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Pr Christophe Kougniazondé :"Le terrorisme ne naît pas du néant"

Publié le mardi 26 octobre 2004 à 07h22min

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La société civile est souvent très mal perçue en Afrique, de même que les pouvoirs publics. Leur participation au processus de développement est parfois mise à rude épreuve par un manque de synergie. Le président de l’Accadémie Alioune Blondin Bèye pour la paix, le professeur Christophe Kougnianzondé en fait le diagnostic et propose des pistes alternatives. Il porte également un regard critique sur la lutte contre le terrorisme actuellement en branle dans le monde.

"Le Pays" : Comment la société civile peut-elle contribuer efficacement à la recherche de la paix en Afrique ?

Christophe Kougniazondé : La paix n’est pas la simple absence de guerre. C’est un état de quiétude totale que l’organisation de l’espace public doit procurer aux citoyens. Les gouvernants ne peuvent donc pas promouvoir à eux seuls, une paix réelle. La société civile a évidemment un rôle majeur à jouer, notamment dans le cadre de la prévention des conflits, la médiation, la négociation, le recours à la non violence...

La démocratie doit être totale, inclusive, basée sur une citoyenneté éclairée et informée. Sans cela, il ne peut avoir de paix. Seule l’inclusion de plus en plus perfectionnée du citoyen ordinaire dans le processus de prise de décision, l’amènera à se sentir concerné par la défense et la sécurité de la chose publique. Il pourra ainsi assister convenablement les pouvoirs publics dans leur mission de service public, notamment assurer la paix des citoyens et l’intégrité des territoires dans lesquels ils vivent.

Le service public en Afrique est souvent pris en otage par les gouvernants. Comment peut-elle, selon vous, se débarrasser de leurs griffes ?

L’Etat ne peut à lui seul promouvoir la paix et le développement. La société civile ne peut pas non plus le faire toute seule. Il faut une synergie entre les deux parties, de sorte que les performances des gouvernants en terme de service public soient évaluées par la société civile.

Cette dernière doit apporter une critique constructive afin de permettre aux gouvernants de rectifier le tir. Mais depuis la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS), il y a une sorte d’idéologie dominante sous-tendue par la pensée unique. Elle incite la société civile, notamment celle du Sud, à se substituer aux gouvernants, même là où elle n’a pas les moyens d’agir correctement.

Cela apparaît comme une déviation de la notion et de la fonction de la société civile. Cette dernière ne doit en réalité jouer qu’un rôle de subsidiarité et de complémentarité par rapport aux pouvoirs publics. La subsidiarité doit s’exercer dans les domaines où l’Etat n’est pas performant, n’intervient pas ou ne peut pas intervenir. La société civile doit aussi renforcer l’action du pouvoir public en vue de générer des biens susceptibles de satisfaire les besoins de tous les membres de la société.

Il convient cependant de clarifier la notion de société civile. Pour certains, c’est l’ensemble des citoyens sans les Hommes au pouvoir. Pour d’autres, c’est l’ensemble des associations et organisations qui sont autonomes vis-à-vis du pouvoir public mais qui semblent agir pour satisfaire un intérêt public. La notion de société civile telle que nous l’opéralisons à l’Académie Alioune Blondin Bèye pour la paix est la suivante : la démocratie ne peut pas être laissée aux seules organisations de la société civile qui poursuivent très souvent des intérêts privés. Cela porte souvent atteinte à l’organisation de l’espace public.

La démocratie signifie l’implication de tous les citoyens, sans exclusive. Il y a en effet une grande majorité de la société qui n’est ni gouvernante ni membre d’Organisations non gouvernementales (ONG). Il faut donc que cette partie de la population ait accès au processus de décision. Il convient donc d’opérationaliser le concept de société civile dans une approche dynamique et inclusive qui tend à amener tous les citoyens à avoir droit à la parole.

Le combat pour la paix semble être un échec à répétition en Afrique...

La paix est devenue une denrée rare sous tous les cieux de l’univers. Non pas parce que les peuples ne la veulent pas ou ne veulent pas s’investir pour la construire mais parce que la perception qu’on a de cette notion est essentiellement vicieuse. C’est une paix armée que l’on veut procurer aux citoyens. On investit ainsi des sommes énormes dans l’acquisition d’armes de guerres et de destruction de la vie humaine sous prétexte qu’on veut procurer la paix aux citoyens. Cette perception vicieuse doit être abandonnée. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons créé l’Académie Alioune Blondin Bèye pour la paix.

Comme l’a dit le philosophe Emmanuel Kant, "si les peuples étaient invités à voter les déclarations de guerre, rarement il y aurait de guerre sur terre". En outre, ceux qui signent les déclarations de guerre ne sont pas ceux qui font la guerre. Ils ne sont pas non plus ceux qui souffrent des affres de l’après-guerre. Notre conception de la paix ne doit pas reposer sur le recours à la force. Nous devons plutôt interroger notre société pour savoir les valeurs de cohésion qui ont réussi, dans le passé, dans des situations très difficiles, à éviter le recours à la force et les violences à grande échelle.

