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Tombouctou gâte le sommeil de Paris

Publié le mercredi 4 avril 2012 à 13h45min

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« Si le Mali ne commence pas à se montrer sérieux [en matière de lutte contre le terrorisme], les grands bailleurs de fonds internationaux devraient le menacer de couper leur aide ». C’était, il y a plus de deux ans, l’avertissement donné par celui qui était alors ambassadeur de France à Bamako, Michel Reveyrand. Le Mali était alors considéré comme un « carrefour en devenir du trafic de cocaïne » ; on mettait en cause des « détournements d’importants financements alloués par le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme » ; on disait que Bamako était le « talon d’Achille de la lutte contre AQMI »…

L’image du Mali était déjà sérieusement écornée en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord mais également en Afrique de l’Ouest du fait de la passivité affichée par Amadou Toumani Touré (ATT) face au comportement de Laurent Gbagbo, alors solidement ancré à Abidjan. On évoquait des connexions entre l’entourage du chef de l’Etat malien et le clan Gbagbo : l’argent pour les uns, les armes pour les autres ; et les réseaux mafieux pour tous !

Deux ans plus tard, ATT n’est plus au pouvoir à Bamako (ni Gbagbo à Abidjan) et personne ne va le pleurer à Washington, Paris, Ouagadougou… Le problème, c’est que la chute d’ATT a permis la victoire dans le Nord du Mali de toutes les « rebellions » : celle des Touareg comme celle des nébuleuses « islamistes radicales ». Paris pourrait s’accommoder d’une négociation avec le MNLA. Mais dans le sillage de la « révolution » touarègue s’infiltrent les islamistes radicaux et autres groupes salafistes adeptes de la « charia » : AQMI, Ansar Dine, Boko Haram… Présent à Dakar pour la prestation de serment du nouveau président de la République du Sénégal, Macky Sall, le ministre français des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Alain Juppé, pousse l’Afrique de l’Ouest à réagir fermement.

La « situation est dangereuse », a-t-il dit ; plus encore elle « se dégrade très rapidement » dès lors que face à la « faction touarègue » se trouve une « fraction islamiste » composée de « djihadistes extrémistes » (on notera la nuance toute diplomatique, mais essentielle, entre « faction » et « fraction », laissant entendre que les Touareg sont les maîtres d’un jeu dans lequel se sont infiltrés les « djihadistes »). Et en pleine campagne électorale français, Juppé a ce cri du cœur : les otages français détenus dans le Nord du Mali (ils sont encore six) « nous désignent explicitement comme une cible ».

D’autant plus que, dans le même temps, à Paris, Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, joue au petit soldat (ou plus précisément au petit croisé) prononçant des fatwas (pardon, des ordres d’expulsion) contre des imams (dont le malien Almany Baradji et l’algérien Ali Belhadad) et des « militants islamistes » tandis que les « effets collatéraux » de l’affaire Mohamed Merah se font sentir et risquent d’envenimer un peu plus les mauvaises relations entre Paris et Alger. « Aucune indulgence » et « tolérance zéro » pour les islamistes « anti-français » proclame Nicolas Sarkozy ! Paris « va-t-en guerre » contre l’islam radical. En France, pas au Mali. Mais Tombouctou (les salafistes y auraient expulsés les combattants du MNLA) empêche l’Elysée et le Quai d’Orsay de dormir. D’où ce forcing diplomatique et cette promesse « d’aide logistique ou de formation » à la Cédéao d’ores et déjà sur le pied de guerre (embargo total contre la junte, mise en place immédiate de la force d’attente) tandis que Paris a obtenu, dès aujourd’hui, une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies pour soutenir l’effort militaire de la Cédéao.

A la tête de la Cédéao, Paris peut compter sur Alassane D. Ouattara. Le président ivoirien est loin d’être un chef de guerre, mais ne peut, évidemment, rien refuser à l’Elysée et à son ami Sarkozy. D’autant plus que les autres chefs d’Etat sont, eux aussi, sur une ligne de fermeté même s’ils n’entendent pas l’exprimer de la même façon. Ouaga, ainsi, à l’encontre de bien d’autres, pense qu’il faut jouer le coup avec plus de finesse que cela n’a été fait jusqu’à présent et qu’il faut éviter de débarquer sur ce terrain miné avec de trop gros godillots. Blaise Compaoré n’est pas pour rien le roi de la médiation et de la facilitation ; et les militaires africains, il les connaît mieux que personne (ce qui n’a pas empêché, en 2011, que ses propres bidasses aient ambitionné de botter le cul de la hiérarchie politique et militaire).

