LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Amadou Toumani Touré (ATT). Portrait d’un général en « soldat de la démocratie malienne » et ex-président de la « démocratie consensuelle ».

Publié le lundi 26 mars 2012 à 19h22min

PARTAGER :                          

Amadou Toumani Touré est aux abonnés absents. Paris dit n’avoir plus de contact téléphonique avec le chef de l’Etat malien déposé par une clique de putschistes plutôt minables. Eux affirment que son « intégrité physique » est sauvegardée sans que l’on sache, par ailleurs, où il se trouve, ni même s’il est entre leurs mains.

Est-ce la fin d’une époque pour un homme qui aura marqué l’histoire de son pays et de l’Afrique francophone ? Aura-t-il les moyens de revenir sur le devant de la scène politique ? Avec quelle assistance étrangère ? Dans quel contexte politique ? Quoi qu’il en soit, il faudra retenir ce qu’à été son parcours avant de s’étonner qu’un tel parcours ait abouti à cette chute sans gloire.

Tout comme le leader ghanéen Jerry John Rawlings, il a fait le choix du métier des armes. A l’instar de Thomas Sankara, le leader burkinabè, il a osé se lancer dans une aventure dont on ne sait jamais comment on pourra en sortir : la conquête du pouvoir par les armes dès lors que les « politiques » et le jeu normal des institutions républicaines ne permettent plus à peuple d’être respecté par ses chefs. ATT est un de ces très rares putschistes africains qui, étant au pouvoir, accepteront de le céder aux « civils » après avoir remis de l’ordre. J.J. Rawlings s’était retiré des affaires publiques avant d’y revenir ; le général nigérian Abdusalami Abubakar, porté au pouvoir par le jeu successoral des militaires, l’abandonnera quelques mois plus tard à l’issue d’une élection présidentielle. Il est aussi un panafricaniste non pas dogmatique mais pragmatique, soucieux de promouvoir les institutions visant à l’intégration régionale. En cela, il a été plus proche de Modibo Keïta que du leader ghanéen Nkwamé Nkrumah (même s’il a été profondément marqué par son panafricanisme, tout comme par celui de Sékou Touré, Julius K. Nyerere, Jomo Kenyatta).

A la tête de la République du Mali, à deux reprises, il s’est préoccupé, à l’instar de son voisin burkinabè Blaise Compaoré, de renforcer les institutions, de mettre au travail l’administration et de métamorphoser la configuration politique, économique et sociale du pays. Enfin, comme feu Omar Bongo Ondimba, il a été de ceux qui se sont adonnés avec succès aux médiations et autres facilitations avant que la tâche n’incombent à Compaoré.

Amadou Toumani Touré aura été un homme multiple ; c’était aussi un homme rare. Un homme rare car son expérience est unique. Officier supérieur passé par la prestigieuse Ecole de guerre française, commandant des commandos paras, l’élite de l’élite militaire malienne, homme de rigueur et de devoir, respectueux de l’ordre et de la hiérarchie, il a, quand l’Histoire l’a imposé, assumé la responsabilité de renverser un pouvoir en place dont le peuple, martyrisé, ne voulait plus, un pouvoir qui ne pouvait plus assurer la gestion des affaires publiques et le développement économique et social du pays. « Tout est allé très vite, dira-t-il. Nous pensions que l’ancien président Moussa Traoré aurait accepté la réalité. Il n’y avait aucun moyen pour lui de contourner la vague de démocratie. Ce qui a précipité notre décision, c’est de voir cet homme s’enfermer dans un système de répression sanglante contre la population. Cette attitude nous a franchement révoltés. Mais nous n’avons fait que parachever l’œuvre de notre jeunesse et des organisation démocratiques ».

Entré par effraction dans « le corridor des tentations » dont personne, jamais, ne ressort intact, il a eu la rigueur morale suffisante pour, sa tâche accomplie, céder le pouvoir sans tentation d’y rester. « Dès le départ, affirmera-t-il, j’ai dit ceci à mes camarades : « Nous n’avons pas pris le pouvoir pour le pouvoir, nous l’avons pris pour le peuple, qui s’est battu avant nous. Rendons hommage à la bravoure de notre jeunesse et des organisations démocratiques. Nous n’avons fait que parachever une œuvre qui avait commencé sans nous ». ATT s’est alors imposé comme « le soldat de la démocratie malienne ». « Pour moi, cette expérience fut très enrichissante, commentera-t-il. Sur le plan de la connaissance de la nature humaine et de la société politique, j’ai beaucoup appris. Quant au bilan de notre gestion de la vie publique durant cette période, j’estime que nous avons réussi l’essentiel. C’est-à-dire remettre le pays sur les rails. Sans doute pourra-t-on toujours nous faire grief de ne pas être allés plus en profondeur dans certaines réformes. Mais c’est oublier le chaos dans lequel nous avons trouvé le pays. Alors que nous n’étions nullement préparés à y faire face ».

