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Alioune Tine, coordonnateur du M23 : "Wade a liquidé la démocratie sénégalaise"

Publié le lundi 12 mars 2012 à 02h55min

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En séjour à Ouagadougou où il dit être venu se mettre au vert, pour des raisons de sécurité, Alioune Tine, leader du Mouvement du 23-Juin (M23), livre dans cet entretien réalisé le 9 mars 2012 le sens de son combat en tant qu’activiste des Droits de l’Homme, à savoir restaurer la démocratie sénégalaise que Wade a liquidée.

On vous sait fréquent à Ouagadougou, mais qu’est-ce qui vous y amène cette fois-ci alors que les Sénégalais se cherchent un président ? Est-ce pour battre campagne pour un candidat ?

• Non, nous ne sommes pas là pour battre campagne pour un candidat. Nous sommes venu pour nous mettre un peu au vert, pour des raisons de sécurité. C’est aussi une occasion pour expliquer aux gens l’action du M23 (Mouvement du 23-Juin, Ndlr) et remercier chaleureusement toute la presse burkinabè, lui rendre un grand hommage parce que chaque fois que nous sommes en difficulté, quand nous avons par exemple été arrêté, nous avons suivi les éditoriaux sur Radio France Internationale (RFI). Sincèrement ça nous a fait un grand plaisir. J’ai été très touché par ce soutien unanime de toute la presse burkinabè.

Vous vous sentez donc en insécurité à Dakar ?

• Absolument ! J’ai reçu des menaces et le président de la République lui-même a tenu des propos selon lesquels il me considère comme son pire ennemi. Il faut donc que je fasse très attention.

Vous avez été, comme rappelé plus haut, arrêté à un moment donné ; quelles étaient les conditions de votre détention ?

• La Division des investigations criminelles (DIC) m’a gardé pendant 48h dans des conditions qui peuvent être assimilées à un enlèvement. On m’a arrêté sans mandat du procureur de la République. On a envoyé des éléments de la BIP (Brigade d’intervention polyvalente), qui est quand même une brigade qui s’occupe du terrorisme et de la lutte antigangs. Ils étaient très nombreux, de véritables malabars qui ne ressemblaient même pas à des policiers. Mais nous avons pu, avec la complicité de notre avocat, filé entre leurs mains et nous rendre tranquillement à la direction de la police judiciaire, pour subir tous les interrogatoires. C’était surtout après la validation de la candidature du président Abdoulaye Wade et suite aux manifestations qui s’en étaient suivies.

On avait un très grand rassemblement à la Place de l’Obélisque depuis le matin et nous avions prévu d’y passer la nuit, on y a amené des tentes. Donc on n’avait pas du tout l’intention de faire de la violence. Et d’ailleurs nos manifestations ont toujours été pacifiques. Nous agissons en tant qu’organisation de la société civile et organisation des droits de l’homme dans un cadre démocratique, légal et non violent. Tout cela, nous l’avons expliqué et de manière exceptionnelle, nous avons même eu les félicitations du commissaire de la police centrale pour notre manifestation du 23 décembre qu’on a appelée le Congrès du peuple. Elle avait réuni des centaines de milliers de personnes. Franchement, on s’est toujours dispersé dans l’ordre et dans la discipline. Chaque fois que la dispersion a été violente c’est qu’en réalité, nous avons été infiltrés.

Le jour de la validation de la candidature de Wade, le 27 janvier 2012, à un moment donné, on a envahi notre podium et on a commencé à jeter des pierres et des sachets d’eau aux leaders politiques. La voiture d’Ousmane Tanor Dieng et celle de Macky Sall ont été saccagées. Ils nous ont arrêtés et mis au violon dans des conditions exécrables, avec une cinquantaine de prisonniers ; il n’y avait pratiquement plus de place. La place qu’on a trouvée était près des toilettes avec une odeur nauséabonde et des tas d’ordures. Donc on était obligés de dormir debout.

Malgré tout, je voudrais saluer le courage des procureurs parce qu’après 48h de garde à vue, quand ils ont voulu prolonger, les procureurs se sont entendus pour dire : écoutez, vous l’avez pris sans nous, débrouillez-vous avec votre patate chaude. Je profite pour remercier tous les démocrates africains, les organisations des Droits de l’Homme qui ont fait beaucoup de pression auprès du gouvernement sénégalais. Je n’oublie pas le Quai d’Orsay. Je pense que toutes ces pressions internes et externes ont fait qu’ils m’ont jeté dehors après 48h de garde à vue.

