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Les affaires étrangères de la France ne veulent plus entendre parler de « coopération » (2/3)

Publié le mardi 22 mai 2012 à 14h17min

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Y-a-t-il une politique étrangère de droite et une politique étrangère de gauche ? Au moment où Alain Juppé cède le Quai d’Orsay à Laurent Fabius (cf. LDD France 0599/Jeudi 17 mai 2012), les déclarations de l’un et de l’autre laisseraient penser que les mêmes faits « étrangers » s’imposent à tous de la même façon et que ce qui diffère c’est leur prise en compte d’une part, leur traitement d’autre part.

C’est ce que pense Alain Frachon dans sa chronique « international » publiée par Le Monde (daté du 18 mai 2012). Il évoque la politique « d’ingérence » de la France en Libye et les critiques qui ont été formulées. Et évoque ces mots de Juppé à la veille de son départ du Quai d’Orsay : « Je n’ai aucun regret qu’il ait été mis fin au régime de Kadhafi ». Frachon écrit : « Au Quai, où il est unanimement salué, il aura été l’homme du revirement de la politique arabe de Paris. Il a été l’avocat déterminé du soutien aux Arabes en lutte contre des dictatures cruelles et corrompues ». Frachon ajoute, pour répondre aux critiques des uns et des autres notamment celles relatives à la déstabilisation de la zone sahélienne par la chute du « guide de la révolution » : « C’est une position qui s’inscrit dans l’Histoire […] Elle comporte des risques, bien sûr – il n’a pas de transition démocratique qui soit un fleuve tranquille. Mais elle est conforme à ce que la France prétend incarner. Alain Juppé l’a défendue avec brio ». C’est sans doute vrai.

Mais concernant les « fleuves tranquilles », je tends à penser qu’il convient de ne pas se soucier, uniquement, de ce qui se passe en aval. Il faut être vigilant en amont. Et que si la complaisance diplomatique ne s’était pas exercée aussi longtemps à l’égard de « dictatures cruelles et corrompues », les « effets collatéraux » de leur chute ne seraient pas aussi déstabilisants qu’ils tendent à l’être.

Cela nous ramène au débarquement de Fabius au Quai. Je l’ai dit, il est ministre des Affaires étrangères et a sous son autorité trois ministres délégués dont un ministre délégué au Développement. La disparition du vocable « coopération » aurait-elle valeur exemplaire ? Fabius l’a dit lors de sa prise de fonction : « Avec l’Afrique, nous devons avoir un partenariat d’égal à égal […] Nous allons traiter avec nos amis africains d’une façon transparente en ayant le souci d’un partenariat dans le développement […] La France traditionnellement est attachée à ce continent. Donc nous traiterons avec nos partenaires africains d’une façon tout à fait ouverte, démocratique […] C’est un continent qui est appelé à une croissance considérable en termes de population mais aussi en termes économiques et qui recèle des potentialités extraordinaires ». Juppé, sans doute, dans le même contexte, n’aurait pas dit autre chose ! « Le terme coopération était trop marqué Françafrique […] Il y avait une notion un peu condescendante dans ce vocable […] Le développement, c’est l’idée d’un partenariat mutuellement profitable ». Tels seraient les arguments avancés pour justifier la disparition de la « coopération » selon Thomas Hofnung (Libération du 18 mai 2012).

C’est un point de vue. « Coopération » avait un côté humaniste ; « Développement » a un sens essentiellement économique. Quant à penser que la France est « traditionnellement » attachée à l’Afrique, c’est tirer un trait sur l’aspect « historique » - avec tout sa dimension dramatique - de cette relation ; relation historique qui, selon moi, oblige à une réelle implication non seulement économique mais, aussi et surtout, sociale et humaine (notamment en matière d’accueil en vue d’une formation).

On pouvait sans doute penser – et exercer – la « coopération » autrement qu’elle ne l’a été jusqu’à présent. Plus décentralisée, plus régionalisée afin qu’elle devienne, selon la jolie formule de Filippe Savadogo (ancien ministre burkinabè, aujourd’hui ambassadeur de la Francophonie auprès des Nations unies à New York), « la diplomatie des peuples ». « Développement », cela renvoie immédiatement à l’Agence française de développement (AFD) et on se demande s’il était nécessaire d’avoir un tel ministère délégué dès lors que l’AFD* existe et que, par ailleurs, il y a un « conseiller Afrique » (en l’occurrence, une conseillère : Hélène Le Gal) auprès du président de la République. La nomination de Pascal Canfin comme ministre délégué au Développement (sans que l’on sache encore, officiellement, quel sera son domaine d’action) me conforte ans l’idée que le « développement » sera essentiellement économique.

