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Cheick Modibo Diarra, Une autre image de l’Afrique (3/3)

Publié le mercredi 25 avril 2012 à 17h07min

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Le 16 février 2012, un mois après le déclenchement de la « guerre » contre Bamako par la « rébellion touarègue », Modibo Diarra interpellait le gouvernement sur la situation du pays. « Nommer le feu, dit-on, ne brûle pas la langue. Personne n’exclut désormais l’éventualité d’une période de transition. Que faudra-t-il alors faire au cas où l’on se trouverait dans l’impossibilité d’organiser les élections ?

Il appartenait aux pouvoirs publics d’inciter à un débat sur le sujet mais puisque tel n’est pas le cas, nous invitons la classe politique, les organisations de la société civile et les personnes de bonne volonté qui le désirent à venir engager, à nos côtés, la réflexion sur toutes ces questions, sans attente. Il y va de la consolidation de notre processus démocratique, de la paix, de la stabilité et de la cohésion nationale ».

Deux mois plus, le 17 avril 2012, voilà Modibo Diarra en charge de gouverner le pays, de ramener la paix au Nord, de rétablir l’intégrité et l’unité du pays, de favoriser le retour des Maliens déplacés, d’organiser des élections crédibles sur la base d’un fichier électoral irréprochable et de présenter à la justice les « bandits armés » qui ont provoqué le chaos. Pendant ce temps, alors que Modibo Diarra prend ses marques à la primature, Ouagadougou et Abidjan ont nettoyé le terrain lui permettant de progresser dans sa mission. Djibrill Y. Bassolé, ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, et Adama Bictogo, ministre ivoirien de l’Intégration ivoirienne, ont obtenu la libération de la vingtaine de personnalités politiques arrêtées par les militaires encore aux ordres de la junte. Dakar, de son côté, a accueilli l’ancien président Amadou Toumani Touré (ATT) et sa famille, tout d’abord au sein de la résidence de son ambassadeur à Bamako, puis à Dakar. C’est l’avion présidentiel sénégalais, à bord duquel se trouvait le ministre sénégalais des Affaires étrangères, qui a assuré le transport du président déchu. Une porte de sortie honorable ; et un otage potentiel de moins (on se souvient que la junte ambitionnait d’organiser un procès contre ATT).

Modibo Diarra peut, désormais, jouer sa partition. Et nous sommes loin du discours d’investiture du président de transition, Dioncounda Traoré, menaçant les combattants du Nord, Touareg, AQMI et autres salafistes, d’une « guerre totale et implacable ». Le premier ministre, qui estime que c’est « le déficit de gouvernement et l’insuffisance de capacité d’anticipation » qui ont conduit le Mali là où il se trouve, s’est dit prêt à envisager « toutes les options, en premier lieu celle de la négociation » tout en refusant d’avoir « le couteau sous la gorge » et qu’on lui impose « le fait accompli ». Modibo Diarra n’est pas l’homme des exclusions. « Car, après tout, disait-il voici un an (L’Indépendant du 4 avril 2011), il faut savoir que chacun fait du mieux qu’il peut. Quelqu’un qui n’arrive pas à faire ce que nous on aurait fait si l’on était à sa place, cela ne veut pas dire que cette personne n’en n’a pas la volonté ».

A noter que le nouveau premier ministre travaille (pour l’instant ?) avec l’équipe de son prédécesseur à la primature. Notamment avec Diakité Fatoumata N’Diaye, secrétaire générale du gouvernement depuis 2009 après avoir été plusieurs fois ministre et médiateur de la République, proche parente d’Alpha Oumar Konaré, à qui ATT avait pensé, en avril 2010, pour la primature. Fatoumata N’Diaye a une parfaite maîtrise de l’Etat républicain. Et servira de poisson pilote à Modibo Diarra qui n’a jamais exercé, de loin comme de près, la moindre activité gouvernementale.