Le sujet est tellement crucial que vous avez décidé de le mettre sur le tapis et d’en discuter lors d’un forum tenu à Cotonou au Bénin du 19 au 21 juillet derniers. Quelles sont les lignes directrices retenues au terme des travaux ?

La question de la paix est une question vitale et incontournable. Après la création de l’Académie, nous avons organisé un colloque inaugural en août 2000. Cela nous a permis de faire le bilan de la décennie de démocratisation en Afrique, de constater un certain progrès mais aussi un déficit démocratique. Nous avons pu relever que le concept de bonne gouvernance est un concept technique neutre qui vise la rentabilité et l’efficacité dans la gestion, mais qui est éminemment vide de sens lorsqu’il s’agit de la distribution ou de la redistribution des fruits générés par la bonne gestion ; il n’est pas non plus opératoire dans le renforcement des capacités démocratiques d’une société déterminée. Nous avons donc suggéré lors du colloque que l’on utilise le concept de gouvernance démocratique au lieu de celui de bonne gouvernance.

En novembre 2001, nous avons organisé à Bamako au Mali, un séminaire international sous la présidence du Pr Joseph Ki-Zerbo, sur la problématique de la gouvernance démocratique en Afrique. Les actes que nous posons visent à élargir le débat sur les conditions de création d’une paix durable. Il ne peut avoir de paix sans développement ; il ne peut non plus avoir de développement sans démocratie et de paix sans justice sociale. La mise en facteur de ces concepts demande que l’on élargisse les bases du débat démocratique. Et que chacun puisse contribuer à créer les bases matérielles, sociales et culturelles qui renforcent la cohésion sociale.

Nous avons ainsi constaté que les religions peuvent jouer un rôle éminent pour le maintien de la paix tout comme elles peuvent allumer des étincelles susceptibles d’enflammer la société et de provoquer des guerres. C’est du reste pourquoi l’Académie a décidé d’organiser une rencontre internationale à Cotonou sur "Religion, violence, politique et paix en Afrique". L’objectif stratégique est de pouvoir, à terme, mobiliser la société civile afin qu’elle soit le défenseur de la paix, particulièrement en Afrique.

Aujourd’hui, dans les grands débats contemporains sur la paix et la cohésion sociale, on parle de dialogue inter-religieux. Cependant, les religions traditionnelles africaines ne sont jamais évoquées. Seules les religions monothéistes sont prises en compte : si le musulman peut parler au chrétien et si ce dernier peut parler au juif on affirme avoir réglé le problème du dialogue inter-religieux.

Cet esprit est réducteur parce qu’une grande partie de la population mondiale ne pratique pas les religions monothéistes ou les pratique concomitamment avec les religions traditionnelles. Il y a évidemment une autre catégorie de citoyens qui ne pratiquent que les religions traditionnelles. Il convient donc de trouver un champ de consensus. Telle a été la préoccupation de la rencontre de Cotonou. Les rois et les chefs religieux traditionnels y ont été associés. Nous envisageons, au prochain congrès de l’Accadémie, de créer un mouvement de défense civile de la paix en Afrique.

Quelle lecture faites-vous du schéma actuel de lutte contre le terrorisme dans le monde ?

La lutte contre le terrorisme fait partie intégrante des préoccupations de l’Académie Alioune Blondin Bèye. J’étais aux Etats-Unis le 11 septembre 2001 lorsque les attentats ont eu lieu. Aujourd’hui, la question du terrorisme constitue une sorte de plaque tournante où la liberté et la sécurité se disputent l’identité de l’individu. Le terrorisme ne naît pas du néant. Il y a des situations particulières qui conduisent un individu à attaquer son semblable. Certaines situations créent des frustrations et des rancoeurs qui conduisent les gens à s’organiser en vue de riposter. Il importe donc de faire face avec efficacité et sérénité aux situations susceptibles d’amener les uns et les autres à recourir à la violence.

De plus, la lutte contre le terrorisme ne doit pas aider à renforcer, consolider et aggraver le terrorisme. Elle ne doit pas non plus mettre en danger la vie des citoyens des pays où se mènent la lutte contre le terrorisme. De ce point de vue, ceux qui luttent contre ce phénomène doivent revoir leur copie. Il faut qu’ils s’interrogent sur l’efficacité des moyens choisis. Car personne ne peut se réjouir des actions perverses, nocives et suffisamment graves que commettent les terroristes.

Mais la façon de résoudre la problématique du terrorisme ne doit pas passer par le déploiement d’armes sophistiquées. Elle ne doit pas non plus être sous-tendue par des actes qui mettent la liberté de l’individu et du citoyen entre parenthèses sous prétexte de procurer la "sécurité" à tout le monde. Nous devons donc mettre l’accent sur ce qui nous rapproche plutôt que d’insister sur ce qui nous divise. Nous devons en clair oeuvrer à valoriser la vie humaine. Et cela passe impérativement par le dialogue social.

Propos recueillis par Hervé D’AFRICK
Le Pays

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