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CORRUPTION EN AFRIQUE : Et la responsabilité du chef de l’Etat ?

Publié le jeudi 19 avril 2012 à 02h15min

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Le Cameroun et le Tchad sont présentement sous les feux de la rampe, avec des poursuites engagées contre de proches collaborateurs du chef de l’Etat. Des figures politiques majeures arrêtées sont présumées avoir détourné des fonds. Mythes, réalités ou coup de bluff ? En tout cas, ce qui surprend dans ces dossiers du Cameroun et du Tchad, c’est le temps mis pour épingler les prévenus. En outre, dans les divers cas de figure, les avocats ont toujours soutenu que l’arrestation et l’inculpation des prévenus ont été entachées d’irrégularités. Comment donc, à un niveau aussi haut de l’appareil d’Etat, des individus ont-ils été capables, à eux seuls, de dissiper des montants aussi exorbitants, aux dépens du contribuable qui, lui, manque de tout ?

Quid du chef du gouvernement et du chef de l’Etat lui-même ? Car, visiblement, il y a toute une chaîne de complicités sur laquelle on ne saurait fermer les yeux.

Si les cas de corruption sont avérés au Cameroun comme au Tchad, reste à savoir si la personne du chef de l’Etat sera épargnée ou non par les enquêteurs. La Constitution ne rend-elle pas ce dernier moralement responsable de cet énorme gâchis ? N’est-ce pas lui qui choisit ses plus proches collaborateurs ? Ne lui rend-on pas compte quotidiennement du fonctionnement de l’appareil d’Etat ? Comment expliquer les faits et gestes de ses principaux collaborateurs durant des années, alors qu’il dispose de services de renseignements suffisamment bien outillés pour confondre et épingler les opposants ? Et ces forces de police et de gendarmerie de haut calibre, capables de le situer à tout moment, afin que soient prises les dispositions qui conviennent ?

Comment des collaborateurs aussi proches peuvent-ils avoir, sans inquiétude aucune, pris sur eux de détourner des sommes aussi colossales, d’engager des dépenses aussi faramineuses, dans un pays où les besoins primaires des populations sont encore loin d’être satisfaits ? Combien sont-ils, dans l’appareil d’Etat, à avoir fermé les yeux sur de telles infamies ? Comment croire à une telle fuite de responsabilité, en dépit de l’existence effective de délinquants à col blanc dans tous les pays du continent ? Combien sont-ils à avoir profité de ces forfaitures ?

Dans des pays bien organisés et où l’on s’assume, particulièrement en Occident, des manquements aussi graves se traduiraient inévitablement par une démission du chef de l’Etat himself. Car, l’échec de son équipe en la matière constitue un préjudice grave pour l’Etat et un vrai discrédit pour sa personne du fait d’une perte de crédibilité. Même si sur ce continent il est devenu banal de voir la politique donner la chasse à la morale, ne faudrait-il pas qu’un jour, l’un des prestigieux dirigeants, « outré », donne l’exemple en renonçant au trône devenu malodorant et inconfortable du fait des insanités et des abus ?

Certes, de gros poissons ont été pris dans les nasses des brigades anti-corruption. Mais pourquoi inquiéter seulement d’anciens grands responsables ? Au Niger, on avait eu le courage de lever l’immunité de certains députés afin de faciliter le travail des enquêteurs et de faire triompher la justice. Quelles dispositions a-t-on prises au Cameroun pour mettre le citoyen à l’abri d’une éventuelle farce ? Pourquoi la lutte contre la corruption ne s’étend-elle pas aux responsables actuels ? Les rats voleurs auraient-ils cessé de ronger le fromage sitôt les gens compromis écartés ? N’y aurait-il donc plus péril en la demeure ? En tout cas, le contexte de ces interpellations laisse perplexe. Pour certains critiques, les mesures prises ont des saveurs électoralistes, le pays se préparant à des consultations prochaines. Dans le cas du Cameroun par exemple, les arrestations interviennent à un moment où la révision du code électoral fait des gorges chaudes. Attraper de gros poissons aurait donc pour but de divertir l’opinion puisque parallèlement, on fait adopter des textes iniques. Bien entendu, cela permet en même temps d’écarter d’éventuels adversaires.

Au Tchad également, on chercherait à écarter d’éventuels prétendants au trône. Pourtant, nul n’ignore que sur ce continent, toute aventure de cet ordre est périlleuse. En effet, les portes des prisons sinon des cimetières, sont généralement ouvertes à tous ceux qui se laissent tenter par l’idée folle, qu’elle effleure l’esprit ou pas, d’aller ouvertement à la conquête du fauteuil présidentiel. Tant que certains chefs d’Etat voudront perdurer au pouvoir, des actions de ce type constitueront donc de la poudre aux yeux, des opérations de charme, des recettes miracles. Ces dirigeants auront du mal à convaincre, même s’ils affichent des dehors propres et font montre d’une réelle volonté politique dans le combat contre la corruption. Parce que de plus en plus, le citoyen et l’opinion publique refusent de se laisser prendre au jeu.

Les faits survenus au Cameroun et au Tchad montrent que les présidences ne sont pas loin d’être des passoires sur ce continent. L’entourage de nos Excellences serait-il devenu à ce point truffé de délinquants ? Depuis quand ? Combien font vraiment l’exception ? A quels saints alors vouer nos républiques ? Jusqu’où les enquêteurs pourront-ils aller dans leurs investigations ? Ira-t-on jusqu’à accuser les chefs d’Etat de complicité, de laxisme ou de fuite de responsabilité ? Pour l’heure, lutter contre la corruption s’avère très payant. D’abord au plan national : le régnant à vie profite pour tirer la couverture à soi. Ensuite à l’extérieur : le pays gagne des points, puisque disposant de bons indicateurs de performance à ce sujet. Mais, il y a lieu de prendre garde, la lutte contre la corruption étant en passe d’être instrumentalisée par les acteurs politiques eux-mêmes. Les Africains qui ne sont pas dupes savent bien que comme le dit l’adage « le poisson pourrit toujours par la tête ». Il y a donc loin de la coupe à la lèvre.

Le citoyen africain ne demande pas au seigneur président en cause, même par la faute de ses proches, de se suicider comme du temps des ancêtres. Eux, avaient le sens de l’honneur. Mais qu’au moins, il admette d’avoir échoué dans ses tentatives de résoudre les problèmes élémentaires du peuple. Celui-ci, désespéré d’avoir trop longtemps attendu, trouve injuste de le voir s’agripper au pouvoir, couvrir les indélicatesses de ses proches et chercher continuellement à faire porter le chapeau aux autres. De nos jours, peu d’Africains osent croire que le premier responsable d’un Etat gangrené par la corruption, la gabegie et la cupidité est lui-même innocent. N’est-il pas l’incarnation d’un système qu’il a activement contribué à mettre en place ? La preuve est donc faite que le sommet de l’Etat échappe difficilement à la délinquance. Chacun, à quelque niveau qu’il soit, doit en être pleinement conscient. Il y va de la responsabilité du citoyen électeur lui-même. A commencer par les générations montantes, qui devront ultérieurement payer le prix de tout manquement grave.

« Le Pays »

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