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Après « la crise sociale sans précédent » de 2011, le premier ministre Beyon Luc Adolphe Tiao, salue le « sursaut patriotique » des Burkinabè

Publié le dimanche 1er avril 2012 à 18h08min

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C’est un exercice inscrit dans la Constitution qui est un formidable acquis politico-social. Chaque année, le premier ministre burkinabè est tenu de se présenter devant les députés du pays pour prononcer son discours sur la situation de la nation, le DSN dans le jargon du « pays des hommes intègres ». C’est, pour les observateurs, une mine d’or qui permet d’avoir sous la main, en un seul document, tous les éléments d’informations sur la situation politique, économique, sociale… du pays. C’est bien plus que cela aussi. Au fil des années, le style des premiers ministres burkinabè diffère. Pour le titulaire de la fonction, c’est un moment important. L’occasion de mettre l’accent sur ce qui lui semble important dans l’évolution de la société dont il a la charge, sachant qu’il s’adresse non pas à la cantonade mais à des élus locaux.

Cette année, cet exercice a été assuré par Beyon Luc Adolphe Tiao alors que la quatrième législature de l’Assemblée nationale, débutée en juin 2007 et prévue pour s’achever en juin 2012, a été prorogée afin d’organiser des élections couplées, législatives et municipales, début décembre 2012. Ce discours-bilan doit être aussi un discours-perspectives. L’année 2011 ayant été celle « de tous les dangers » pour le Burkina Faso (et avec le recul, et ce qui se passe au Mali, on ne peut que se dire que le pire a été évité), Tiao avait dû se résoudre à prononcer un premier DSN le 13 octobre 2011 : celui de son prédécesseur, Tertius Zongo, étant obsolète. Mais le bilan présenté n’était pas celui du nouveau promu. Nous avons donc, hier, jeudi 29 mars 2012, entendu le premier « vrai » bilan du gouvernement post-« mutineries ».

102 minutes pour nous dire d’où vient le Burkina Faso, où il se retrouve et où il veut aller. Pas de grandes surprises. Tiao est sur le terrain tous les jours (il a été nommé voilà moins d’un an, le 18 avril 2011). Pas en représentation ; en mode action. Le militant révolutionnaire qu’il a été en son temps est toujours perceptible, en filigrane, dans son mode de production politique. Ne pas parler pour ne rien dire ; parler pour agir. Totalement et authentiquement burkinabè, conscient que « le pays des hommes intègres » ne se circonscrit pas à Ouaga et que sa réalité sociale est tout autant celle des producteurs agricoles que de la jeunesse urbaine. Même si cette réalité sociale est aussi difficile pour les uns que pour les autres. Tiao connaît le pays et les hommes et les femmes qui le peuplent.

Et si Zongo, formaté par son parcours américain, voulait, selon moi, aller trop vite, trop loin, Tiao sait jusqu’où il peut aller sans se poser en donneur de leçons si ce n’est à l’adresse de ceux qui ont la responsabilité de faire quelque chose et qui ne le font pas toujours (il faut le voir s’insurger contre les projets qui n’avancent pas comme ils devraient). Le bilan du Burkina Faso tient en quatre mots : « crise sociale sans précédent ». Tiao ne se voile pas la face. Il sait qu’en 2011 le pire était possible et que si le pire n’est pas arrivé c’est grâce au « sursaut patriotique » des Burkinabè. Il le sait et il le dit. Pour le reste, chacun fait son boulot : le président du Faso, le chef du gouvernement, le gouvernement, les députés… Dans une conjoncture difficile de précarité céréalière qui frappe 34 % des ménages agricoles (alors que le Burkina Faso est, par ailleurs, obligé d’accueillir, d’ores et déjà, 22.000 réfugiés maliens). C’est là que le bât blesse : le déficit céréalier a été plus fort que prévu.

Tiao souligne que la production céréalière a chuté de 20 % par rapport à l’année précédente et de 5 % par rapport à la moyenne des cinq dernières années. Ce qui fait dire à Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana que le pays est « tenaillé par la faim » (L’Observateur Paalga - 30 mars 2012). Image qui est loin d’être abusive ; l’insécurité alimentaire est une réelle préoccupation dans un contexte régional tendu. Même si le Burkina Faso, qui demeure un pays rural et agricole, tend à devenir un pays minier. Mais chacun sait que ce secteur d’activité n’est pas créateur de richesses pour les populations (et l’est difficilement pour le pays). Alors que la production industrielle d’or a littéralement explosé (+ 41 % entre 2008 et 2011), la question de l’impact socioéconomique et environnemental des mines ne cesse de se poser. Et Tiao a annoncé une étude pour cerner les problèmes qui se posent et les ajustements qui sont nécessaires.

