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Amath Dansokho : la mémoire politique dans l’équipe Macky Sall-Abdoul Mbaye (1/3)

Publié le lundi 16 avril 2012 à 21h02min

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« Nous ne sommes pas servis par la conjoncture ». A l’issue du premier conseil des ministres de ce jeudi 12 avril 2012, les mots d’Amath Dansokho sonnent comme un rappel au réel. « On a énormément de choses à faire parce que beaucoup de choses ont été détruites. Ce qui est le plus important, c’est le fait [que le président de la République] ait souligné le rétablissement des valeurs républicaines ».

La présence du « Vieux » à cette réunion de cabinet exprime pleinement la continuité historique de la République du Sénégal. Né le 13 janvier 1937 – il est mon aîné de dix ans + 1 jour ! – Dansokho n’est plus le jeune homme qu’il a été. Mais il est la mémoire politique du Sénégal quand le Premier ministre, Adboul Mbaye, est un « non-politique » et que le président de la République, Macky Sall, n’est guère beaucoup mieux loti en la matière. Dansokho, lui, est l’archétype des militants qui ont consacré toute leur existence à construire et faire vivre le parti auquel ils ont adhéré dans leur jeunesse.

On ne parle plus guère de Dansokho. Et il n’est pas certain que la jeune génération sénégalaise ait un souvenir précis de l’homme politique (au sens le plus noble du terme) qu’il n’a jamais cessé d’être. Et qu’il demeure. La meilleure preuve en est que Sall vient de le nommer ministre d’Etat (sans portefeuille) auprès du président de la République. Ce qu’il faut prendre comme un hommage, certes, mais également comme la volonté d’avoir à portée de la main un homme dont l’expérience politique est considérable.

Personne ne peut soupçonner Dansokho de vouloir « aller à la soupe » ; on dit qu’il était même réticent à accepter cette fonction et je ne doute pas qu’il l’ait fait au nom d’un « patriotisme » qui l’a toujours animé au même titre que l’exigence de « solidarité » et de « justice ».

Dansokho vient de loin. D’un univers oublié : celui du communisme au temps où Moscou régnait sur l’Europe de l’Est et que la « guerre froide » opposait « capitalistes » et « anti-impérialistes ». Le Komintern, alors, avait essaimé partout dans le « monde libre » à travers l’anti-fascisme, l’anti-colonialisme, l’anti-impérialisme, la culture de la paix et de la solidarité… Très tôt, Dansokho sera considéré comme l’archétype du militant communiste internationaliste. Un engagement qui s’est décidé dès lors qu’il a été admis à l’examen d’entrée en classe de 6ème. L’histoire mérite d’être contée.

Dansokho, fils de Bakary Dansokho et de Goula Sène, est né à Kédougou, dans l’extrême Sud-Est du Sénégal, non loin de la frontière avec la Guinée. La ville deviendra célèbre, sous Léopold Sédar Senghor, quand y seront emprisonnés Mamadou Dia, Valdiodio Ndiaye, Joseph Mbaye, Ibrahim et Alioune Sarr. « Babagoula » va s’initier, tout d’abord, à l’étude du Coran avant de rejoindre l’école primaire de Koudougou (1946-1950) puis l’Ecole Duval de Saint-Louis (1950-1951). En cette période des luttes anticoloniales, Bakary Dansokho est une personnalité de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO), qui deviendra, par la suite, le Parti socialiste français. Mais Dansokho préférera la IIIème Internationale marxiste-léniniste (le Komintern, inféodé à Moscou) à la IIème internationale des sociaux-démocrates. Un choix qui, dit-on, résulte de son succès à examen d’entrée en 6ème. Il avait alors reçu en prix le livre de Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français (PCF) : « Le Fils du peuple » (écrit en 1937, l’année de naissance de Dansokho). C’est au lycée Faidherbe, toujours à Saint-Louis, que Dansokho va préparer son bachot tout en militant activement.

Arrestation et emprisonnement (pour fait de grève) vont décider de son engagement politique. Il rejoint le Parti africain de l’indépendance (PAI) que venait de créer (15 septembre 1957) Majhmout Diop (décédé en 2007), figure emblématique du communisme sénégalais. Bachelier en 1958, Dansokho va s’inscrire en faculté des lettres à l’université de Dakar et conquérir la vice-présidence de l’Union générale des étudiants d’Afrique occidentale.