Né à Arras, dans le département du Pas-de-Calais, le 22 août 1974, diplômé de l’Institut d’études politiques (IEP)-Bordeaux et de l’Université de Newcastle, Canfin a débuté au sein de la centrale syndicale CFDT du Nord/Pas-de-Calais (1997-1999) avant d’être consultant en ressources humaines (1999-2003) puis journaliste au mensuel Alternatives économiques (2003-2009).

Créé en 1980 par un professeur agrégé d’économie, Denis Clerc, « Alter éco » est édité par une scop, une société coopérative ouvrière de production, et a surfé, ces dernières années, sur l’altermondialisme et l’enseignement de l’économie dans les lycées. Créé en réaction aux politiques de dérégulation des années Thatcher (ce qui, en matière d’économie, se traduisait par un seul mot d’ordre « There is no alternative », d’où le titre du mensuel), « Alter éco » définit sa ligne rédactionnelle comme une « ligne sociale-démocrate, soucieuse d’environnement ». Canfin va collaborer à « Alter éco » pendant plus de cinq ans et, parallèlement, s’engager auprès des « Verts » dont il sera le responsable de la commission économique et sociale à compter de 2005. En juin 2009, il sera élu au Parlement européen sur la liste Europe Ecologie en Ile-de-France derrière Daniel Cohn-Bendit et Eva Joly.

Il y sera membre des commissions « Affaires économiques et financières » et « Marché intérieur et protection des consommateurs ». Spécialiste d’économie sociale et solidaire, auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet, il va s’intéresser à « la lutte contre les paradis fiscaux, le contrôle des marchés financiers, l’introduction de clauses sociales et environnementales pour accéder au marché européen, la lutte contre le changement climatique, la promotion d’une économie verte pour sortir de la crise ». Il est enfin le fondateur de l’ONG Finance Watch** qui vise à « développer une contre-expertise sur les activités menées sur les marchés financiers par les principaux opérateurs ». Pendant la campagne pour la présidentielle 2012, il a été le conseiller économique de la candidate « écologiste » Eva Joly.

Dans L’Humanité de ce matin (vendredi 18 mai 2012), alors qu’il ne se savait pas encore appelé à rejoindre le gouvernement, Canfin affirmait : « Puisque les politiques d’austérité ne marchent pas, assouplissons-les. Et surtout, c’est là le deuxième élément, complétons-les avec une politique d’investissements […] Enfin, il faut avancer sur la lutte contre l’évasion fiscale et en faire une priorité absolue. Les Etats européens subissent un manque à gagner annuel évalué à 250 milliards d’euros à cause des fuites dans les paradis fiscaux. Cela empêche un redressement juste et efficace de nos comptes publics ». Nous sommes loin de l’Afrique (et plus loin, encore, de la « Françafrique »).

* Contrairement à ce que l’on pense généralement, l’AFD n’a aucune autonomie, elle était, jusqu’alors, sous tutelle du ministère de la Coopération pour l’exécution de ses projets. L’intégration de la « Coopé » au sein du ministère des Affaires étrangères a quelque peu changé la donne. Mais il demeure une certitude, c’est Bercy qui tient les cordons de la bourse et qui, du même coup, est le véritable patron, tant de la « Coopé » que de l’AFD. Rappelons que l’actuel directeur général de l’AFD est Dov Zerah dont on a dit que sa nomination résultait du soutien apporté par Claude Guéant, alors secrétaire général de l’Elysée, et Robert « Bob » Bourgi, « éminence grise » de l’Elysée en Afrique noire et, accessoirement, porteur de valises et joueur de… djembé (cf. LDD AFD 001/Vendredi 21 mai 2010).

** Il faut lire à ce sujet la longue interview (trois pages) accordée par Pascal Canfin à Vincent Rémy publiée dans Télérama (25 janvier 2012) à l’occasion de la sortie de son dernier livre : Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire (éd. Les Petits Matins - Paris, 2012).

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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