Hormis Nouakchott et Alger, Ouaga et Niamey sont (géographiquement et politiquement) en première ligne dans cette affaire. Et la Cédéao doit savoir qui est l’ennemi : la junte toujours en place à Bamako (mais il était évident qu’elle avait envie de trimballer tout le monde – cf. LDD Spécial Week-End 0532/Samedi 31 mars-dimanche 1er avril 2012) ? Les Touareg du MNLA ? Les « islamistes radicaux » ? Elle doit savoir aussi qui, dans cette affaire, peut être son allié. Paris, de son côté, pense que dès lors qu’ATT, sa « bête noire », a été dégagé en touche, il s’agit d’éradiquer les islamistes et que, dans cette opération, la France pourrait nouer des alliances avec les Touareg au prix de quelques arrangements du côté de Bamako. Entre deux maux, il faut savoir choisir le moindre !
Pour nouer et dénouer les alliances, Paris peut compter, à Bamako, sur son ambassadeur : Chistian Rouyer.

L’homme qu’il fallait pour un poste diplomatique pas comme les autres. Nommé en conseil des ministres le mercredi 20 janvier 2011, Rouyer héritait d’une situation difficile : la présence d’AQMI sur le terrain, la mort de Michel Germaneau puis de Vincent Delory et d’Antoine de Léocour, les séquestrations dans le Nord du Mali des otages français dont ceux enlevés sur le site AREVA au Niger… Fils d’un officier général (André Rouyer qui a été, notamment, l’historien des combats de l’Argonne pendant la Première guerre mondiale), une filiation qui explique sa parfaite maîtrise de l’allemand puisqu’il a été élève du lycée français de Landau in der Pfalz en 1960-1961 avant d’effectuer son service militaire, en tant qu’aspirant, au sein du 46ème RI stationné en Allemagne, Christian Rouyer appartient à une famille qui a beaucoup servi sous l’uniforme, à terre comme en mer.

Titulaire d’une licence en droit et d’un DES de droit public, c’est le 1er janvier 1973, à la veille de son vingt-troisième anniversaire (il est né le 30 janvier 1950, à Saint-Mandé, département du Val-de-Marne), qu’il a rejoint le Quai d’Orsay via le modeste concours interministériel pour l’emploi d’attaché d’administration centrale. Stagiaire du cycle préparatoire au concours d’entrée à l’ENA (1978-1979), il rejoindra la promotion « Henri-François d’Aguesseau ». A sa sortie de l’Ecole, il sera nommé et titularisé secrétaire des Affaires étrangères le 1er juin 1982. Il ira au Caire (1982-1984) et à Berlin (1985-1988) avant de rejoindre le cabinet du ministre de l’Intérieur (1991-1992), le socialiste Philippe Marchand, un proche de François Mitterrand. Il reviendra alors au Quai d’Orsay, sera en poste à Munich puis à Barcelone, enfin en charge de l’action humanitaire, avant d’être détaché au ministère de l’Intérieur et de rejoindre la préfectorale. Préfet du Jura (2005-2008) puis de l’Aube (2008-2010), il était revenu au Quai d’Orsay le 7 juin 2010 dans l’attente d’une nomination comme ambassadeur. Ce sera donc le Mali (Rouyer a beaucoup parcouru le monde, notamment l’Afrique du Nord et l’Afrique de l’Est mais aussi la Côte d’Ivoire, la Namibie…).

Dès le samedi 24 mars 2012, deux jours après la réussite du coup d’Etat (jeudi 22 mars 2012), Rouyer a pris langue avec le CNRDRE pour lui dire qu’il s’engageait dans une « impasse » et l’assurer de la « disponibilité de la France à œuvre pour faciliter une issue rapide à cette crise ». Rouyer va devoir aussi convaincre que la France n’est pour rien dans cette opération de déstabilisation du Mali (une rumeur persistante à Bamako) écrivant un long texte intitulé « comment croire… » soulignant notamment : « Comment croire… un seul instant que la France qui a contribué à sauver la population de Benghazi, qui se pose en défenseur de celle de Homs, puisse ne pas condamner un massacre qui serait perpétré sur le sol malien ? ». O.K. mais au-delà de la « condamnation » d’un « massacre » qui, jusqu’alors, n’est pas avéré ?

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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