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Abidjan en « représentation », Dakar en « alternance », Bamako dans le chaos, Ouaga une fois encore en première ligne.

Publié le jeudi 29 mars 2012 à 11h41min

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La réunion de la Cédéao à Abidjan a été un formidable ballet diplomatique comme les aiment les Ivoiriens ; avec une « danseuse étoile » : l’hélicoptère qui a permis le transfert des chefs d’Etat de l’aéroport international Félix Houphouët-Boigny jusqu’à la salle de conférences de l’hôtel Ivoire. Mais ce grand raout diplomatique aura permis, contrairement aux habitudes, de prendre des décisions immédiates.

La condamnation des putschistes a été unanime et il a été affirmé qu’il fallait poursuivre le processus électoral en cours. Mais pour le reste, pour ce que nous en savons aujourd’hui, rien n’a été tranché. Le reste tient en trois mots : junte, ATT et rébellion. Que faire de la junte au pouvoir ? Que faire d’ATT dont on ne sait pas toujours pas quel jeu il joue ? (à l’heure où j’écris ces lignes, il déclare à l’AFP qu’il est à Bamako et qu’il n’est « pas prisonnier » puis, dans un entretien avec RFI, il se dit « libre dans son pays »). Comment « préserver l’intégrité territoriale » du Mali, autrement dit comme « traiter » la rébellion ? Thomas Yayi Boni, président du Bénin et président de l’Union africaine, a trouvé ce qu’il pense être la formule magique : « Avec notre cher doyen, Blaise Compaoré, nous allons pouvoir trouver une solution appropriée à cette situation ». Autrement dit Blaise va se « démerder » de tout cela comme il a réussi à se « démerder » des autres crises ouest-africaines !

Un peu court. A Ouagadougou, et tout particulièrement à Kosyam, on jugeait déjà, avant même la chute d’ATT, que la question qui se posait était de savoir sur quel fil tirer pour démêler la pelote malienne. Trop d’interlocuteurs ; pas assez d’interlocuteurs crédibles. Plus encore, beaucoup d’interférences « étrangères ». Et une finalité des actions menées qui est particulièrement floue. Plus floue encore depuis une semaine. Un président de la République aux abonnés absents depuis huit jours mais dont personne ne pense qu’il ne soit pas responsable du « bordel » dans lequel se trouve son pays mais qui n’est ni mort ni emprisonné. Une junte militaire bien encombrée par un pouvoir dont elle ne sait pas quoi faire, qui passe son temps à rédiger les articles d’une constitution (espérons que les bidasses ont été s’acheter un dictionnaire à défaut d’un traité de droit constitutionnel) dont personne ne peut penser qu’elle sera un jour mise en œuvre. Une classe politique déboussolée et qui voit sa certitude d’alternance – ATT n’étant pas candidat – remise en question non seulement par une « rébellion touarègue » venue d’ailleurs et un coup d’Etat militaire venu de nulle part.

Une société civile qui tergiverse, pas mécontente de se débarrasser d’un ATT qui ne faisait plus consensus depuis longtemps, mais bien embarrassée par des militaires qui font mauvaise impression dans l’air du temps d’aujourd’hui et dont la compétence – en matière militaire comme en matière de gouvernance – est sujette à caution. Une « rébellion » qui est une nébuleuse multi-facettes et dont les revendications sont territoriales, politiques, culturelles, religieuses sans que l’on soit persuadé qu’elles soient pour autant la motivation profonde de l’action menée sur le terrain. Un calendrier ingérable : le premier tour de la présidentielle était prévu pour le dimanche 29 avril 2012, présidentielle à laquelle ATT n’était pas candidat conformément à la Constitution. Enfin, une crise malienne qui n’est pas qu’une « crise malo-malienne » compte tenu de son impact régional.

