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Cas sur Table… : " Vous n’êtes nulle part "

Publié le lundi 30 avril 2012 à 00h14min

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« La croissance démographique, la pauvreté, le désespoir chronique, les conditions d’habitation, le manque d’eau, la télévision (pardon, les télévisions), bref, l’éclatement de l’environnement matériel font du monde d’aujourd’hui différent du vôtre . En plus, ne dit-on pas que les valeurs et les vertus sont relatives à leur époque ! ». C’est ainsi que j’ai tenté de faire comprendre mon grand-père lors de mon dernier séjour au village face à son admiration " exagérée " vis-à-vis de la tradition et à son mépris de " notre " société actuelle. En effet, " Yaaba ", (grand-père, grand-mère en langue locale) venait d’entrer dans la même semaine d’une grande ville où il y était pour des funérailles. Une des " très, très " rares fois qu’il a accepté se rendre en ville. Il ne cache pas, à qui veut l’entendre, sa phobie pour les villes.

Pour la simple raison que " la société humaine " ne s’y trouve plus. Il préfère son village jusqu’à la fin de ses jours. Il veut, volontiers, nous épargner certains détails. Il veut aussi se passer de la méchanceté et du manque d’altruisme criant de " notre " société.

Depuis son retour de la ville où il n’y est d’ailleurs resté que soixante-douze heures, " Yaaba " ne s’est plus retrouvé, à en croire la famille. Son vrai calvaire actuellement, c’est la "prostitution de nos valeurs " dont il dit être témoin. Et il reste convaincu que ce n’est qu’une lucarne, ce qu’il a vu de " ses propres yeux ". Il peine à expliquer le sentiment qu’il ressent... Inutile de tenter de lui faire comprendre que les époques ont changé. A cette tentative, il répond tout simplement : « Vous n’avez même plus peur du Dieu qui vous a créés… ». Des pratiques qui concourent à mettre à mort la société et qui relèguent le genre humain à un niveau très bas qui frôle l’effacement. « Dis, quel plaisir par exemple, pour un responsable, de montrer à travers ses enfants, à son voisin qu’il est plus nanti que lui ?

Quel plaisir tire-t-on à jeter la nourriture à la poubelle tandis que le voisin a les marmites vides… ? ». Silence. Il cogite encore longuement…puis, poursuit : « Tu sais, quand un individu est capable d’enjamber le gardien de son propre domicile pour jeter le reste de la nourriture, tout en sachant que le monsieur (le gardien, ndlr) assis, sauf par dignité, aurait demandé de quoi à se mettre sous les dents, on appelle cela…. Ce monsieur, assis, en train de te surveiller pour des miettes à nourrir toute une famille… »

Il s’insurge que " nous soyons " une génération qui ignore jusqu’aux règles de vie en société. Pour lui, ce qui est plus pitoyable, c’est que nous ne soyons nulle part. Ni en Occident encore moins en Afrique…
« Regarde un peu en ville. Tout est mal utilisé et mal exploité. Parce qu’on ne se souci pas de l’autre. L’électricité collective, l’eau, les voies etc. ». « Qu’un enfant reste assis devant son aîné posté sur lui sans gêne, sans qu’il n’ait d’abord cédé la place et que celui-ci ne lui ait auparavant autorisé à s’asseoir ! Qu’un enfant fixe tout droit les yeux d’une grande personne ! Qu’un homme interpelle haut et fort le nom d’une femme dans un milieu public ! Qu’un voisin fasse une journée sans chercher à savoir si la famille voisine va bien ou pas (…) ! Qu’un homme reste assis en présence d’une femme sans essayer de l’inviter à prendre place ! Les femmes ne doivent en aucun cas être obligées de quémander un confort partout où elles se trouvent . Le corps de la femme incarne le sacré, et celui de l’homme, la protection (…) Pire, les gens éduquent seuls leurs enfants. J’ai même appris en ville qu’on peut te convoquer parce que tu as osé corriger l’enfant d’une connaissance ! pouah ! », s’insurge " Yaaba " en plaquant les paumes sur le sol, comme pour évoquer les ancêtres.

La main sur la poitrine : « mon Burkina fièrement légué par les aïeux mais bazardés par leur suite ». Il ne s’étonne pas que le matériel soit mis en avant au détriment de l’être humain. La communauté, n’étant plus un souci pour personne. La seule communauté qui vaille, c’est le matériel. Ça viole des femmes parce qu’on ne sait plus ce que signifie le corps d’une femme. Le feu n’a plus la même signification qu’il en avait. « La preuve, le moindre mécontentement, on brûle. Sans scrupule. Lorsqu’un individu, quel que soit le niveau de sa colère, est capable d’incendier une maison, habitée par des gens, et où se cachent des intimités… Et ça ne dit rien…

Que Le Tout Puissant et nos ancêtres aient pitié de nous ! ». A la fin, je compris un peu la société idéale que souhaite avoir " Yaaba ". Lui qui n’ignore pas que " son " Burkina est plongé dans un élan global mais qui pense qu’il serait plus commode d’avoir aussi nos propres références. Ne serait-ce que pour notre propre dignité de " Burkindliim " (intégrité). Même s’il est difficile d’imaginer notre société, avec cet auteur, comme "Un pays où une jeune fille vierge, belle et nue, pourrait traverser désert, montagnes et villes avec une cassette de diamants, de rubis et d’or sur la tête et arriver saine et sauve chez sa tante qui l’attend ", ce ne serait pas inintelligent de reconnaître avec "Yaaba", et à la suite d’autres, que, la disparition de certaines valeurs de nos habitudes, nous a exposés à l’égarement.

Kader PALENFO

Le Progrès, Bimensuel d’informations générales

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