ministre de l’Intérieur, a surfé médiatiquement sur cette capture.

Le 1er juillet 2008, Squarcini s’est retrouvé, par la grâce de Sarkozy, à la tête de la nouvelle structure du renseignement français : la DCRI. 4.500 fonctionnaires qui viennent de la DST et de l’ancienne direction centrale des renseignements généraux (DCRG) ! On évoquera alors un « FBI à la française », « une structure d’une puissance sans précédent ». Une opération à grand spectacle (avec une installation à Levallois-Perret, dans le fief des amis de Sarkozy : les Balkany, commune limitrophe de Neuilly-sur-Seine, fief de Sarkozy). Qui sera épinglée, en 2010, par la Cour des comptes qui évoquera une « fâcheuse impréparation » dans sa mise en place. Mais c’est la personnalité de Squarcini et ses connexions avec certains milieux, corses et africains – en l’occurrence ceux qui gèrent les casinos, le jeu et le PMU** –, qui seront épinglées par la presse. Sa mise en cause dans l’espionnage de journalistes sera la cerise sur le gâteau.

L’intérêt du livre de Recasens, Hassoux, Labbé (qui ont beaucoup fréquenté Squarcini) est qu’il fait parler (anonymement) des responsables et des agents de la DCRI sur des affaires qui ont, déjà, été révélées par la presse mais jamais commentées par ses « agents ». Ces rencontres, confidentielles, se font après un luxe de précautions qui évoquent bien plus l’époque de la « guerre froide » que les pratiques (théoriques) d’une République française de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Si certaines opérations de la DCRI révélées par la presse font désordre et positionnent effectivement Squarcini comme « L’Espion du président », le patron, quant à lui, se réfugie derrière le « secret-défense » (étendu à toutes les activités de la DCRI) et sa lutte contre le terrorisme. Squarcini n’a cessé d’instrumentaliser ce risque terroriste : « Dormez bonnes gens, Squarcini veille ». « Nous déjouons deux attentats par an » (entretien avec Christophe Cornevin et Jean-Marie Leclerc – Le Figaro, 30 juin 2010). « La menace n’a jamais été aussi grande » (entretien avec Stéphane Joahny et Laurent Valdiguié – Le Journal du Dimanche, 12 septembre 2010). « La France est ciblée depuis plusieurs mois » (entretien avec Patricia Tourancheau – Libération, 6 mai 2011). « La France est la cible n° 2 d’Al-Qaida » (entretien avec Yves Bordenave et Rémy Ourdan – Le Monde du 7 mai 2011). Ce qui n’a pas empêché la DCRI de se retrouver à côté de la plaque dans « l’affaire de Toulouse ». Mais Claude Silberzahn, qui a été le patron de la DGSE de 1989 à 1993, remettra les pendules à l’heure dans Libération (22 février 2011) : « Une conduite de la France en aveugle en Tunisie et en Egypte, huit otages éparpillés quelque part entre le Moyen-Orient et l’Afrique, quatre otages morts en trois tentatives de récupération en Somalie, en Mauritanie et au Niger. Un bilan exécrable doit être dressé à la charge du couple services spéciaux et services de renseignement/pouvoir politique, et une question doit être posée : est-ce l’outil ou est-ce son usage qui est en cause ? ». Réponse de Silberzahn : « Jamais dans les dernières décennies, un bilan aussi négatif n’a été dressé pour ce qui a trait au domaine d’action des services spéciaux et de renseignement. Ici comme ailleurs, la réforme pour la réforme et nulle autre visée »***.
Dans ce contexte, les jours de Squarcini (par ailleurs mis en examen pour avoir examiné en 2010 les fadettes téléphoniques des journalistes du quotidien Le Monde qui enquêtaient sur « l’affaire Bettencourt ») étaient nécessairement comptés dès lors que la victoire de François Hollande à la présidentielle 2012 se profilait à l’horizon (une victoire que la direction de la DCRI a longtemps jugée improbable, étant obnubilée par Dominique Strauss-Kahn puis « l’affaire DSK »). Squarcini vient donc de se faire harponner par le président de la République, François Hollande, et le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, celui que la presse avait surnommé « le Sarko de gauche ». Bonne pêche pour les deux hommes : ils ramènent dans leurs filets, du même coup, le patron de la Direction générale de la police nationale (DGPN), Frédéric Péchenard, et le préfet de police de Paris, Michel Gaudin.

* Cf. « L’Espion du président », page 155. On peut citer aussi, des mêmes auteurs, pour évoquer l’obsession de Bernard Squarcini à traquer la presse, quelques autres jolies formules : « Je ne m’intéresse pas aux journalistes mais à leurs sources » ; « Il ne s’agit pas de chasser le rouge mais la carte de presse » (on imagine ce qu’il en est quand le titulaire de la carte de presse a la réputation d’être un « rouge » !). Ou encore ce commentaire viril de Squarcini à l’adresse d’un des auteurs : « Fais ton bouquin. S’il est bon, je te paie un coup à boire, sinon, je te pète le nez ».

** Un des proches collaborateurs de Squarcini, en charge des « opérations spéciales » était Paul-Antoine Tomi, un commissaire corse moins connu que son frère, Michel Tomi, habitué des juges d’instruction et des mises en examen, qui s’est illustré au sein des réseaux de Charles Pasqua (et du même coup des réseaux corses ou vice versa) et, plus encore, dans le petit monde des jeux et des casinos en Afrique avec le concours de sa fille : Marthe Mondoloni. Squarcini avait une connexion particulière avec le Gabon (où la DCRI a ouvert une agence à Libreville) où il se rendait régulièrement. Son fils s’y occupe, disait-il, de la gestion des parcs nationaux. Comme l’écrivent les auteurs de « L’Espion du président » : « Patron des services secrets, Bernard Squarcini est aussi l’homme des services rendus ».

*** Les auteurs de « L’Espion du président » font référence à ce texte de Silberzahn – qui leur a accordé un entretien – mais se trompent de support. Il s’agit bien de Libération et non du quotidien Le Monde.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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