Mais c’est le journalisme qui sera sa grande passion. Il va lancer « Dakar Etudiant » qu’il sera contraint de faire imprimer à Conakry, les imprimeurs sénégalais ayant été informé que l’acceptation de ce travail les priverait de tout contrat public. C’est à Conakry également que Dansokho se rendra pour acquérir les armes qui devaient servir à déclencher l’insurrection au Sénégal. Conakry-Kankan par le train, Kankan-Bamako par la route, Bamako-Dakar à nouveau par le train.

A l’occasion des élections municipales, Saint-Louis, ancienne capitale de l’AOF, était tombée aux mains du PAI. Situation inacceptable pour Dakar. D’autant plus inacceptable que le PAI prônait alors la lutte armée : des cadres du parti avaient été formés à Cuba, les armes transitaient par le FLN algérien et Diop, conformément à l’idéologie de l’époque, rêvait d’une guerre de maquisards à la vietnamienne ! Diop sera arrêté, emprisonné, condamné, prendra la fuite, sera à nouveau condamné par contumace, dirigera le PAI depuis Bamako puis Moscou, Accra, Alger.

Dansokho milite, lui, activement sur le terrain sénégalais, au détriment de ses études, dans les organisations de jeunesse et les syndicats étudiants, participe à la Conférence de solidarité des peuples afro-asiatiques de Conakry (qui préfigure la Tricontinentale) avant de s’installer à Prague, capitale de la Tchécoslovaquie (alors une plaque tournante pour toutes les connexions internationales entre « communistes »), pour y représenter le PAI.

En juillet 1963, au lendemain de la condamnation par contumace à dix ans de réclusion de Diop, Dansokho reviendra au Sénégal alors que le parti traverse une crise au sein de sa direction. Il va être arrêté et emprisonné à Dakar en 1964 mais parviendra à gagner Bamako (où Diop est installé) à l’occasion d’une mise en liberté provisoire.

C’est dans la capitale malienne qu’il sera nommé secrétaire du Comité central (CC), chargé des relations internationales. C’est encore à Bamako qu’il rencontrera Ernesto « Che » Guevara, qui séjournait à l’ambassade de Cuba. Le Mali, où le « Che » a débarqué le 26 décembre 1964, est sa première incursion en Afrique subsaharienne ; il y fera une tournée qui lui permettra de prendre des contacts avec l’Afrique « révolutionnaire ». Dansokho, de son côté, s’entretiendra avec le leader ghanéen Kwame Nkrumah de son projet de lutte armée au Sénégal. Mais les pressions exercées par Dakar sur Bamako vont obliger les leaders du PAI a trouver un autre point de chute. Pour Diop, ce sera Moscou (où il assistera, en mars 1966, au XXIIIème congrès du PCUS alors que le Kremlin commence à dénoncer l’aventurisme cubain).

Dansokho, lui aussi, se rendra à Moscou, cornaqué par Mikhaïl Souslov, l’idéologue du PCUS, qui pensait « que le choc de ce qui subsistait d’empires coloniaux occidentaux et l’affaiblissement du système capitaliste face à la marche en avant des forces socialistes, progressistes et anti-impérialistes étaient historiquement inévitable ». Il séjournera également à Cuba et en Algérie (au moment de la prise du pouvoir par Houari Boumediene) mais c’est à Prague qu’il s’installera. Il collaborera alors à La Nouvelle Revue Internationale (NRI), la publication des partis communistes. Il sera également « permanent » à l’Union internationale des étudiants (UIE) sous tutelle de Moscou et vivier du KGB, et à la FMDJ, organisateur du festival mondial de la jeunesse et des étudiants (là encore, une organisation sous contrôle du Komsomol soviétique, l’organisation de la jeunesse communiste).

En 1968, quand éclatera à Prague la révolution « anti-stalinienne » tchécoslovaque, broyée le 21 août 1968 par les chars soviétiques, Dansokho refusera de soutenir l’intervention des troupes du Pacte de Varsovie et d’exfiltrer sa femme et sa fille à Moscou. Il ira même jusqu’à soutenir publiquement Alexandre Dubcek et ses alliés réformistes, opposés à la « normalisation » imposée par Moscou. Mais cette prise de position le mettra en rupture avec la direction du PAI. Le parti connaissait pendant ce temps des jours difficiles au Sénégal. Les manifestations spontanées et gauchisantes de la jeunesse en 1968-1969 donneront un sacré coup de vieux au parti « stalinien ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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