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« Vaticangate 2012 ». Argent, sexe et conjuration. Le Saint-Siège, un Etat voyou comme un autre ? (2/2)

Publié le jeudi 31 mai 2012 à 02h09min

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Qui peut penser qu’il n’y a pas d’interférence entre la Cité du Vatican et la politique italienne ? Les relais d’influence catholiques en Italie sont légion. A gauche comme à droite. Sauf que la gauche est « sociale-démocrate » quand la droite est une ultra-droite souvent réactionnaire, parfois même fascisante.

La « doctrine sociale de l’Eglise » est le vecteur politique du Vatican au sein de la société italienne ; elle a pris une nouvelle coloration avec la dénonciation de la « dérive laïciste » dont Benoît XVI a fait son cheval de bataille. Alors que la société civile partout dans le monde évolue, l’Eglise radicalise son comportement social au nom de la « protection de la vie depuis la conception jusqu’à la mort » et de « la défense de la famille en tant qu’union fondée sur le mariage entre un homme et une femme ». Ajoutons à cela la « défense des valeurs de l’Occident » (qui a conduit le Vatican a vouloir faire inscrire une référence aux racines chrétiennes dans le projet de Constitution européenne).

En Italie, de plus en plus, la doctrine de Benoît XVI sert de fondement à l’action de tous ceux qui veulent créer un grand parti conservateur. Avec un réseau de 38.000 curés, 226 évêques et une flopée d’Italiens aux commandes du Saint-Siège, le Vatican, il est bien évident que, comme le déclarait Maurizio Bartolucci, représentant des démocrates de gauche (ex-communistes) en Italie : « Qui veut gouverner le pays ne peut le faire contre l’Eglise » (Le Figaro – 5 avril 2006). Aujourd’hui, compte tenu de l’évolution des conjonctures politiques en Europe, particulièrement en Italie, la question n’est plus de gouverner contre l’Eglise mais de permettre à l’Eglise de gouverner l’Italie. Même si selon l’adage, « des affaires italiennes, le Pape ne s’occupe pas » ; sauf quand elles impactent sur le devenir du Vatican en Italie, en Europe et dans le monde.

Camillo Ruini, vicaire du pape pour le diocèse de Rome de 1996 à 2007, a illustré cette étroite connexion entre le Vatican et Rome. Une connexion très directe depuis la disparition de la Démocratie chrétienne qui était la vitrine politique du Vatican en Italie. Quand Ruini a quitté ses fonctions, au printemps 2007, Benoît XVI l’a remercié « pour le dévouement avec lequel » il l’avait « introduit dans la réalité complexe de cette Eglise tant aimée ». Quant à Ruini, ce jour-là, au cours de la messe d’adieux célébrée en la basilique Saint-Jean-de-Latran à Rome, il avait jugé « essentiel » que les évêques se soustraient aux pressions de l’opinion publique et des médias (Ruini a été remplacé par Mgr Agostino Vallini, fait cardinal par Benoît XVI en 2006 ; il était alors préfet du Tribunal de la Signature apostolique, autrement dit chargé de l’application du droit, et s’illustrait par une ligne dure vis-à-vis des « divorcés-remariés »).

Le « Vaticangate » 2012 est donc à la croisée des chemins, si tant est qu’il est vrai que « tous les chemins mènent à Rome ». Il est à la confluence des luttes d’influence au sein de la curie romaine et de la classe politique italienne qui vit douloureusement la période post-Berlusconi. Dans ce régime a-démocratique qu’est l’Etat du Vatican*, la curie est devenue une bureaucratie. Et comme toute bureaucratie, elle est traversée de luttes pour le pouvoir qui n’ont rien à voir avec les fondamentaux de l’Eglise catholique. En 1971, dans « Le Nouveau peuple de Dieu », Joseph Ratzinger (dont personne n’imaginait alors qu’il serait pape quarante ans plus tard !) évoquait un « Etat centralisé » qui résultait de « l’amalgame » entre « la charge de Pierre et la tâche patriarcale qui fut dévolue à l’évêque de Rome pour toute la chrétienté latine ».