Pour qui avez-vous voté au premier tour ?

• Le vote est secret (…rires). Comme vous le savez, je suis coordonnateur du M23, je travaille avec tous les candidats dans un très bon esprit depuis le début jusqu’à ce jour. Notre objectif c’était de refuser la candidature d’ Abdoulaye Wade. On a, en partie, échoué. Mais avec notre campagne et les manifestations, on a rendu Wade impopulaire. On a empêché d’abord depuis le 23 juin son projet de ticket pour un président et un vice-président élu avec 25%. Je pense que c’est une première victoire qui a inversé le cours de l’histoire et qui a stoppé son projet de succession dynastique. Ce projet est mort et celui du 3e mandat est en voie de disparition. Nous sommes quand même heureux parce que c’est un succès concret qu’attendaient les populations sénégalaises qui ont serré les dents et qui sont allées dans la paix, la discipline signifier au président Wade, par les urnes, qu’elles ne voulaient pas d’un 3e mandat. Je pense que c’est également un succès pour les démocrates africains parce qu’on était en contact avec eux. Ils m’ont dit : "Alioune, si l’expérience du Sénégal et du M23 échouent, ça sera une catastrophe pour l’Afrique". Je pense que nous allons empêcher ce 3e mandat avec le soutien que tous les candidats du M23 apportent à Macky Sall qui est du M23 et également celui de beaucoup de membres du Parti démocratique sénégalais (PDS) qui font défection pour venir soutenir Macky.

Comment voyez-vous la suite de l’élection ?

• Macky Sall bénéficie non seulement du soutien de tous les candidats du M23 mais aussi de tous les autres candidats sauf Abdoulaye Wade. De plus, on a en face une décomposition du PDS du fait de l’intention de Wade de donner le pouvoir à son fils. S’il avait effectivement gagné les élections, dans sa propre profession de foi au conseil constitutionnel, il a dit qu’il ne resterait que trois ans. S’il donne le pouvoir à son fils, la plupart des hiérarques de sa formation politique vont se sentir menacés. La première des choses c’est peut-être qu’on les élimine. Aujourd’hui si les élections se déroulent de façon transparente, le président sortant ne peut pas gagner. Nous allons y veiller et la communauté internationale va y veiller. Nous sommes en train d’attirer l’attention de la communauté africaine, notamment la CEDEAO, les présidents africains pour que le scrutin se déroule dans la transparence et la paix. Si cela réussit, il n’y a pas d’alternative pour Abdoulaye Wade, il sera battu. Au moment où je vous parle, il y a un comité de coordination du M23 qui se réunit.

Nous sommes en train de préparer la première grande manifestation du M23 à la Place de l’Obélisque pour le dimanche 11 mars 2012 (NDLR : l’entretien s’est réalisé le vendredi 9 mars 2012). Dès le samedi, le président Macky Sall lui-même va organiser une conférence de presse à Dakar avec tous les candidats du M23, les leaders politiques et de la société civile. Nous restons vigilants pour que tout puisse bien se dérouler pour le départ d’Abdoulaye Wade. C’est le vœu le plus cher de tous les Sénégalais et de tous les démocrates africains.

Mais Wade ne s’avoue pas vaincu, il compte sur les abstentionnistes du 1er tour (près de la moitié de l’électorat) pour renverser la vapeur…

• Franchement les gens qui entourent Wade lui racontent des histoires. Il a décidé de prendre en main sa campagne électorale avec le professeur Iba Der Thiam parce qu’il ne fait plus confiance à son Premier ministre qui, lui, ne croit plus à sa victoire. Si nous enregistrons la défection d’un ministre d’Etat comme Adama Sall qui va rejoindre Macky Sall, je pense que le président Wade n’a aucune chance. Je pense qu’aujourd’hui pour son honneur, pour sa dignité et pour éviter l’humiliation, la seule voie est qu’il retire sa candidature. Maintenant s’il veut aller jusqu’au bout, qu’il aille jusqu’au bout.

S’il va jusqu’au bout et gagne, allez-vous accepter le verdict final ?

