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Sadio Lamine Sow, La signification de sa nomination comme ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Mali.

Publié le mardi 1er mai 2012 à 13h54min

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Un Premier ministre (Cheick Modibo Diarra) venu d’ailleurs et un ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale (Sadio Lamine Sow), venu de… Ouagadougou, capitale du Burkina Faso (cf. LDD Mali 032/Jeudi 26 avril 2012). Il y a de quoi intriguer.

Certes, un journaliste prend la suite d’un autre journaliste ; mais son prédécesseur, Soumeylou Boubèye Maïga, spécialiste des questions de sécurité et de défense (il avait été, également, le patron des services de renseignement), était ministre de la Défense pendant les dix années où Alpha Oumar Konaré avait présidé la République du Mali (1992-2002) et avait pour mission, disait-on, de réchauffer les relations de Bamako avec Alger, Nouakchott, Ouagadougou et Niamey. Il n’en aura pas eu le temps : le gouvernement de Mariam Kaïdama Cissé Sidibé n’aura pas tenu un an !

Sow hérite d’une situation plus complexe. Un président de la République de transition et un gouvernement qui l’est tout autant doivent réunifier un pays majoritairement occupé, militairement et socialement, par des forces rebelles tandis que l’armée nationale est en « cessation de fonctionnement » et que la souveraineté du pays n’est plus qu’un lointain souvenir. C’est désormais la Cédéao qui décide ce qui bon et ce qui ne l’est pas pour le Mali. Autrement dit Ouaga et Abidjan. Ouaga parce que le président de la Commission de la Cédéao est l’ancien premier ministre et diplomate burkinabè Kadré Désiré Ouédraogo ; et Abidjan parce que le président en exercice de la Cédéao est le chef de l’Etat ivoirien, Alassane D. Ouattara.

Mais si le devenir du Mali s’articule autour de l’axe Ouaga-Abidjan, la balle est dans le camp du Burkina Faso : c’est Blaise Compaoré qui a été nommé médiateur dans la « crise malo-malienne », ce qui ne saurait étonner : il connaît le job et il a les hommes qu’il faut pour mener à bien sa mission. A commencer par Ouédraogo mais, également, Djibrill Y. Bassolé, son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, omniprésent sur le terrain dès le déclenchement de la crise. Et qui a su, en peu de temps, dégager en touche des putschistes qui, manifestement, n’avaient pas les moyens de leurs ambitions ; même s’ils expriment toujours des velléités d’insoumission.

Dans ce cadre, Blaise Compaoré a entrepris de placer au sein du gouvernement, en tant que ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, un homme qu’il connaît bien et auquel, pendant plus de deux décennies, il a confié des missions discrètes et délicates. Faut-il s’en offusquer ou, au contraire, se réjouir qu’un pays ait les moyens politiques, diplomatiques et, surtout, humains, de mettre fin à une série de dérives qui sont un péril non seulement pour la « démocratie » au Mali mais, plus encore, pour la situation sécuritaire de la région ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de la sécurité de l’Afrique de l’Ouest confrontée à la connexion entre une certaine classe dirigeante et des milieux d’affaires qui sont, en l’occurrence, des affaires mafieuses. Personne ne peut remettre en doute ce diagnostic. Et on ne peut que se réjouir que la Cédéao ait rompu avec les atermoiements qui ont été sa ligne de conduite dans la gestion de la « crise ivoiro-ivoirienne ». Même si on ne peut que déplorer que les institutions régionales échouent systématiquement dans la prévention des crises.

Le Burkina Faso est un pays enclavé, ayant une frontière de 1.000 km avec le Mali, sans ressources naturelles significatives, densément peuplé (54 hab/km² soit une densité de population sensiblement comparable à celle de la Côte d’Ivoire, mais plus forte qu’au Niger : 11 hab/km² et qu’au Mali : 10 hab/km²) et dont la diaspora est partout présente dans la région. Ne pas tenter de trouver une solution aux problèmes qui se posent dans les pays voisins serait irresponsable. Quel que soit le président en place ! On a vu, en Côte d’Ivoire, avec quelle détermination Ouaga s’implique dans la région non pas dans une démarche « impérialiste » mais avec un mandat des organisations régionales et internationales.