On notera que 1971, ce n’est que quelques années après la fin du concile Vatican II (1962-1965) mais aussi le début du schisme lefebvriste. Ce qui n’était qu’un épiphénomène (avec une société civile qui avait implosé dans le monde « occidental » et refusera dés lors de jouer le jeu social formaté par l’Eglise catholique) est devenu une tendance lourde au sein de l’Eglise. Que Benoît XVI ne cesse de renforcer jour après jour. Une Eglise catholique « réactionnaire » serait-elle une église plus en adéquation avec le dogme ; moins engagée dans le siècle ainsi que l’avait voulu Vatican II d’abord, Jean-Paul II ensuite ?

Quand le vendredi 15 septembre 2006, Benoît XVI avait intronisé son nouveau secrétaire d’Etat, en quelque sorte le Premier ministre de l’Etat du Vatican, le choix du cardinal Tarcisio Bertone était connu depuis plusieurs mois (Bertone en avait été informé par le pape dès décembre 2005). Benoît XVI avait pris son temps : 17 mois ! laissant ainsi au pouvoir le cardinal Angelo Sodano, en place depuis 1990. Ni diplomate, ni politique, Bertone avait d’emblée annoncé la couleur : il était là pour « accentuer la mission spirituelle de l’Eglise » et dira-t-il « éventuellement d’évaluer si tout ce qui existe doit être maintenu » ; il ajoutera qu’il serait « secrétaire de l’Eglise, plus que d’Etat ». Or, il faut le reconnaître, le Vatican ressemble à une usine à gaz. Le secrétaire d’Etat, Bertone, a la haute main sur le substitut pour les Affaires générales (en quelque sorte le cabinet du secrétaire d’Etat) d’une part et le secrétariat pour les Relations avec les Etats (en quelque sorte le ministère des Affaires étrangères). Mais aussi les 9 congrégations (en quelque sorte les ministères), les 12 conseillers pontificaux, les 3 tribunaux, les institutions rattachées au Saint-Siège (archives secrètes vaticanes, Académie pontificale…) et diverses structures.

Ce sont, au total, plus de 2.700 personnes qui travaillent au Vatican dont environ 160 sont des « cadres supérieurs ». La spécificité de l’Etat du Vatican c’est qu’il règne sur des structures « délocalisées » d’autant plus fortement structurées qu’elles sont, généralement, implantées de longue date. Il n’est pas d’exemple d’un Etat (sauf au temps de la colonisation) qui ait ainsi, sur un territoire étranger, mis en place une telle administration hiérarchisée et centralisée.

Quand Joseph Staline posait la question : « Le Vatican, combien de divisions ? », il savait de quoi il parlait, lui qui avait érigé un système bureaucratique en régime totalitaire et vaincu les forces armées hitlériennes non par sa puissance militaire mais grâce au sacrifice de sa population (18 millions de morts dont 7 millions de civils pendant la Deuxième guerre mondiale contre 298.000 morts – essentiellement des militaires - pour les Etats-Unis considérés comme les grands triomphateurs de cette guerre). La puissance vaticane n’est pas dans son armée, elle est dans son omniprésence bureaucratique à l’étranger, vecteur d’une idéologie que l’on qualifie de religion pour ce qui est du spirituel et de « doctrine sociale de l’Eglise » pour ce qui est du temporel.

Or cette structure bureaucratique n’échappe pas à ses contradictions. Au lendemain de son élection, Benoît XVI avait rappelé que « le pape n’est pas un souverain absolu. Son pouvoir n’est pas au-dessus, mais au service de la parole de Dieu ». C’était oublier que les appareils bureaucratiques, stalinien ou papiste, finissent par échapper à leurs instigateurs. Le Vatican paye sans doute aujourd’hui, sans que l’on sache à l’heure qu’il est la motivation des « comploteurs » (ni qui ils sont), cette volonté d’imposer une idéologie – la lutte contre ce que Benoît XVI appelle les « dérives laïcistes » - sans se soucier d’avoir les moyens de sa politique.

La roue tourne. En Italie comme ailleurs. En France, Nicolas Sarkozy, qui s’était illustré avec son discours du Latran** (20 décembre 2007) n’est plus au pouvoir et le premier message du pape adressé à son successeur, François Hollande, a été pour rappeler les « nobles traditions morales et spirituelles » de la France. Peut-on demeurer un Etat (même un micro-Etat) quand on se soucie essentiellement du spirituel au détriment du temporel ? On est alors rien d’autre qu’une Eglise ; ce qui n’est déjà pas mal !