• Je vous parle en tant que quelqu’un qui connaît bien la situation dans le pays, comme un expert en matière électorale. Aujourd’hui je ne vois pas par quel miracle il peut renverser la situation. Les Sénégalais en ont assez, tout simplement du fait de son âge qui, en réalité, tourne autour de 90-93 ans. C’est pourquoi lui-même ne se fait pas trop d’illusion en demandant trois ans. C’est vrai, tout ce que Wade a fait n’est pas mauvais. En matière d’infrastructure, il a fait beaucoup de choses et a fait avancer le Sénégal, mais en matière d’institutions démocratiques, il a été un grand démolisseur. C’est pour cela que chaque fois que je résume son action, je dis que c’est un bâtisseur d’infrastructures, mais un démolisseur d’institutions.

Il a dérégulé nos institutions comme ça n’avait jamais été fait depuis Léopold Sédar Senghor, parce que ce dernier nous a légué un Etat et une administration qui fonctionnent bien. Abdou Diouf a assuré la continuité et a renforcé la démocratie. Mais Wade a liquidé tout ça avec une Assemblée nationale totalement impuissante qui ne fonctionne plus et où sur 150 députés, vous ne pouvez même pas énumérer 10 de l’opposition. Une assemblée qui n’était même pas capable de faire face à la crise.

Pendant toute l’élection, la crise qu’on a connue, la violation de la loi électorale par le ministre de l’Intérieur ; pas une seule fois l’Assemblée nationale n’a convoqué le ministre de l’Intérieur pour lui demander des comptes. Nous avons eu en réalité deux contentieux assez lourds qui ont mis à rude épreuve nos institutions démocratiques. Vous prenez le Conseil constitutionnel qui a validé la candidature d’Abdoulaye Wade, c’est un grand scandale. Ils ont fait comme Paul Yao Ndré (1). Le jour de la validation a été le début où on a commencé à compter les morts au Sénégal. Donc on a un conseil constitutionnel dépassé, avec des juges aux ordres qui n’ont pas pu régler de façon pacifique un contentieux très lourd. Le deuxième organe qui a été mis à rude épreuve c’est la CENA (Commission électorale nationale autonome).

Quand le préfet a violé la loi électorale en empêchant des candidats de faire campagne à la place de l’indépendance et en organisant des répressions les plus dures qu’on ait connues. Franchement, si vous avez vu ces images de Dakar, des images de violences, des images de gaz lacrymogène surtout qu’on tire à bout portant sur des candidats, ça fait honte. Des candidats traînés à terre et qui se retrouvent au lendemain dans des cliniques, on n’a jamais vu des images de cette nature. C’est parce que le préfet et le ministre de l’Intérieur ont violé une disposition importante de la loi électorale qui peut permettre à tous les candidats de battre campagne sur toute l’étendue du territoire national. Et la CENA n’est pas arrivée à faire respecter la loi parce que c’est elle qui doit la faire respecter. En dépit des mises en demeure et des courriers qu’elle a envoyés au ministre de l’Intérieur et au préfet, elle n’a pas pu faire correctement son travail à un moment déterminant de la campagne électorale.

Vous n’avez pas pu empêcher la candidature de Wade. Quel était au juste le problème ? Etait-ce seulement l’âge du capitaine ou y avait-il une question de droit quand on sait que tous les juristes ne sont pas d’accord sur le sujet ?

• C’est d’abord une question de droit. Le 7 mars 2007, le président de la République a animé une conférence de presse, et répondant à une question de Christophe Boisbouvier de RFI sur la possibilité pour lui d’être candidat, il a réfuté avec véhémence qu’il ne pouvait pas être candidat. "J’ai verrouillé la Constitution donc je ne peux pas être candidat pour un troisième mandat". Pour lui, il n’était plus question qu’un président de la République puisse rester au pouvoir pendant 20 ans comme Senghor ou Diouf. Ce jour-là, il avait à sa droite Macky Sall qui était son premier ministre à l’époque et à sa gauche se trouvait Boubacar Dia qui était le porte-parole du gouvernement, ministre de la Communication.