Moins d’une semaine après les événements de Bamako, la Cédéao a pu et su se réunir et choisir une ligne de conduite. Et avant même d’envoyer des émissaires à Bamako, un négociateur a été nommé. Sans surprise, c’est Blaise Compaoré. Et cette réactivité « TGV » a permis à ATT de sortir de son trou. Dans le quotidien privé burkinabè Le Pays, ce matin (mercredi 28 mars 2012), Boudni Ouoba a souligné « un unanimisme sans précédent [de la Cédéao] qui, s’il est suivi d’actions concrètes, pourra rehausser l’image de marque que la Cédéao qui dame d’ailleurs le pion à sa sœur puinée, c’est-à-dire l’Union africaine, réputée pour son indolence et son impéritie » ; et de cet « unanimisme », ajoute-t-il, « c’est sans doute, le président ATT, du fond de son trou jusque-là tenu secret, qui s’en trouvera réconforté ». Bien vu. ATT est effectivement sorti de son trou.

Dans un premier temps, en prenant contact avec l’AFP puis, dans un second temps, en accordant un entretien à Boniface Vignon de RFI. Et cet entretien – qui se limite à l’essentiel en ce qui concerne la « position » actuelle d’ATT et de sa famille – est précédé d’une « petite déclaration » selon les mots mêmes utilisés par ATT. Cette déclaration liminaire, qui explique qu’ATT ait pris le temps de sa rédaction, est claire et nette : « Je reste disponible et surtout compréhensif pour toute solution allant dans le sens de l’apaisement et de la sauvegarde de la démocratie malienne ». ATT ajoute : « Le plus important pour moi n’est pas ma personne ».

Cette émergence d’ATT serait une aubaine pour la Cédéao si la Cédéao avait eu le moindre doute sur la situation du « président » malien quelque part en « réserve de la République ». Car, bien sûr, le débarquement demain, sous la conduite d’Alassane D. Ouattara, président de la République de Côte d’Ivoire et président de la Cédéao, d’une délégation de chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest, n’est pas sans susciter l’irritation de Maliens qui n’aiment pas que la souveraineté de leur pays soit remise en question. Ils subissent, déjà, une « invasion » du Nord du Mali – ce qui explique, en partie, leur ressentiment à l’égard d’ATT – et n’entendent pas être sous tutelle d’un pro-consul burkinabè* à l’instar de ce qui se passe en Côte d’Ivoire où le représentant du « facilitateur » (Boureima Badini) est l’interlocuteur incontournable des représentants de la « communauté internationale ».

Les « mutins » ont raté leur coup : disqualifier le chef de l’Etat « sortant ». ATT est toujours présent sur la scène politique et s’il est prêt à changer de statut, c’est qu’il est disposé à se construire une nouvelle image : celle du président de la République qui, injustement éliminé par une mutinerie qui n’est pas parvenue à le liquider physiquement (ce qui, aux dires d’ATT, était leur objectif), pousse la grandeur d’âme à ne pas s’engager dans une opération de reconquête d’un pouvoir qui lui aurait été injustement confisqué. ATT est là, et sera là plus encore demain, pour réaffirmer que non seulement le putsch du mercredi 21 mars 2012 a échoué mais que c’est lui qui représente la légalité républicaine. Et une continuité historique qu’aucun des « mutins » ne saurait illustrer (pour l’essentiel, ils n’étaient pas encore majeurs quand ATT a liquidé le pouvoir de Moussa Traoré).

Dans cette opération, le Burkina Faso se trouve, une fois encore, en première ligne. Faut-il s’en étonner ? Sûrement pas. Les « hommes intègres » ont été à l’origine du développement économique du Soudan français notamment dans le cadre de l’Office du Niger. Et ils ne l’oublient jamais. Quand, le 5 septembre 1932, la colonie de la Haute-Volta a été démantelée, le cercle de Ouahigouya, le canton d’Arbinda et une partie du cercle de Dédougou ont été rattachés au Soudan français ; cela non plus, ils ne l’oublient pas. Ce n’est pas un sentiment impérialiste qui anime Ouaga mais celui d’une profonde injustice qui a « formaté » le devenir du pays. Remettre de l’ordre au Mali, cela s’inscrit donc dans une cohérence historique. Une revanche sur un destin quelque peu injuste.

