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Présidentielle 2012 au Sénégal : Les jeux sont faits pour Wade. Pas pour les « wadistes ».

Publié le lundi 12 mars 2012 à 14h23min

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Quatre semaines après le premier tour (dimanche 26 février 2012) ! C’est le dimanche 25 mars qu’aura lieu, finalement, la mise à mort du « sopi », le rêve inachevé des Sénégalais qui, voici tout juste douze ans, avaient porté au pouvoir suprême, dans un fol enthousiasme, maître Abdoulaye Wade, prophète de ce « changement » promis à tous. Quatre semaines donc pour préparer un enterrement de première classe !

Quel que soit le résultat du second tour de la présidentielle sénégalaise 2012 (mais qui peut décemment penser que Wade soit en mesure, s’il « gagnait », d’exercer un pouvoir alors confisqué ?), le Sénégal aura la gueule de bois quand il lui faudra prendre conscience que les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Et qu’il va falloir reprendre à zéro un processus démocratique dont Wade et son parti, le PDS, auront été le symbole jusqu’à ce qu’ils accèdent au… pouvoir pour en devenir les fossoyeurs. Il ne restera rien, politiquement, de ces douze années placées sous l’égide du « sopi ». Dommage. Le « Vieux » méritait une autre sortie de scène que ce cortège funèbre conduit, justement, par des hommes qui, pour l’essentiel, ont émergé tout autant socialement (pour ne pas dire financièrement) que politiquement sous sa présidence. Voilà donc Wade vaincu par son propre camp. Et il n’est personne pour avoir esquissé un geste à son égard.

Wade termine, officiellement, le premier tour en tête : 34,81 %. Macky Sall est qualifié pour la finale avec 26,58 % des voix. Derrière, seuls Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng, avec respectivement 13,20 et 11,30 %, passent la barre des 10 % des suffrages. Idrissa Seck ne fait même pas 8 % (7,86 %). Après, c’est la débandade avec deux candidats qui font entre 1 et 2 %, et tout le reste (soit la moitié des candidats) en dessous de 1 % ! Mais tous ces perdants ont aussitôt fait allégeance au nouveau challenger, qu’ils voient déjà en futur vainqueur. Et donc en distributeur de prébendes. On m’expliquera que c’est la règle du jeu politique ; je ne peux m’empêcher de trouver cela vraiment minable. Sall, jusqu’à présent, a été dans la retenue et a placé son opposition à Wade sur le seul terrain politique. Et chacun espère que les choses continuent ainsi au cours des deux semaines qui restent encore à vivre jusqu’au 25 mars 2012, dernière échéance.

Sall sait d’où il vient : le PDS. Et ce qu’il doit à ce parti même si, pour l’heure, il l’a quitté au profit de sa propre formation politique : l’Alliance pour la République (APR). Son staff est, pour l’essentiel, composé d’ex-PDS. Son programme est celui du PDS originel, la personnalité de Wade en moins. Ce serait, si elle se réalise, la plus étrange des alternances : le vainqueur de 2012 serait le directeur de campagne de celui qui l’avait emporté en 2007 et que, cette fois, il aurait battu ! Plus sur son comportement que sur son bilan (il y a, et je n’ai jamais cessé de le noter, du Sarkozy chez Wade ou, plus exactement, du Wade chez Sarkozy : la même suffisance ; les mêmes insuffisances).

Mathématiquement, Sall serait le vainqueur de Wade au deuxième tour avec près de 65 % des suffrages. Mathématiquement ! Au lendemain du 26 février 2012 et à la veille du 25 mars 2012. Mais entre les deux dates, un mois se sera écoulé. Et tout aura été possible. Non pas du côté du « Vieux » - qui n’a plus le punch qui était le sien en 2007 (à son âge, les années comptent double) – mais d’un entourage qui n’a pas envie de partir les mains vides après les avoir eues pleines pendant plus d’une décennie.