Nous avons des constitutionnalistes au Sénégal et sur les 11 qui se sont exprimés, tous des professeurs de rang magistral, des consultants des Nations unies, de l’Union africaine et de certains pays, ils ont dit que le président de la République ne pouvait être candidat pour un troisième mandat au nom de l’article 104 de la Constitution qui bloque en réalité toute forme d’interprétation rétroactive, et au nom de l’article 28 de la Constitution qui limite le mandat à 5 ans renouvelable une fois. C’est par la suite que Wade a modifié la Constitution en faisant passer le mandat de 5 à 7 ans. Si vous avez écouté Macky Sall ces temps-ci, il dit qu’il va ramener le mandat à 5 ans et il va se l’appliquer. C’est ça la norme à l’international. Tous les constitutionnalistes se sont accordés sur cela. Nous avons fait un séminaire et il n’y a qu’un seul constitutionnaliste, Serigne Diop, qui a respecté l’obligation de réserve parce qu’il est le médiateur de la République. Donc sur le plan juridique, il n’y avait pas de débat. Pour nous répondre, Wade a été obligé lui-même d’aller chercher des constitutionnalistes à l’extérieur, notamment aux Etats-Unis, en France, au Canada pour venir interpréter notre propre constitution à nous. Nous les considérons en réalité comme des consultants parce que Wade leur a payé des billets d’avion, des limousines et leur a donné de l’argent.

Je ne pense pas que quelqu’un à qui vous donnez toutes ces ressources vienne dire le contraire de ce que vous attendez de lui. C’est ce qu’on appelle un conflit d’intérêt. Celui qui devrait parrainer cette manifestation s’appelle Seydou Madani Sy. C’est le premier recteur noir de l’université de Dakar, qui a été ministre de la Justice et qui a écrit d’ailleurs récemment un livre sur les différents régimes du Sénégal de 1960 à nos jours. Il a surpris tout le monde en soutenant que Wade ne pouvait pas se présenter pour un troisième mandat. Donc juridiquement, il n’y avait pas de problème.

Mais le pouvoir veut considérer le problème comme politique. En réalité, c’est un Tazarché (2) à la sénégalaise et qui a trouvé un dénouement sénégalais. Jamais on n’a résisté sur une durée aussi longue, plus de 8 mois pratiquement jour pour jour, nous sommes dans des manifestations, des débats et le dialogue. Franchement ç’a été des mois extrêmement riches où nous avons vu des administrateurs civils qui ont manifesté leur réserve et leur attachement à la République. Nous avons vu des magistrats à deux reprises sortir des communiqués de presse pour dénoncer l’impunité. Mieux, quand le président Abdoulaye Wade a dit que c’est lui qui avait sorti Idrissa Seck de la prison, ils ont dénoncé l’immixtion de l’Exécutif dans les affaires judiciaires. Tout cela s’est fait dans le cadre du débat citoyen.

En 2005, le même cas de rétroactivité ou non de la loi s’est produit au Burkina. Après la modification de l’article 37 de notre loi fondamentale. Et comme c’est le cas aujourd’hui au Sénégal, les juges constitutionnels burkinabè avaient donné quitus au président Blaise Compaoré. Avez-vous à l’époque suivi cela ?

Vous savez, les lois constitutionnelles sont d’application immédiate. J’ai un peu suivi ce qui s’est passé ici.

Effectivement il y a eu beaucoup de confusion. Les gens cherchent généralement la confusion pour pouvoir imposer une lecture du droit. D’ailleurs, le professeur Iba Der Thiam a écrit un long article pour évoquer la jurisprudence du Burkina Faso. Tous les juristes sénégalais l’ont récusé. Ici aussi je ne pense pas que tous les juristes étaient unanimes sur cette interprétation de la loi. Et je pense que ç’a eu un effet sur la présidentielle passée parce qu’un des candidats ne s’est pas présenté à cause de ce problème (Me Hermann Yaméogo Ndlr). Il y a quand même des critères de convergence dans la charte de protocole africain sur la démocratie et la gouvernance. De mon point de vue, il faut faire en sorte que dans ces critères de convergence, l’on puisse avoir les mêmes normes en matière de constitution surtout en matière électorale et d’organe de régulation électorale. Je pense qu’il faut aller vers un organe de régulation sous-régional et un règlement de contentieux. Parce que si vous avez une Cour constitutionnelle qui décide et c’est fini, ça pose un problème qui peut être la violence. Il me semble également que pour ce qui est du nombre et de la limitation du mandat, il faut faire en sorte qu’au niveau de l’espace ouest-africain tout le monde puisse les respecter. C’est la seule façon pour l’Afrique de l’Ouest d’avoir une sous-région stable politiquement. C’est avec une telle stabilité que l’on peut construire la prospérité.

