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Abdou Mbaye, premier ministre du président Macky Sall : Au nom du père et du monde des affaires (1/2)

Publié le vendredi 13 avril 2012 à 03h12min

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A quoi pense un président de la République quand il nomme, pour la première fois, son Premier ministre ? Plus encore quand il a été premier ministre lui-même. Et qu’il est devenu président de la République après avoir battu, au deuxième tour, le président sortant dont il avait été, justement, le chef du gouvernement. Valéry Giscard d’Estaing, dans ses mémoires (« Le Pouvoir et la Vie »), avait consacré tout un chapitre à cette question essentielle du choix d’un premier ministre soulignant d’emblée que « l’annonce du nom du Premier ministre constituera ma première décision aux yeux de l’opinion ». Macky Sall, élu président de la République, ayant choisi de nommer Abdoul Mbaye, a voulu donner un signal fort aux Sénégalais qui ont massivement contribué à sa victoire en voulant la défaite de son prédécesseur, Abdoulaye Wade.

Une coalition de leaders politiques venus d’horizons les plus divers. Ce qui, bien sûr, ne facilitait pas sa tâche, chacun d’eux considérant que Sall lui devait sa victoire. Il a donc choisi de nommer comme chef du gouvernement un homme d’affaires plutôt qu’un homme politique ; et un fils plutôt qu’un père. Car Abdoul Mbaye est, d’abord, le fils aîné (il porte d’ailleurs le prénom de son grand-père paternel) – la fratrie comprend huit enfants, s’il est l’aîné des fils, il n’est pas l’aîné des enfants, il y a, avant lui, deux filles : Aminata et Fatou) – de Kéba Mbaye, l’archétype de « l’honnête homme » africain, un « en haut d’en haut ». Et pour comprendre qui est le fils, il convient d’abord de rappeler le parcours du père.

Car on ne cessera jamais de comparer l’un à l’autre ; et on attendra toujours du fiston que son action illustre les valeurs dont l’Histoire a paré son père : honnêteté et éthique.
Kéba M’Baye*, décédé le 11 janvier 2007, était une sommité. Un honnête homme qui avait su mener une carrière internationale remarquable sans jamais oublier qu’il était un fils de la terre d’Afrique, porteur d’une histoire et d’une tradition. Il était né le 5 août 1924, à Kaolack. Son père, Abdoul M’Baye, était cultivateur ; sa mère était née Coura M’Bengue. Diplômé de l’Ecole normale William-Ponty, à Gorée, Kéba M’Baye va débuter sa carrière comme instituteur. Le 27 avril 1951, il épousera Henriette Diarra et ils auront huit enfants. Il ne restera pas longtemps instituteur. Ayant obtenu une licence en droit et un DES de droit privé, il va rejoindre la magistrature. Il sera juge intérimaire à Dakar (1954-1956) puis substitut du procureur de la République près le tribunal de Saint-Louis et le tribunal de Dakar (1956-1958).

En 1958, il rejoindra le cabinet de Bernard Cornut-Gentille, ministre de la France d’outre-mer, avant d’être nommé directeur de cabinet du ministre de la Justice de la Fédération du Mali puis du ministre sénégalais des Postes et Télécommunications (1959-1962). C’est alors qu’il rejoindra la Cour suprême de la République du Sénégal. Il y est tout d’abord conseiller puis président de section et enfin Premier président (1964). Il avait 40 ans !

Il va présider la Cour Suprême jusqu’en 1982. Un record de longévité. Il envisageait, d’ailleurs, de faire éditer ses discours (rassemblés par un magistrat, ex-footballeur professionnel, Youssoufa N’Diaye, ministre d’Etat chargé des Sports limogé du gouvernement à la suite de l’échec des Lions en phase qualificative de la Coupe du monde de football 2006). A ce titre, il sera celui qui, le 1er janvier 1981, recevra, au palais de justice, le serment sur la Constitution du nouveau président de la République du Sénégal, Abdou Diouf.