Modibo Diarra aime à dire : « Aussi bien aux Etats-Unis d’Amérique que dans ma famille, ici, nous avons hiérarchisé les choses en trois tranches : d’abord, c’est Dieu ; ensuite, c’est la Patrie et vient après l’activité que nous avons à mener ». Dieu a abandonné le Mali (submergé au Nord par des groupuscules qui, eux aussi, s’en réclament), la Patrie est en danger et il y a un paquet d’actions à mener. Lors de sa prise de contact avec l’équipe de la primature, Modibo Diarra a déclaré qu’il était temps « de mettre fin au bricolage, à l’improvisation et de nous remettre au travail dans la discipline et la rigueur, dans l’esprit du sacrifice ». Autant de valeurs qui ne sont pas celles de la classe politique malienne. Modibo Diarra est le gendre de Moussa Traoré. Il doit se souvenir que la chute de son beau-père (qui ne l’était pas encore à l’époque) a été le résultat d’un mouvement populaire bien plus que d’une action politique concertée. Quant aux militaires, ils ne sont intervenus qu’in fine, quand ils ont pris conscience qu’il ne « fallait pas injurier l’avenir ».

C’est dire que la marge de manœuvre de Modibo Diarra est étroite. Une junte frustrée d’avoir aussi rapidement perdu le pouvoir qu’elle l’avait conquis. Une armée en totale déliquescence qui n’a aucune motivation guerrière. Une classe politique qui entend surfer, autant qu’elle le peut, sur le chaos pour prendre date pour l’avenir sans jamais s’engager pour le présent. Une « société civile » qui n’entend pas donner un blanc-seing à un homme venu d’ailleurs et qui aurait été imposé, tout à la fois, par la Cédéao et la junte. Sans compter le jeu trouble des « puissances occidentales » (à commencer par la France) et des pays frontaliers du Mali, sans oublier ceux qui sont en étroite connexion avec les groupes mafieux qui sont installés dans le Nord-Mali. Le coup d’Etat du 12 avril 2012, entre les deux tours de la présidentielle, en Guinée Bissau, considéré comme un « Etat mafieux » (et cela décrit très mal la réalité politique et sociale de ce pays) et la plaque-tournante du trafic de cocaïne entre l’Amérique du Sud et l’Europe, s’inscrit dans la perspective d’un asservissement total du Nord-Mali par des groupes de « bandits armés ». « Ce qui est en cause, a déclaré le ministre portugais des Affaires étrangères, Paulo Portas, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, c’est le choix entre un Etat basé sur l’ordre constitutionnel ou un Etat-voyou basé sur le pouvoir du trafic de drogue ». Quand on sait ce qu’était la Guinée Bissau quand y régnait « l’ordre constitutionnel », on ne peut que frémir en imaginant ce que sera ce pays quand il deviendra un « Etat-voyou » !

La solitude dans laquelle se trouve Modibo Diarra s’exprime dans la difficulté qui est la sienne pour constituer un gouvernement qui tienne la route et qui, sans faire l’unanimité, fasse consensus à l’interne comme à l’externe. Premier ministre par la grâce de la Cédéao, Modibo Diarra l’est d’abord par sa proximité avec le Burkina Faso et les responsables politiques burkinabè (la dernière fois où je l’ai rencontré c’était d’ailleurs à Ouaga où il était en compagnie de son ami, Filippe Savadogo, alors ministre de la Culture, du Tourisme et de l’Information). Blaise Compaoré, médiateur dans la « crise malo-malienne », et Djibrill Y. Bassolé, son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale – omniprésent dans la gestion de ce dossier – savent mieux que quiconque que la seule issue à la crise est le dialogue et que le recours à la force (prôné par Abidjan, Abuja, Niamey et Nouakchott) serait une incursion dans une aventure dont personne n’est en mesure de savoir comment elle se terminera. A défaut d’éradiquer les « rébellions » qui sévissent dans le Nord-Mali et qui occupent militairement et socialement le terrain, il faut les asphyxier, les étouffer, les isoler… Il faut surtout empêcher l’axe Bissau-Tombouctou-Tamanrasset-Misratah, la route de la drogue, de se renforcer.

Trois mois viennent de s’écouler depuis le déclenchement par le MNLA de la « guerre » contre le pouvoir en place à Bamako (17 janvier 2012). Il y a tout juste un mois (22 mars 2012), le coup d’Etat militaire mettait par terre le régime d’ATT. Personne, aujourd’hui, ne sait combien de temps il faudra pour que le Mali retrouve son intégralité territoriale, que le pays soit totalement pacifié et que des élections puissent être organisées. Autant dire que Modibo Diarra va avoir besoin d’un sérieux coup de main de tous ceux qui veulent empêcher le pire de se produire en Afrique de l’Ouest. Des putschs à répétition ; l’ancrage des mafieux.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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