On peut certes déplorer qu’un pays pauvre, dont les besoins financiers et humains sont considérables, soit obligé de s’investir ainsi dans des médiations qui s’ajoutent les unes aux autres. Notons que le Burkina Faso a toujours réglé lui-même ses problèmes quand ses voisins échouent à le faire et appellent au secours la « communauté internationale ». Ce n’est pas le Burkina Faso qui est à l’origine de la « crise malo-malienne » ; ses responsables politiques n’ont cessé, avec doigté, de s’inquiéter d’un laxisme sécuritaire et d’un manque de dialogue préjudiciables à la bonne gouvernance du Mali. Pas d’ingérence ; mais pas non plus d’indifférence.

Ceux qui ont des contentieux avec Ouaga évoqueront une atteinte, via la Cédéao, de la souveraineté malienne. J’ai souligné, voici plusieurs années (lors du colloque « Intelligence économique et Afrique », le 14 mai 2007 - cf. LDD France 0416/Lundi 14 mai 2007), que l’enjeu était désormais celui de la souveraineté territoriale, économique, politique et intellectuelle (penser par soi-même pour agir par soi-même). Le « printemps arabe » a été une revendication souverainiste ; comme l’indépendance du Soudan du Sud ou la « rébellion touarègue ».

Au sein de l’Union européenne, l’antilibéralisme des électeurs est aussi une revendication souverainiste. Dans Libération (24 avril 2012), Mireille Delmas-Marty, professeure au Collège de France (chaire d’études juridiques comparatives et internationalisation du droit), a écrit : « Contrairement aux idées reçues, la mondialisation actuelle n’annonce ni la disparition ni même l’affaiblissement de la souveraineté nationale, mais sa métamorphose. Nous avons plus que jamais besoin d’Etats suffisamment organisés pour mettre en place les solidarités nécessaires. Mais la multiplication des acteurs sur la scène mondiale appelle inévitablement un nouveau partage des compétences et des responsabilités, tandis que le renforcement des interdépendances oblige à reconsidérer les objectifs au regard des valeurs à sauvegarder ». Delmas-Marty, docteur en droit – et qui n’est pas une débutante : elle a soixante-dix ans ! - milite pour un « droit en mouvement » et « l’émergence d’une communauté de valeurs au niveau mondial ». « D’où la nécessité, souligne-t-elle, d’intégrer aux intérêts nationaux les intérêts communs de l’humanité, ce qui suppose la reconnaissance de valeurs communes, qu’on les nomme droits de l’homme ou « biens publics mondiaux » qui englobent, par exemple, la sécurité de l’humanité, sa santé, ou la qualité de son environnement ». On ne peut pas mieux dire.

La réflexion de Delmas-Marty nous ramène au concept de « sécurité humaine ». Sa vision du monde (cf. LDD France 0475/Mercredi 9 janvier 2008) traduit la nature hétérogène des Etats modernes où il faut prendre en compte, désormais, particularismes et minorités ; cela signifie que la majorité n’a pas nécessairement raison face à la minorité. Cela implique que ce ne sont plus les Etats (ou un Etat) qui peuvent diriger le monde mais que sa conduite doit être « multilatérisée ». « Les interprétations et les principes du système de sécurité internationale, en place depuis plus de cinquante ans, sont remis en cause. Une démarche multilatérale doit donc chercher à répondre à l’ensemble des préoccupations de sécurité humaine et suppose le soutien actif de tous les Etats » soulignent les adeptes de la « sécurité humaine ».

En instituant à Bamako, là où la classe politique locale a failli, un relais « extraverti » - Sadio Lamine Sow - c’est tout à la fois la « sécurité humaine » et la « reconnaissance de valeurs communes » que le « pays des hommes intègres » veut promouvoir. C’était un idéal de la « Révolution », l’est-il encore pour ceux qui se revendiquaient alors « révolutionnaires » ? Il faut l’espérer. Et espérer que ceux qui ont en charge cette mission soient à la hauteur des attentes des populations.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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