A cette occasion, Kéba M’Baye invitera le chef de l’Etat à l’ouverture politique et à « instaurer la justice sociale ». Il obtiendra, l’année suivante, la présidence du Conseil constitutionnel mais en démissionnera, à la surprise générale, le 2 mars 1993, à l’issue de la présidentielle (il sera alors remplacé par… Youssoufa N’Diaye). On évoquera alors les « controverses apparues à la suite des élections législatives de cette année-là ». Mais la carrière de juriste de Kéba M’Baye n’a pas été que sénégalaise. Elle a été, également, africaine et internationale. En octobre 1992, à Libreville, les chefs d’Etat africains de la zone franc et leur homologue français lui confieront la présidence d’un triumvirat (les deux autres membres étaient les conseillers d’Etat français, Martin Kirsch et Michel Gentot) chargé d’élaborer un projet de traité visant à combattre la « balkanisation juridique » (expression favorite de Kéba M’Baye) dans le domaine du droit des affaires.

Cette démarche va aboutir, en 1997, à l’OHADA, l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires. En 1998, M’Baye, « façon d’accompagner l’OHADA » dira-t-il, va créer l’Association pour l’unification du droit en Afrique (UNIDA). Il travaillait encore, d’ailleurs, à la veille de sa mort, à l’harmonisation du droit du travail à travers la rédaction d’un code commun à l’Afrique.

Si l’OHADA a été un de ses engagements majeurs, c’est le CIO qui va lui donner sa dimension internationale et médiatique (plus que la vice-présidence de la Cour internationale de justice de La Haye assurée de 1983 à 1991). Il avait été admis au Comité international olympique (CIO) en 1973 ; il rejoindra la commission exécutive en 1983 et dirigera sa plus haute instance juridique : le Tribunal arbitral du sport (TAS). En 1997, on évoquera même sa possible candidature à la présidence de la commission exécutive pour remplacer en 2001 l’Espagnol Juan-Antonio Samaranch. M’Baye avait une réputation d’homme intègre, de dialogue et de compromis, animé, également, par une grande rigueur intellectuelle. C’était aussi un amateur de sports : il avait pratiqué le tennis et gardera une passion intacte pour le golf. Ce bourreau de travail (levé à 5 h 30 en musulman pratiquant, adepte du guide tidiane Serigne Abdoul Aziz Sy, il était deux heures plus tard au bureau) avouait une seule ambition : « Aller habiter à Somone, sur la Petite Côte sénégalaise, où j’ai une maison, et y aménager un terrain de golf ».

En 1999, il va se trouver confronté à la plus grave crise qui secoua le CIO : des accusations de corruption portées à l’encontre d’un certain nombre de membres (notamment africains) du CIO dans la perspective de l’organisation des Jeux d’hiver à Salt Lake City en 2002. M’Baye était alors président de la commission juridique ; c’est lui qui va créer et diriger la commission ad hoc chargée de « faire la lumière sur cette question ». A cette occasion, il définira sa démarche que l’on peut résumer ainsi : 1 – « Je suis juge et j’ai l’habitude de me baser sur des faits – pas sur des rumeurs ou des hypothèses ». 2 – « Il ne fait aucun doute que la corruption n’a pas de patrie ». 3 – « Malheureusement, c’est une pratique qui se répand de plus en plus, partout dans le monde. L’Afrique n’en a pas le monopole. La corruption est une infraction extrêmement grave ». 4 – « Je ne suis pas un être exceptionnel.

Je suis un magistrat, je suis comme tout le monde, un être humain. Je ne peux pas prétendre lever l’étendard de l’Afrique. Tous les Africains y contribuent. Des personnes ont commis des violations à nos règlements. La plupart n’ont même pas le sentiment d’avoir commis une faute. Il ne faut pas considérer cela comme une situation infamante pour l’Afrique ». 5 – « Il faut que les gens comprennent qu’en Afrique, nous avons une tradition de cadeaux et de générosité, ce qui peut expliquer certaines choses ».

Kéba M’Baye, jusqu’à la fin de sa vie, va multiplier les missions et les interventions qui le conduiront, loin de Dakar et de son appartement parisien de l’avenue Mozart, à travers l’Afrique et l’Europe. Intégrité, dialogue, compromis le caractérisaient, disaient ceux qui le connaissaient. Le juriste qu’il était savait aussi ne pas juger et, plus encore, ne pas condamner avant d’avoir compris. Tout compris. Le 10 janvier 2009, à l’occasion du deuxième anniversaire de sa mort, la Fondation Kéba Mbaye a été créée à Dakar. Elle entend promouvoir l’éducation, la justice sociale et le développement et offre également des bourses sportives.

* Mbaye s’écrit désormais ainsi mais, longtemps, Kéba M’Baye avait utilisé cette orthographe.

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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