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La crise malienne ouvre une nouvelle période d’incertitude en Afrique de l’Ouest.

Publié le lundi 26 mars 2012 à 19h20min

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Quand l’armée est dans la rue, c’est que les politiques ont failli. Mais ceux qui pensent que les « corps habillés » peuvent apporter une réponse aux problèmes des Etats se trompent lourdement. Ils n’apportent jamais que le chaos*. Et, en ce qui les concerne, la tolérance zéro doit être la règle dès lors qu’ils envisagent de mettre le nez hors de leurs casernes. Encore faut-il, pour cela, que les institutions républicaines fonctionnent et que ceux qui ont la responsabilité de les faire fonctionner assument.

Manifestement, ce n’était pas le cas à Bamako en particulier et au Mali en général. Et nous voilà avec une équipe de charlots sur les bras dirigée par un capitaine à la voix cassée, Amadou Sanogo. On se croirait revenu aux pires moments de l’accession au pouvoir d’un certain capitaine Moussa Dadis Camara, à Conakry (Guinée), au lendemain de la mort de Lansana Conté. Sauf que le Mali n’est pas la Guinée, qu’Amadou Toumani Touré n’est pas Conté et, qu’en plus, Dieu merci, il n’est pas mort. Mais Sanogo n’a pas l’air plus éveillé que Dadis Camara**. Reste de tout cela rien d’autre que le pire : des soldats qui se prennent pour les sauveurs de l’Etat et de la Nation alors qu’ils n’en sont que les fossoyeurs. Tandis que le résultat de leur action va à l’encontre de leur revendication : « Nous voulons des armes pour aller combattre dans le Nord du pays ». Le Nord, ils l’on perdu. Leur seul fait d’arme est la prise de… l’Office de la radiotélévision malienne (ORTM), le saccage du palais présidentiel et la mise à sac des commerces de la capitale ! Pendant ce temps-là, la « rébellion » verrouille ses positions.

Une mutinerie déclenchée hier, mercredi 21 mars 2012, dans l’après-midi, à Kita, dans la banlieue de Bamako, et qui très rapidement va déferler sur Koulouba, où se trouve le palais présidentiel, avant que Gao (dans le Nord-Est), à son tour, ne cède à la tentation de la mutinerie. La messe était dite dès lors que le général Sadio Gassama, ministre de la Défense et des Anciens combattants, avait dû se retirer du camp « Soundiata Keïta » sous une volée de pierres. La République du Mali est tombée comme un fruit mûr. Pourri même. Pas un mot du chef de l’Etat, chef des armées (et militaire de formation), pas un mot des ministres, pas un mot des chefs militaires, pas un mot des leaders politiques candidats à la présidentielle du 29 avril 2012. Le mutisme du pouvoir face à la mutinerie de la soldatesque. On ne pourra pas dire que la République ait été beaucoup défendue par ceux qui entendent être rémunérée par elle ! Et voilà nos charlots aux allures d’une bande de fripouilles qui se pavanent à la télé en treillis, annoncent la dissolution des institutions, la fermeture de l’aéroport et des frontières, l’instauration d’un couvre-feu et… la reprise du travail le mardi 27 mars à partir de 7 h 30 GMT.

Il n’a pas fallu longtemps pour que les capitales (y compris Pékin) et la « communauté internationale » appellent au rétablissement de l’ordre constitutionnel. De la même façon que, depuis plus de deux mois, elles appellent à la fin de la « rébellion touarègue ». On se souvient qu’il y a moins d’un mois, le 25 février 2012, Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères et européennes, s’était rendu à Cotonou (Thomas Boni Yayi préside l’Union africaine), Ouagadougou et Bamako pour « encourager les deux parties [le gouvernement et les « rebelles »] à engager le dialogue car il n’y a pas d’autres solutions que de dialoguer et de trouver une issue à la réconciliation nationale ». Mais ni le dialogue, ni la médiation ne seront envisageables dès lors que les diplomates se focaliseront sur la « rébellion touarègue ».

Erreur fatale. Obnubilés par l’histoire personnelle d’ATT, son parcours politique et l’image incontestablement démocratique du Mali, les observateurs ont fait l’impasse sur la réalité du mode de production en vigueur à Bamako. Et ils ont passé par pertes et profits les dérives dont chacun avait connaissance pour se persuader que « tout va très bien Madame la marquise ». Le ver était dans le fruit ; le fruit vient de tomber : gâté ! De la même façon que l’on a traité la « rébellion touarègue » comme une affaire posant des problèmes « humanitaires » (on annonce, aujourd’hui, plus de deux cent mille déplacés dont beaucoup se sont réfugiés dans les pays voisins) et non pas « sécuritaires ». On s’est refusé, surtout, à voir dans ces événements déclenchés le 17 janvier 2012, une opération de déstabilisation structurée et concertée quelque peu instrumentalisée par l’entourage du chef de l’Etat qui ne voyait pas d’un bon œil la fin des « années ATT » ; des années qui auront permis de développer, au Mali, les opérations mafieuses et l’enrichissement illicite en marge des affaires d’Etat.