Il y a eu beaucoup de violence au Sénégal pour empêcher la candidature de Wade. Finalement, avec le résultat du 1er tour, n’est-ce pas la preuve qu’il fallait faire confiance au peuple, seul juge en définitive ?

• Vous avez raison. En réalité on n’a pas choisi la violence. Quand vous regardez les sources profondes des conflits africains, ils viennent du tripatouillage de la Constitution, ça vient du fait que des présidents veulent rester président à vie, ça vient de la patrimonialisation des ressources de l’Etat. Donc je pense qu’il faut en finir avec tout ça. C’est le peuple sénégalais qui a choisi bien sûr d’aller aux élections. Mais nous au M23, nous l’avons absolument respecté. Nous avons prêché pour qu’il y ait des élections transparentes, démocratiques et pacifiques et on a appelé les gens à aller aux urnes. Partout où il y a eu des violences, c’est parce qu’on a voulu violer les libertés fondamentales des gens et ces derniers ont défié l’arbitraire. C’était le cas à la Place de l’Indépendance et à la Place de l’Obélisque. Ç’a été un moment important de résistance démocratique au Sénégal. Si on ne l’avait pas fait, Wade serait là. Donc la violence ne vient pas de nous.

On a parfois l’impression que vous êtes le premier opposant à Wade alors que vous êtes en principe de la société civile, donc censé respecter une certaine neutralité et être au-dessus de la mêlée.

• Nous sommes de la société civile, une organisation des droits de l’homme. Le premier travail que nous avons, c’est la surveillance des droits civils et des droits politiques. Toutes les organisations des Droits de l’Homme travaillent sur le respect et la promotion des droits civils et politiques. Nous ne sommes pas membre d’un parti politique, nous n’avons pas soutenu un candidat, nous avons lutté contre un 3e mandat qui est un mandat anticonstitutionnel. Nous nous sommes levés pour dire "Touche pas à ma constitution". Ce n’est pas la première fois qu’on l’a fait au Sénégal et c’est quand on l’a fait que les gens ont dit "Tient ! Alioune Tine est devenu maintenant un opposant. Il travaille avec l’opposition et les partis politiques". Mais nous avons travaillé avec la Guinée Conakry. Nous avons pris le terme "les Forces vives de la Nation" chez les Guinéens. A plusieurs reprises, nous avons assisté aux réunions que tenaient les Forces vives de la Nation avec les syndicats, les partis politiques et les organisations de la société civile. Il y a un moment où la République est menacée et c’est notre cas, parce qu’en réalité notre menace c’est la succession dynastique. Il fallait siffler un penalty et c’est ce que nous avons fait. S’il faut entrer dans la résistance, il faut le faire correctement et c’est ce qu’on a fait.

On l’a fait en Guinée Conakry, les gens nous ont félicités. Nous l’avons fait en Côte d’Ivoire avec Laurent Gbagbo, on a été très loin et je pense que vous nous avez suivis. On l’a fait aussi au Niger où je suis allé pratiquement avec toute une délégation de la société civile ouest-africaine où il y avait des Burkinabè comme Mathias Tankoano et Siaka Traoré pour dire à Mamadou Tandja "tu ne vas pas faire un troisième mandat". Au moment où on y était, il y avait la Francophonie, les Nations unies, la CEDEAO. C’était pour la première fois que la CEDEAO disait à Tandja au terme de son mandat qu’elle prenait acte de la fin légale de son mandat et qu’il n’était plus président.

C’est à ce moment que Wade s’est fâché contre les fonctionnaires de la CEDEAO à l’époque parce qu’il préparait lui aussi son Tarzarché. Qui ose affronter diplomatiquement le président Abdoulaye Wade ? C’est tout le problème. En Afrique de l’Ouest, personne n’a osé venir lui dire : "Vous n’avez pas le droit de faire ce que vous faites". Pourtant lui, il l’a fait à Olusegun Obasandjo. Quand Obasanjo voulait faire son troisième mandat, la communauté internationale a envoyé Wade d’aller lui dire de ne pas le faire et il a réussi. Mais à son tour, quand on lui a envoyé Obasanjo, il ne lui a pas renvoyé l’ascenseur. Au contraire, il lui a mal parlé. Il n’y a que les Américains qui ont eu le courage d’aller très loin dans la dénonciation. L’Union européenne, il est vrai, ce qui concerne tout le processus électoral, est d’accord mais personne n’a voulu lever le doigt sur le contentieux le plus lourd et dire que sur le plan constitutionnel il n’avait pas le droit de faire un troisième mandat. Sur cette même question, l’UE est intervenue au Niger. Donc le Sénégal est une force diplomatique qu’on n’affronte pas. Cela fait partie des difficultés supplémentaires que nous avons eues. Mais enfin, nous avons eu un dénouement heureux parce que les gens étaient mobilisés dans tous les bureaux de vote pour surveiller le scrutin pour qu’il n’y ait pas de fraude. Au finish, on a eu le résultat qu’on a aujourd’hui.

