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Alassane D. Ouattara tourne la page du « sarkozysme » en Côte d’Ivoire et du « gbagboïsme » au sein du PS français.

Publié le mercredi 9 mai 2012 à 20h46min

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A l’instar de ses prédécesseurs – à l’exception de Laurent Gbagbo – Alassane D. Ouattara à une addiction particulière à la France. Ce qui se comprend. Paris, où il possède un appartement et des bureaux dans le XVIème arrondissement, a été son QG pendant des décennies et son épouse, Dominique, y a ses habitudes et ses « affaires ».

Le couple a, également, une résidence secondaire à Mougins, sur la Côte d’Azur. Et puis la connexion Abidjan-Paris est totale depuis qu’il a accédé à la présidence de la République. Ce matin, mercredi 9 mai 2012, à Paris, à l’issue du dernier conseil des ministres présidé par Nicolas Sarkozy, Valérie Pécresse, porte-parole du gouvernement, évoquant le bilan du quinquennat dressé par François Fillon, a cité les cinq pays « dans lesquels le nom de la France résonne aujourd’hui comme ayant joué un rôle majeur ». La Côte d’Ivoire y figure aux côtés de la Géorgie, de la Libye, de l’Afghanistan et de l’Iran.

Lundi 7 mai 2012, en fin de matinée, au lendemain de sa défaite à la présidentielle, la première personnalité étrangère reçue à l’Elysée par Sarkozy a été… Ouattara. Le chef de l’Etat ivoirien évoquera des « liens d’amitié personnelle et de longue date qu’il entretient avec le président sortant » mais également le fait que, « pour lui, l’amitié est sacrée et que c’est à l’occasion de ce genre de situation que la vraie amitié se manifeste ». Il aurait été inconcevable qu’il en soit autrement, ADO étant en séjour privé en France depuis le dimanche 29 avril 2012 et n’ayant regagné Abidjan que dans l’après-midi d’hier, mardi 8 mai 2012. Un séjour privé, au cours de l’entre-deux tours de la présidentielle française, qui lui a permis, dit-il, de « réfléchir sur les grandes questions du pays, notamment sur les actions à mener pour améliorer le quotidien de ses compatriotes et faire avancer la Côte d’Ivoire sur le chemin du développement »*.

Si à Abidjan, on spécule sur ce que seront les relations avec Paris dès lors qu’un socialiste se sera installé à l’Elysée (certains médias français se sont fait l’écho, dimanche soir, à la suite de l’annonce de la victoire de François Hollande, de manifestations dans le quartier de Yopougon, un fief « gbagboïste », aux cris de « Désormais, nous sommes libres »), à Paris personne ne pense un seul instant que Hollande puisse entretenir une quelconque mauvaise relation avec ADO. Les deux hommes ont d’ailleurs « échangé » au cours de ces derniers jours et Ouattara a profité de son séjour en France pour réanimer ses contacts personnels et politiques avec la sphère socialiste.

Ce qui ne lui a pas posé de problèmes. ADO, le libéral, le banquier central, le directeur adjoint du FMI, doit une fière chandelle aux diplomates « socialistes » qui, à Abidjan, lors des événements du 18-19 septembre 2002 ont tout entrepris pour l’exfiltrer, lui et sa famille, de l’ambassade d’Allemagne, contiguë à son domicile de Cocody dont ils avaient dû s’enfuir précipitamment. « Sans l’ambassadeur de France, Renaud Vignal, nous serions tous morts […] Il nous a sauvé la vie. Je ne peux que lui dire un très grand merci ! ». Vignal est mort le 22 mars 2007 (cf. LDD Côte d’Ivoire 0211/Lundi 26 mars 2007). Au lendemain de l’élection de François Mitterrand, il avait rejoint le cabinet de Jean-Pierre Cot, ministre délégué à la Coopération et au Développement ; son intervention auprès de Ouattara lui avait valu d’être rappelé illico presto à la demande du président « socialiste » Laurent Gbagbo. Au sein du PS, il n’y aura que Guy Penne pour trouver « regrettable » ce rappel.

Dans les jours dramatiques qui vont suivre le 19 septembre 2002, ADO et les siens, pourchassés par les « escadrons de la mort », vont trouver refuge chez Dominique Pin, conseiller à l’ambassade de France. Pin est comme Vignal, un « socialiste ». Il a appartenu à la cellule des affaires africaines à l’Elysée, au temps de Mitterrand, aux côtés de Thierry de Beaucé, Bruno Delaye, Georges Serre. Du 22 septembre au 27 novembre 2002, ADO va ainsi cohabiter avec Pin. Le diplomate, témoin des exactions du clan Gbagbo, se retrouvera bientôt consul en Espagne, à Séville, loin d’une terre africaine à laquelle il s’était consacré. Quand Pin va mourir, le 15 août 2011, Ouattara, devenu président de la République, se déplacera jusqu’en Franche-Comté pour assister à ses obsèques.