Fin de partie pour Wade ? Nécessairement. D’une façon « soft » ou « hard ». Mais ce n’est pas pour autant que les « wadistes » vont plier bagages sans rechigner : il y a trop d’argent en jeu ; et, sans doute, aussi, la perspective de quelques règlements de compte dont certains pourraient avoir des suites judiciaires. Macky Sall a été un proche parmi les proches de Wade. Il connaît le système de l’intérieur. Il a été son directeur de campagne en 2007 ; il sait comment cette victoire a été acquise. Je ne doute pas que des passerelles ont été établies entre le camp Wade et le camp Sall. Afin « de ne pas injurier l’avenir ». On se souvient que Sall, président de l’Assemblée nationale, avait placé Karim Wade dans son collimateur pour sa gestion, notamment, des fonds engagés dans le sommet de l’OCI. C’est aujourd’hui un souci pour le « Vieux ». Et pour les ultras du « wadisme » qui sont prêts à tout – y compris le pire – pour maintenir sous perfusion le régime en place.

Wade élu, y compris dans des « conditions calamiteuses » (pour reprendre la formule utilisée lors de la victoire de Laurent Gbagbo, en Côte d’Ivoire, en octobre 2000), tout deviendrait faisable. Et pour le faire élire, il faut faire mentir les mathématiques (les Guinéens y sont parfaitement parvenus lors de la dernière présidentielle). « C’est bien ce qui inquiète l’opposition, qui craint plus que jamais les fraudes, a écrit Rémi Carayol dans Jeune Afrique (4 mars 2012). « En ne trichant pas au premier tour, Wade a endormi les observateurs et la communauté internationale. Il ne pouvait rien faire, il était épié. Le sera-t-il autant au second tour ? » s’inquiète un cadre du Parti socialiste, qui relève des éléments troublants, comme cette abstention presque uniforme dans les différentes régions, conjuguée au discours de l’entourage de Wade selon lequel les abstentionnistes sont forcément des partisans du président sortant. Ou comme ce chiffre révélé par la mission de l’Union européenne : encore aujourd’hui, le fichier électoral compterait 130.000 morts… ».

Il pourrait arriver aussi que la situation militaire en Casamance change la donne politique. Des affrontements généralisés, une insécurité lors du vote, des incursions de « rebelles »… sont autant d’éléments qui, instrumentalisés par Dakar, pourraient radicaliser les comportements des uns et autres et conduire à l’instauration d’un état d’urgence qui conduirait à annuler la consultation électorale. D’autant plus facilement que Wade est le seul candidat qui ait réussi la performance d’être majoritaire dans plusieurs régions ; et c’était dans trois régions du Sud dont deux en Casamance (Sédhiou et Kolda) : autant dire que « l’insécurité » lui a bien profité dans la mesure où, sans doute, les « observateurs » n’étaient pas légion !

Mais dans le camp de Wade se trouvent aussi tous ceux qui pensent que les jeux sont faits et qui, d’ores et déjà, rejoignent celui de Sall. Ce qui est un abandon du « Vieux » sans pour autant être obligé de retourner totalement sa veste : Wade et Sall, c’est la même famille même si elle est divisée aujourd’hui par un conflit de générations. Mais il est des personnalités qui n’entendent pas attacher leur nom à une faillite électorale annoncée ou à une situation post-présidentielle détériorée qui pourrait amener la « communauté internationale » à n’avoir pas le même regard complaisant à l’égard du Sénégal. Ce qui n’est pas la meilleure chose pour Sall, les plus radicaux des électeurs sénégalais qui n’oublient pas qu’il a été le premier ministre du « Vieux » et qu’il n’était pas, politiquement, grand-chose auparavant, pourraient ne pas se mobiliser autant qu’ils l’ont fait lors du premier tour. Wade-Sall, « blanc bonnet et bonnet blanc » ? La question qui se pose est de savoir si le libéralisme de Sall parviendra à sortir les Sénégalais du chaos politique et social dans lequel ils ont été plongés par le libéralisme de Wade.

« Sans moi, sans moi. Ils vont rire, ils vont bouffer, ils vont danser sur ma tombe. Je n’aurai jamais existé. Ah, qu’on se souvienne de moi. Que l’on pleure, que l’on désespère. Que l’on perpétue ma mémoire dans tous les manuels d’Histoire. Que tout le monde connaisse ma vie par cœur. Que tous la revivent. Que les écoliers et les savants n’aient pas d’autre sujet d’étude que moi, mon royaume, mes exploits. Qu’on brûle tous les autres livres, qu’on détruise toutes les statues, qu’on mette la mienne sur toutes les places publiques ». Ce texte est signé du dramaturge Eugène Ionesco. Il est extrait de la pièce qu’il avait écrite au lendemain de la Deuxième guerre mondiale : « Le roi se meurt » !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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