Mais à force de descendre dans l’arène politique, on ne fait plus la différence entre l’activiste des Droits de l’Homme que vous êtes et l’homme politique.

• Je ne sollicite rien pour aller au gouvernement. Je ne suis pas du parti de Macky Sall. Notre préoccupation, c’est de faire en sorte que le M23 soit renforcé. Mais cela dit, je suis un citoyen sénégalais, si j’ai envie de faire la politique je peux la faire. Mais pour le moment je suis cohérent avec moi-même en tant qu’organisation de la société civile. Il y a des moments où si nous avons besoin de faire des changements qualitatifs dans notre pays, il faut le faire pour que la démocratie demeure. Ici, la démocratie et la République étaient menacées et il me semble que pendant ces moments, tous les fils du pays doivent se serrer les coudes pour faire face au danger.

Entre Macky Sall et la société civile ce n’était pas vraiment le parfait amour. L’alliance va-t-elle tenir ?

• Les gens font des interprétations. Quand on a travaillé pour mettre une stratégie en place et discuter avec les candidats, nous avons écrit un document. Première option, il y a l’agenda du M23. Ceux qui veulent suivre littéralement cet agenda le suivent. Deuxième option, ceux qui ont leur agenda mais qui peuvent suivre celui du M23 sans le respecter de façon profonde. Troisième option, c’est la flexibilité, c’est-à-dire que s’il y a des manifestations importantes du M23 auxquelles on peut assister, on y assiste. On a fait ça d’ailleurs lors d’une très grande manifestation où tout le monde était là. Quatrième option, on a dit que même ceux qui ne veulent pas de l’agenda du M23 peuvent y aller. C’est toutes ces options que nous avons présentées aux différents candidats. En réalité, dans une élection présidentielle, les candidats ont un dialogue entre eux et le peuple. On a respecté cela et on a dit voilà l’agenda du M23. Il y en a qui ont suivi notre agenda et qui méritent beaucoup de respect parce qu’ils ont beaucoup travaillé à la Place de l’Indépendance. C’est ce coup de boutoir qu’on a donné qui a rendu Abdoulaye Wade impopulaire.

C’est vrai, certains candidats avaient des contradictions avec Macky Sall. Nous, nous n’avons jamais interféré dans ce débat en tant que M23. Nous sommes une diversité et rien n’est plus difficile que la gestion de la diversité. Au M23 vous avez à peu près 200 organisations qui sont des organisations de la société civile, politiques, citoyennes et des personnalités indépendantes. Ce n’est pas facile de gérer toutes ces contradictions. Parmi les différentes séquences, on a eu celle du 23 juin qui était une séquence euphorique, spontanée où on a engrangé un succès énorme. Il y a eu la séquence de l’éligibilité et de la validation de la candidature. C’était une séquence très dure. Ensuite, il y a eu la campagne électorale qui était aussi une séquence très dure, puis le scrutin électoral et pendant ce moment, on a eu une baisse de tension. Et là je rends un vibrant hommage aux présidents africains. La venue d’Obasanjo a beaucoup joué pour un scrutin pacifique. Nous avons également eu le coup de fil du président Alassane Ouattara, par ailleurs président de la CEDEAO. Il a dit : "Ne faites surtout pas comme la Côte d’Ivoire". Nous avons eu les présidents Yayi Boni, Idriss Deby et Amadou Toumani Touré qui nous ont apporté le même message de soutien. Enfin, Wade nous a envoyé des émissaires avec qui nous avons discuté jusqu’à 5h du matin. Des organisations de femmes nous ont rencontrés. Il y a même des intellectuels qui m’ont dit : "Fais attention, Alioune parce que si on va vers les élections et il y a des morts, on dira que c’est le M23 mais c’est surtout toi qui va en porter la responsabilité". C’est toutes ces concertations qui ont eu un impact pour une issue pacifique.