C’est dire qu’ADO, s’il ne doit rien au PS, doit beaucoup à des hommes qui revendiquaient leur appartenance à ce parti et militaient en son sein. On se souvient du mot de François Hollande, en octobre 2004, au sujet de Gbagbo : « personnage infréquentable »**. Au début de 2004, pourtant, le chef de l’Etat ivoirien, alors mis en cause dans les « monstrueuses exactions de ses commandos de la mort » (Le Canard enchaîné du 13 octobre 2004), avait été reçu à la Fondation Jean-Jaurès que présidait alors… Dominique Strauss-Kahn. Une Fondation qui contribuera à la réalisation du Centre panafricain de documentation et de formation (CPDF), inauguré à Abidjan le 12 mars 2004 en présence des élites de l’Internationale socialiste et de la Fondation Jean-Jaurès. La liste est longue des socialistes français qui ont soutenu Gbagbo. Ou fermé les yeux au bon moment. Jean-Christophe Cambadélis (« J’observe que Gbagbo a réussi la paix […] C’est une personnalité estimable »), Henri Emmanuelli (« Il est celui qui voudrait créer une véritable démocratie en Afrique et, aujourd’hui, il est presque une cible tout ça parce que Mme Ouattara organise des dîners dans l’hôtel parisien d’Houphouët-Boigny »), Guy Labertit (qui voyait en Gbagbo « le Lula de l’Afrique de l’Ouest, un fils du peuple et une personnalité généreuse »), François Loncle (qui, le 3 décembre 2010, au lendemain du deuxième tour de la présidentielle, dénonçait « une campagne de suspicion et de dénigrement à sens unique dirigé contre les autorités ivoiriennes »), Charles Josselin*** (« Je ne voudrais pas qu’on soit plus exigeants avec lui qu’avec d’autres chefs d’Etat placés dans une situation similaire […] Gbagbo est victime à la fois de la France et des rebelles »), Jack Lang (« Je suis un ami du président Gbagbo […] Avec lui, je me sens en harmonie, en connivence, en synchronie, en résonance […] Gbagbo est un vrai homme de gauche qui a le sens de la solidarité »), Jean-Marie Le Guen (le député socialiste de Paris s’est exhibé, rue Princesse, « quartier chaud » de Yopougon, avec Lang et Gbagbo en mars 2008), Pierre Mauroy (« Ton bon sens paysan, ta force physique, ton esprit de finesse t’ont permis de faire face »), Pierre Moscovici (« Gbagbo a permis l’alternance, il représente le PS le plus structuré d’Afrique, son dossier n’est pas implaidable »), Michel Rocard (« Il est des nôtres »)… N’oublions pas Roland Dumas, ancien ministre des Affaires étrangères de Mitterrand, qui s’est rendu en Côte d’Ivoire pour le défendre.

Bien évidemment, ces personnalités socialistes ont, à part quelques irréductibles, évolué dans leur prise de position en faveur de Gbagbo. Ce qui démontre que leur analyse n’était pas la bonne quand Hollande avait dit ce qu’il devait dire et qu’Arnaud Montebourg, dès décembre 2004, avait lancé un appel (« Gbagbo doit partir ») signé par une flopée d’élus du PS. Aujourd’hui, alors que Hollande arrive à l’Elysée, cette vieille garde qui avait pris position pour Gbagbo est en passe d’être totalement éradiquée. Ouattara, le « libéral », peut être tranquille. L’arrivée de Hollande, le « socialiste », au pouvoir ne changera pas « l’excellente relation » établie sous Sarkozy entre Paris et Abidjan.

* Pendant son séjour en France, Alassane s’est rendu à Dakar, le 3 mai 2012, pour le sommet de la Cédéao sur le Mali et la Guinée-Bissau.

** Hollande avait qualifié l’accord de Marcousis « d’échec total de la diplomatie française ». DSK, de son côté, dénoncera « une diplomatie menée cheveux au vent avec des airs inspirés du haut de la colline », ajoutant : « Sans doute Gbagbo n’était-il pas considéré par le gouvernement français comme un de ses amis et donc on l’a forcé à accepter des choses dont on savait que son peuple ne pouvait les accepter ».

*** Charles Josselin, Christian Paul, Guy Labertit, Henri Emmanuelli, Régis Passerieux, Philip Cordery ont fait partie de la mission dépêchée début 2003 en Côte d’Ivoire par la direction nationale du PS. Ils établiront un rapport complaisant à l’égard de Gbagbo ; Jean-Luc Mélenchon, alors membre du PS et animateur du courant « Nouveau Monde » avec Emmanuelli, s’émerveillera de la « convergence » de vues des délégués (cf. LDD Côte d’Ivoire 071/Vendredi 14 mars 2003).

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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