* Dans un entretien avec Elodie Maurot (La Croix - 16-17 septembre 2006), le père dominicain Hervé Legrand, professeur d’ecclésiologie à l’Institut catholique de Paris, parle d’une « église monarchique » et d’évêques qui « sont devenus en droit des fonctionnaires du pape ».

** Dans lequel il avait développé le principe de « laïcité positive » et dont Frédéric Mounier, envoyé spécial permanent de La Croix au Vatican, a dit qu’il « avait comblé autant qu’étonné ses interlocuteurs romains, qui n’en attendaient pas tant » (La Croix - 21 mai 2012).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 31 mai 2012 à 09:41, par Mike En réponse à : « Vaticangate 2012 ». Argent, sexe et conjuration. Le Saint-Siège, un Etat voyou comme un autre ? (2/2)

    On a compris : être contre l’avortement, l’euthanasie, le mariage homosexuel et le faire savoir en defendant ces positions, c’est se comporter en fasciste ultra réactionnaire de droite. Bien trouvé

  • Le 31 mai 2012 à 12:44, par indigné En réponse à : « Vaticangate 2012 ». Argent, sexe et conjuration. Le Saint-Siège, un Etat voyou comme un autre ? (2/2)

    on ne parle pas de sexe dans votre écrit.Pas d’acharnement ce sont des humains comme vous.Le titre est trop fort pour ce qui est écrit ici.Il n’ya aucune congruence

  • Le 31 mai 2012 à 15:22 En réponse à : « Vaticangate 2012 ». Argent, sexe et conjuration. Le Saint-Siège, un Etat voyou comme un autre ? (2/2)

    que le vatican soit influent dans le monde cela rassure plutôt ! c’est dire qu’il ne faut pas se contenter de prêcher la Bonne parole il faut travailler à ce qu’elle soit vécue partout. et cela passe l’influence des politiques nationales et internationales qui décident de la marche du monde. c’est dommage ce que le vatican vit à l’interne aujourd’hui mais rien ne m’étonne et nous savons que dans l’ombre des forces s’opposent et tentent de s’influencer mutuellement. les idéologies libéralistes, franc-maçonniques et autres luttent dans l’ombre contre le vatican et tente de l’infiltrer pour le discréditer. du reste je ne dis pas que ceux qui ont fauté sont dans des organisations occultes mais ils subissent l’influence de ces derniers de l’intérieur comme de l’extérieur ! mais si l’Eglise est bien celle de Jésus-Christ alors j’ai la foi ferme et inébranlable que ces crises au contraire ne seront que d’excellentes occasions pour le vatican et l’Eglise entière d’avancer au large !

  • Le 31 mai 2012 à 15:54, par Quand choisissez-vous de parler ? En réponse à : « Vaticangate 2012 ». Argent, sexe et conjuration. Le Saint-Siège, un Etat voyou comme un autre ? (2/2)

    M. BEJOT,

    Je suis très surpris par le divorce entre votre sagesse et l’horizon vers lequel converge le "choix" de vos informations. Je suis moi même catholique, peut-être moins instruit sur ces questions par rapport à vous. Je constate simplement vos informations "diplomatiques" dans les deux articles vont unilatéralement dans le même sens. La logique de votre regard intellectuel ne vous a même pas permis de voir un point positif de la mission diplomatique de l’Eglise dans le monde : ni dans la diction des valeurs humaines ni dans le service que rend les oeuvres caritatives du Vatican. Pensez-vous que les nombreux villages du Burkina qui ont par exemple bénéficié des forages de la Fondation Jean Paul II pour le Sahel entendront votre son de cloche avec la même intonation ? Un président de la gauche ou de la droite en France, ce n’est pas cela le problème du pape actuel. Orienter le monde vers une culture de la vie, voilà sa préoccupation. Je ne pensais pas que votre sagesse vous permettait d’accepter la régularisation des homosexuels, l’acceptation de l’euthanasie... Qu’il ait des problèmes au Vatican, tant mieux d’ailleurs. Cela moindre que eux aussi tout comme nous ont du chemin à faire dans le sens du bien.
    M. BEJOT, si vous utilisiez votre savoir pour dire au monde le vrai sens de l’Eglise, vous rendriez plus service à la société. Je me demande d’ailleurs pourquoi c’est maintenant seulement que vous choisissez de nous faire lire sur l’Eglise et le Vatican. Parlez nous maintenant du rôle de l’Eglise dans l’effritement des régimes de dictatures dans le monde.

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