On pensait les "ndiguels" proscrits mais les leaders religieux continuent de donner des consignes de vote au Sénégal.

• De mon point de vue, les grandes confréries n’ont pas donné de consigne de vote. Il y a maintenant de jeunes marabouts qui s’y risquent contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais ces consignes n’ont plus la force ni l’effet qu’elles avaient dans le passé. Depuis les années 90, cela a tendance à disparaître, surtout la consigne explicite. Il faut le dire, il y a des consignes implicites, il y a des consignes qui se font par la gestualité. Aujourd’hui, les talibés deviennent de plus en plus des citoyens. Ils font généralement la part des choses entre le spirituel et le temporel. Vous pouvez être directeur de conscience en matière spirituelle, mais en matière politique les gens gardent de plus en plus leur liberté. Il faut écouter les thèmes des rappeurs sénégalais qui n’hésitent pas à dénoncer la posture politique de certains marabouts.

Au Burkina Faso il y a de nouvelles velléités de modification de l’article 37 pour permettre au président Compaoré de se représenter. Vous qui préconisez la formation d’un large front ouest-africain contre ces pratiques, qu’en dites-vous ?

• Vous savez, le président Blaise Compaoré est politique et je pense que tout ce qui se passe dans la sous-région ne le laisse pas indifférent. Je pense qu’il doit être capable de tirer leçon des troubles et des violences qui se sont passés ici. Vous avez eu des élections multipartisanes en 1978 au même moment que le Sénégal. Mais vous êtes allés plus loin parce que vous avez eu un ballottage d’un président en exercice (Ndlr Sangoulé Lamizana face à Macaire Ouédraogo) que nous n’avons pas eu. Puis après, cette expérience s’est freinée brutalement et je pense que le moment est venu pour que le president Compaoré crée des conditions pour une relance de la démocratie. Parce que ça correspond à une aspiration du peuple burkinabè qui est un peuple très libre à travers les médias du Burkina Faso.

Que vous inspire la rébellion touarègue au Mali et quelle pourrait être la solution selon vous ?

• Franchement, nous sommes consternés par la situation du Mali. C’est un conflit totalement absurde. Mais je pense qu’il est lié à des questions de ressources comme ce qu’on a vu au Niger. Le moment est venu pour qu’on en finisse avec les conflits dans la sous-région et en Afrique. C’est une conséquence directe du conflit qui s’est déroulé en Libye. Les gens ont eu beaucoup d’armes et de moyens pour revenir. C’est dommage parce que c’est au moment où la démocratie est bien repartie dans l’alternance avec l’acceptation de quelqu’un comme ATT de partir. Il faut que toute la communauté internationale et l’Afrique se mobilisent pour mettre un terme à ce conflit. Jusque-là, on n’a pas vu une grande implication de la communauté africaine comme c’est le cas dans beaucoup de conflits de la sous-région. Je pense que le moment est venu d’apporter le soutien qu’il faut pour arrêter ce conflit. Nous n’avons rien mais nous avons quand même notre parole pour dire à nos parents de cesser le feu et de trouver une solution politique efficace pour mettre un terme définitivement à ce conflit. Le problème de l’Afrique c’est la centralisation de l’Etat.

Il faut être extrêmement ouvert avec les politiques de décentralisation pour permettre des politiques de déconcentration administrative afin de donner une grande respiration à certaines communautés et certaines régions. Mais nous faisons confiance au président ATT qui avait trouvé lui-même la solution dans les années 90 au conflit armé de l’Azawad. Nous souhaitons que ce conflit se termine très rapidement pour que le Mali retrouve la stabilité politique qu’il avait connue pour sauver la démocratie dans le pays.

Entretien réalisé par Adama Ouédraogo Damiss

(1) Paul Yao N’Dré : le président du Conseil constitutionnel ivoirien qui avait déclaré Laurent Gbagbo vainqueur de la présidentielle de 2010

(2) Tazartché : la continuité, courant politique inopiné, initié et mis en œuvre pour permettre au président Mamadou Tandja de bénéficier d’une rallonge de trois ans.

L’Observateur Paalga

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