Devenu un homme d’expérience, s’étant frotté aux réalités internationales, conscient de ce qu’il fallait faire, sachant désormais comment le faire et avec qui il pouvait le faire, il a décidé de se soumettre au choix des électeurs à l’occasion d’une consultation électorale. Il fallait de l’humilité pour cela : il était auréolé de son titre de « soldat de la démocratie malienne », il menait une carrière internationale ; il a choisi de remettre tout en question pour se confronter à une nouvelle expérience : celle d’un président de la République élu, soumis aux aléas des ambitions politiques des uns et des autres et à la volatilité de l’opinion publique. « Cela a été une épreuve douloureuse. Mais mon credo, le rassemblement des Maliens, a trouvé un écho. Ma candidature a été portée par le Mouvement des citoyens, composé de centaines d’associations et de clubs de soutien, rejoint par 27 formations politiques. Entre les deux tours de l’élection, j’ai pris contact avec tous les leaders politiques écartés de la compétition par les urnes. Le ralliement, le 9 mai [2002] d’Espoir 2002 qui regroupe quinze partis à été déterminant. D’un point de vue arithmétique, c’est un record dans l’histoire politique malienne », expliquera-t-il par la suite. ATT s’est alors imposé comme « le président de la démocratie consensuelle ». Le « consensus national » mis en œuvre par ATT a été une expérience originale qui visait à promouvoir le développement du pays et à lui éviter les soubresauts politiques qui caractérisent, trop souvent, l’évolution des jeunes démocrates. « Il ne s’agit nullement d’un unanimisme stérile. Les députés ne ménagent pas l’exécutif. Il leur arrive bien souvent de demander aux ministres de revoir leur copies, au point que je me demande parfois si l’Assemblée nationale est avec ou contre nous. Mais, comme je n’ai pas l’âme d’un dictateur, je ne considère pas ces rejets comme une défiance ni comme un échec. J’invite le gouvernement à tenir compte des amendements ou à retirer carrément le projet de loi ».

Le Mali s’est imposé comme une référence culturelle et sociale. Il a accueilli les manifestations diplomatiques intra-africaines et internationales, le Forum mondial social ; il est devenu un pôle « alter-mondialiste » ; il organise le festival littéraire « Etonnants Voyageurs ». Ses élites s’illustrent dans le monde dans beaucoup de secteurs d’activité, y compris les plus « technologiques ». Le Mali est ainsi devenu pour les décideurs politiques « occidentaux » un interlocuteur privilégié… Jusqu’à ce que la donne régionale ait changé. Car c’est là le portrait « soft » d’ATT. Tout ce qui a fait l’image du chef de l’Etat – notamment son « consensualisme » – va se retourner contre lui dès lors que la situation va se tendre dans le Nord du Mali : opérations mafieuses et trafics de drogues avérés, prises d’otages « occidentaux » par AQMI, retour des combattants touareg de Libye… Face à une insécurité généralisée, les partenaires régionaux et internationaux du Mali, confrontés au même mal, ne vont cesser de dénoncer un Mali devenu le « ventre mou » de la lutte contre le terrorisme. Et en ATT « l’homme malade » de l’Afrique de l’Ouest dont certains se demandaient s’il avait l’intention de quitter le pouvoir à l’issue de la présidentielle du 29 avril 2012 et non pas de laisser instrumentaliser par son entourage la « rébellion tourarègue » pour accaparer, encore, le pouvoir.

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 28 mars 2012 à 16:47, par Damonzon En réponse à : Amadou Toumani Touré (ATT). Portrait d’un général en « soldat de la démocratie malienne » et ex-président de la « démocratie consensuelle ».

    Beau portrait. Il reste que jamais un chef d’Etat du Mali n’avait auparavant fait l’objet d’autant de mépris de la part du peuple. Il aurait suffi à un ATT de remporter quelques victoires militaires sur les rebelles pour que tout cela ne soit pas arrivé. Le Mali est un peuple fier de son histoire et ne tolère pas l’humiliation.
    La corruption à ciel ouvert, au vu et au su de tout le monde, la misère d’une population laissée à la merci des prédateurs de tous poils, c’est tout cela qui a provoqué la chute de Monsieur Amadou Toumani Touré.
    Enfin, certes, il a profité de la révolution du peuple pour renverser Moussa Traoré. Mais n’a pa rendu le pouvoir de gaîté de cœur, la société civile l’y a contraint, tout comme elle va contraindre le capitaine Sanogo à lâcher prise.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique