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Alioune Badara Cissé, ministre des Affaires étrangères de Macky Sall : « Pour une diplomatie qui aura des options militaires ».

Publié le lundi 16 avril 2012 à 10h23min

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C’est, incontestablement, un effet collatéral de la crise que traverse le Mali. Mais aussi de la situation d’insécurité qui prévaut partout à l’Ouest de l’Afrique de l’Ouest. Au-delà de la situation qui prévaut à Bamako, il y a les tensions qui se ravivent avec Nouakchott, les incertitudes du côté de Bissau.

Du même coup, voilà le nouveau ministre des Affaires étrangères et des Sénégalais de l’extérieur qui proclame haut et fort : « Je suis pour une diplomatie qui aura aussi des options militaires, une diplomatie qui ne ménagera aucun effort pour le respect de l’intégrité du pays. On ne joue pas avec les principes du droit international ».

La Casamance renouerait-elle - au lendemain d’une présidentielle au cours de laquelle elle n’aura pas fait l’objet, véritablement, d’engagements pour demain - avec sa tentation sécessionniste ? Alioune Badara Cissé est, protocolairement, le premier des ministres dans le gouvernement Macky Sall/Abdoul Mbaye. L’acronyme de son nom : ABC, n’y est pour rien ; chacun sait, à Dakar, qu’il est non seulement le plus proche des collaborateurs du nouveau président de la République mais, surtout, son ancien directeur de cabinet et l’ancien secrétaire général du gouvernement quand Sall était premier ministre. Autrement dit : il est bien plus que le patron de la diplomatie, en quelque sorte un Premier ministre bis. Il a d’ailleurs affirmé que « le ministère des Affaires étrangères ne cessera pas d’être ce qu’il a été, c’est-à-dire un ministère transversal qui travaille avec les autres ministères, notamment la Défense, l’Intérieur, l’Agriculture, les Finances ou encore l’Energie, entre autres ». C’était loin d’être le cas pour son prédécesseur, Madické Niang, et même pour Cheikh Tidiane Gadio qui a été le patron de la diplomatie sénégalaise pendant près d’une décennie (2000-2009). ABC a prôné, ce mercredi 11 avril 2012, lors de la cérémonie de passation de service avec Niang (tous deux avocats, ils se sont fréquentés lors de leurs études à Toulouse), une diplomatie « loin de tout ce qui est tambours et trompettes », ce qui sera une rupture d’avec la diplomatie de Wade, le « Vieux » voulant participer à toutes les médiations possibles et imaginables, y compris les plus aléatoires et les plus incertaines.

Juriste de formation, avocat de profession, formé en France et aux Etats-Unis (il maîtrise parfaitement l’anglais qu’il a d’ailleurs professé), ABC a mené sa carrière politique au sein du PDS. Il a quitté le parti de Wade quand Sall a abandonné la présidence de l’Assemblée nationale en 2008. Il l’a rejoint alors dans le cadre de l’Alliance pour la République (APR), devenant son coordonnateur national et étant élu, en mars 2009, conseiller municipal de Saint-Louis (dont il sera premier adjoint au maire jusqu’à ce qu’il s’engage pleinement dans la campagne pour la présidentielle qu’il va marquer de son empreinte ; c’est lui qui conseillera à Sall de se démarquer du reste de l’opposition à Wade regroupée au sein du M23).

ABC n’est pas un spécialiste des relations internationales, mais il a une vision claire de ce que veut son patron et de comment il entend l’obtenir. Cela tient en trois mots : « retour aux fondamentaux ». Autrement dit, le Sénégal n’a plus les moyens d’avoir des ambitions disproportionnées. Et dans le message à la nation, prononcé le 3 avril 2012 au lendemain de sa prestation de serment et à la veille de la célébration de la fête de l’indépendance, les seuls mots de Sall concernant les affaires étrangères auront été pour affirmer qu’il a « donné des indications précises pour la rationalisation de notre carte diplomatique ».