* Le 14 janvier 1959, la Haute-Volta avait rejoint la Fédération du Mali qui regroupait le Soudan (actuel Mali), le Sénégal et le Dahomey. Mais la première Constitution de la Haute-Volta, du 28 février 1959, reniera cette option en faveur du fédéralisme sous la pression de Paris et d’Abidjan, Ouagadougou rejoignant alors le Conseil de l’Entente sous tutelle de la Côte d’Ivoire. N’oublions pas que la Haute-Volta puis le Burkina Faso ont dû affronter deux guerres avec le Mali en 1974-1975 et 1985-1986. Ce qui, nécessairement, laisse des traces dans la mémoire collective.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 29 mars 2012 à 13:24 En réponse à : Abidjan en « représentation », Dakar en « alternance », Bamako dans le chaos, Ouaga une fois encore en première ligne.

    Où était la CEDEAO depuis le 17 Janvier quand les rebelles touarègues ont attaqué le Nord-Mali ? Si Yayi Boni et ses collègues ont la force nécessaire comme ils le disent, alors qu’ils aillent aider les Maliens à mater la rébellion touarègue. S’ils veulent être crédibles, ya que ça à faire en premier.

    S’agissant de la classe politique malienne, c’est de bonne guerre qu’elle refuse le changement de régime car c’est en fait leur propre procès qui est en cours en ce moment ! Tous ont pactisé avec ATT ces 10 dernières années dans ce truc bidon appelé consensus. De ce fait, ils sont comptables de la situation actuelle. L’idéal démocratique qu’ils prétendent défendre aujourd’hui, euh bien, ils l’ont tué depuis longtemps !!! Depuis quand une démocratie sans opposition peut-elle être érigée en modèle ?

    Si la CEDEAO est réaliste et qu’elle veut vraiment aider les Maliens, le mieux à faire c’est de négocier la transition la plus courte possible avec les hommes du capitaine Sanogo et lui prêter main forte au Nord-Mali.

  • Le 29 mars 2012 à 15:11, par kaf En réponse à : Abidjan en « représentation », Dakar en « alternance », Bamako dans le chaos, Ouaga une fois encore en première ligne.

    je suis pas du tout en accord avec votre article et en particulier la conclusion. le rappel historique n’a pas sa raison d’être. nous n’avons jamais accusé nos pays voisin que quoi que ça soit. car c’est vous les colons qui aviez crée cette merde chez nous

  • Le 29 mars 2012 à 15:27 En réponse à : Abidjan en « représentation », Dakar en « alternance », Bamako dans le chaos, Ouaga une fois encore en première ligne.

    J’ai jamais vu un président qui passe son temps à faire de l’angélisme inutile comme ATT.Un président, ça protège son pays, ça prend des décisions ce que ATT est incapable de faire et voilà dans quel trou il pousse son pays et lui avec.Un président c’est pas que de gros boubous bazin pendant que le nord est assiégé par des bandits armés. Qu’il parte c’est mieux, c’est quoi ce vaurien de démocrate, on s’en fou de son consensus , on veut qu’il garantisse les droits élémentaires des Maliens, vivre en paix, éduquer leurs enfants et c’est tout.

    Barister Smith Edouard.

  • Le 29 mars 2012 à 15:31, par TK En réponse à : Abidjan en « représentation », Dakar en « alternance », Bamako dans le chaos, Ouaga une fois encore en première ligne.

    Cette mediation de Blaise et ses paires de la CEDEAO ne pas une partie facile. Des manifestants ont bloque le tarmac de l’aeroport de Bamako obligeant ADO et Blaise a faire demi tour

  • Le 29 mars 2012 à 15:44, par le bon citoyen En réponse à : Abidjan en « représentation », Dakar en « alternance », Bamako dans le chaos, Ouaga une fois encore en première ligne.

    La CEDEAO peut trouver là une occasion à redorer son blason.

    1) Il faut que la CEDEAO soit ferme avec les putschistes. Ils doivent quitter le pouvoir et répondre de leur acte devant les juridictions de la CEDEAO.

    2) Il faut qu’une fois l’ordre républicain rétablit avec le retour de ATT au pouvoir, on pourra prolonger la date des élections, le temps que la CEDEAO envoie des troupes au nord du Mali pas pour observer un cesse le feu, mais tout simplement mater la rébellion et contraindre cette dernière à la reddition.

    Qu’on le veut ou pas, la CEDEAO est à l’origine de cette situation, en laissant le Mali seul affronter cette rébellion surarmée.

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