Il y a un an, non loin de là, le Burkina Faso a été frappé par des mutineries à répétition qui ont touché la quasi-totalité du territoire. Des morts, des blessés, des viols, des exactions contre les responsables politiques, des pillages, une insécurité totale pendant plusieurs semaines. Incroyable dans un pays où l’on pensait que les militaires étaient mieux lotis qu’ailleurs ; des militaires qui n’étaient pas, alors, engagés sur un quelconque front. L’éradication du mouvement a pris du temps, a coûté très cher au pays (et à son image) et s’est soldée par des morts, un coup de balai gouvernemental, un coup de balai administratif plus violent encore et la radiation de l’armée et de la police de centaines d’individus. Mais la République du Faso n’a pas sombré. Il n’est pas certain que tous les maux dont souffre la société burkinabè et que les « mutineries » ont mises au jour de façon impromptue en 2011 aient trouvé leur solution en 2012. Mais l’Etat et la nation ont résisté. Et ce sont même fortifiés à cette occasion. En mettant les choses à plat. Pas en se voilant la face où en cherchant des boucs émissaires là où ils ne sont pas.

Au Mali, la « rébellion touarègue » ne doit pas cacher la réalité du mode de production politique mis en œuvre à Bamako et, plus encore, dans le Nord du Mali. Il est bien évident qu’ATT et les siens ne se sont pas donnés les moyens de lutter comme il convient contre des organisations mafieuses qui ont nourri la corruption dans la capitale. Ce qui ne saurait justifier ce qui s’est passé hier et trouve son aboutissement aujourd’hui. Le Mali, je l’ai dit (cf. LDD Mali 017/Lundi 12 mars 2012) est un Etat en faillite et une nation en ruine. L’objectif des Maliens devait être, me semble-t-il, de reconstruire l’un et l’autre et non pas d’humilier un chef d’Etat dont le parcours est bien plus respectable que celui de beaucoup d’autres. Le Mali est aujourd’hui anéanti par ce qui se passe sur son territoire. Et Amadou Sanogo va avoir du mal à justifier son action. Sauf à laisser penser qu’il roule pour la « rébellion touarègue », AQMI, le mouvement salafiste Ansar Dine… et qu’il veut faire du pays de Soundiata Keïta un Etat fantôme comme l’est aujourd’hui la Guinée Bissau.

* Il faut raison garder et ne pas confondre des événements qui ne sont pas comparables. ATT a été qualifié, à juste titre, de « soldat de la démocratie malienne » quand, le 26 mars 1991 – il n’y a pas loin de vingt et un ans – il a renversé le régime de Moussa Traoré qui avait entrepris de massacrer la population malienne qui n’en pouvait plus d’un régime totalitaire qui avait viré à la dictature meurtrière. De la même façon, sans se réjouir de l’irruption des militaires dans le jeu politique du Niger, le départ de Mamadou Tandja, viré par les siens, a été une avancée démocratique.

** L’illustration d’un coup d’Etat sans fondement politique autre que celui d’être « vizir à la place du vizir » nous a été donnée, récemment, par Moussa Dadis Camara dans le quotidien burkinabè L’Observateur Paalga du mercredi 29 février 2012 (entretien avec Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana). « J’ai commencé à travailler à l’Intendance militaire, et compte tenu de mon caractère et de la générosité, déjà en 2001, j’étais populaire au sein de la troupe. En 2003, j’ai opté d’aller à la formation de parachutiste-commando et de capitainerie. C’est à partir de ce moment que je me suis dit que si je maintenais ce comportement, que si je restais correct, sincère envers moi-même et les autres, je pourrais être « quelqu’un demain » ; c’est dire que la loyauté que j’avais pour la président Lansana Conté plus ma réputation au sein de l’armée faisaient que j’étais prédisposé à ce moment-là à jouer les premiers rôles en cas de vacance du pouvoir. Mais à l’époque, j’avais juré de protéger le président Lansana Conté. Pour tout vous dire, à l’époque, j’ai eu trois occasions de déposer le président en place. A chaque fois, des hommes sont venus me dire de prendre le pouvoir, et j’ai dit non. J’étais l’un des rares hommes qui, lors des mutineries, pouvaient s’arrêter devant les mutins et leur demander de retourner dans les casernes. En 2004, je suis revenu de ma formation, et j’ai été conforté dans ma conviction qu’après le « Vieux », je pouvais avoir un destin national ». Comme le disait Thomas Sankara, « un militaire sans conscience politique est un assassin en puissance ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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