Dans une conjoncture difficile (le taux de croissance a régressé de 7,9 % en 2010 à 4,1 % en 2011 alors que l’ambition est une croissance à deux chiffres), Tiao est soucieux des tensions qui s’exacerbent à tous les niveaux de la société, y compris là où on ne les attend pas. C’est pourquoi, dès son introduction, il a mis l’accent sur l’insécurité alimentaire mais aussi sur les drames qui se nouent autour de problèmes qui ne semblent pas en être. Il a fait ainsi référence au drame qui a provoqué le massacre à l’arme blanche d’une dizaine de personnes, la mort du bétail, le déplacement de près d’un millier de personnes, à Guénon, dans la commune rurale de Tiébélé (province du Nahouri, à la frontière avec le Ghana), autour d’un différent sur la chefferie traditionnelle et le rapport de celle-ci avec la municipalité.

Car c’est cela aussi la réalité politique et sociale du Burkina Faso ; même si, dans cette affaire, nous sommes bien loin de la réunion qui, à Paris, dans les locaux de la Banque mondiale, a réuni tout le gratin des bailleurs de fonds internationaux autour de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD) présentée par Tiao les 1-2-3 février 2012. « Le drame de Guénon nous interpelle sur les crises et les conflits récurrents, consécutifs à des luttes intestines, liées à la chefferie traditionnelle* dans plusieurs régions de notre pays » a-t-il affirmé.

Tiao est intervenu autour de quatre thèmes : « développement des piliers de la croissance accélérée et de l’émergence ; consolidation de l’investissement humain et promotion de la protection sociale ; développement institutionnel et renforcement de la gouvernance ; dynamiques nouvelles pour l’économie et priorités transversales ». Un discours loin du débat politique, ancré dans les réalités économiques et sociales du pays. Qui dresse un état des lieux sans concession même s’il y manque cette chair humaine qui permet de mettre le doigt sur les difficultés des populations, rurales et urbaines. Ce n’est pas, pour autant, un discours technocratique. Ni un exercice de communication comme trop souvent cela l’a été par le passé. Pas question, non plus, de faire un numéro devant des députés largement acquis à la cause gouvernementale.

Zongo aimait à truffer ses DSN de très nombreuses citations dont on se demandait parfois où il avait été les chercher. Tiao est bien plus dans la retenue en la matière. On notera cependant son penchant pour les citations « motivantes » et « positives », souvent reprises par les adeptes du « développement personnel » et de « l’idéologie du bonheur ». Il cite ainsi Jim Rohn, un entrepreneur US auteur de « Stratégies de la prospérité », en vogue ces dernières années dans les milieux du « coaching », et termine avec la belle citation du physicien US Robert Goddard, décédé en 1945 après avoir été un précurseur en matière spatiale (sans jamais avoir assisté, cependant, au triomphe de ses idées) avec la conception de fusées à propulsion liquide et à stabilisation gyroscopique : « Il est difficile de définir ce qui est impossible car le rêve d’hier devient d’espoir d’aujourd’hui et la réalité de demain », phrase qu’il avait prononcée en 1904, à vingt-deux ans, lors d’un discours de fin d’année scolaire.

* Trop longtemps, la question de la chefferie traditionnelle a été éludée dans l’histoire du pays. « C’est ainsi qu’en dépit des efforts déployés pour l’indépendance, les chefferies seront marginalisées par la nouvelle élite politique africaine qui, après avoir combattu la colonisation, au nom de la liberté et pour la citoyenneté, n’entendait pas devenir les sujets de monarchies restaurées », écrit le professeur Albert Ouédraogo, maître de conférences de lettres à l’Université de Ouagadougou, dans un très intéressant texte : « Revisiter l’indépendance du Burkina Faso pour mieux construire le futur » (« Hommage au professeur Joseph Ki-Zerbo », Harmattan Burkina, Ouagadougou, 2010).

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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