Une carte diplomatique sénégalaise « rationnelle » prend nécessairement en compte « les liens […] d’une nature et d’une densité exceptionnelles » qui existent entre le Sénégal et la France*. Au temps de Wade, les relations entre Paris et Dakar n’avaient pas toujours été au beau fixe. Cheikh Tidiane Gadio, le patron de la diplomatie sénégalaise de 2000 à 2009, avait la fibre yankee ; et Wade espérait beaucoup plus de Washington que Washington ne lui a accordé. Il y aura le contentieux avec Jean-Christophe Rufin, notre ambassadeur de France rappelé dès lors que Wade l’avait jugé trop peu « diplomate ». Il y avait aussi que, pour remplacer Doudou Salla Diop, un diplomate de carrière demeuré près de sept ans ambassadeur à Paris, Wade avait fait nommer, fin 2008, Maïmouna Sourang Ndir, assistante sociale d’Etat qui avait été, un temps, ministre (PME, Entreprenariat féminin et Micro-finance puis Cadre de vie et Loisirs) et dont la compétence, disait l’opposition, se limitait à être proche de Karim Wade et de son mouvement Génération du concret. On dit d’ailleurs que le premier acte posé par ABC a été de la rappeler à Dakar afin qu’elle soit remplacée par « un personnage d’envergure qui va dignement représenter notre pays sur une place aussi stratégique ».

La visite à Paris de Macky serait déjà programmée afin de « redonner à la diplomatie de notre pays son lustre d’antan ». Ce serait pour le mercredi 18 avril 2012, une visite de travail de 24 heures qui permettrait au chef de l’Etat sénégalais d’être invité à déjeuner à l’Elysée. On pourrait s’étonner de cette précipitation de Sall : quatre jours plus tard, le premier tour de la présidentielle française sera organisé et tous les indicateurs sont (actuellement) au rouge pour le président sortant. Mais si l’Afrique n’a pas été une préoccupation sincère pour Sarkozy, la perspective d’une victoire de la gauche socialiste en France ne semble pas réjouir quelques gouvernements en place. Le samedi 14 avril 2012, l’UMP organise à Paris, Salle Gaveau, un grand raout de racolage des « partis frères » africains sur le thème : « La France et les printemps africains. Regards croisés ». Autour de Jean-François Copé, le patron de l’UMP, on retrouvera ainsi non seulement le RDR ivoirien (normal, son président, ses ministres et ses cadres doivent leur job aux contribuables français), l’UFR de Sidya Touré et l’UFDG de Cellou Dalein Diallo (tous deux guinéens) mais également… l’APR de Macky Sall. Le « club des libéraux » d’Afrique – enfin, les plus fréquentables ! Je me permets de rappeler le tollé provoqué par le déplacement à Dakar du candidat du RDR à la présidentielle et de son staff de communication (conduit par Ally Coulibaly, actuel ambassadeur de Côte d’Ivoire à Paris) au lendemain de l’annonce de sa qualification pour le second tour.

Alioune Badara Cissé, à cette occasion, avait fustigé une audience inopportune entre Wade et ADO à Dakar, rappelant que, déjà, Wade s’était illustré en déclarant quelques années auparavant que les Burkinabè étaient mieux traités en France, ex-puissance coloniale, qu’en Côte d’Ivoire**. Le premier déplacement à l’étranger d’ADO, une fois au pouvoir, a été pour Wade à Dakar. Sall n’est pas un inconnu en France. Premier ministre, il avait séjourné à Paris, en visite officielle (3-5 juillet 2006) et privée, rencontrant son homologue (Dominique de Villepin) et des membres du comité Afrique du MEDEF afin de présenter sa stratégie de croissance accélérée (SCA). Sans succès : « Le Sénégal ne parvient plus à séduire les entreprises françaises » avait titré le quotidien économique Les Echos du 6 juillet 2006. Il y revient près de six années plus tard, cette fois en tant que président de la République. Mais si l’alternance s’est produite au Sénégal, il se pourrait qu’elle soit à l’ordre du jour en France ; et le soutien affiché de son parti à la victoire de Sarkozy (car c’est bien de cela qu’il s’agit) pourrait faire quelque peu désordre dans les futures relations entre Paris et Dakar.

* Je reprends là les mots utilisés par Nicolas Sarkozy dans sa lettre à Macky Sall au lendemain de sa victoire à la présidentielle. Le président de la République française ajoute au sujet des relations franco-sénégalaises : « L’amitié profonde entre nos peuples et la coopération étroite entre nos deux pays représentent, pour l’un comme pour l’autre, un héritage précieux. Ce héritage, je suis convaincu que nous saurons, à l’instar de nos prédécesseurs, l’entretenir et le faire fructifier ».

** Quand, au début des années 1990, Laurent Gbagbo avait été emprisonné à Abidjan, ADO étant premier ministre, Wade, qui venait de sortir de prison, avait dépêché ABC en Côte d’Ivoire pour négocier la libération du leader ivoirien.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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