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Le Burkina Faso s’attache à « refonder » bien plus qu’à « recadrer » la Cen-Sad

Publié le mardi 6 mars 2012 à 01h51min

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S’il restera quelque chose des années Kadhafi ce seront peut-être ces six lettres : CEN-SAD. La Communauté des Etats sahélo-sahariens. Les six membres fondateurs en avaient été, en 1995, le Burkina Faso, la Libye, le Mali, le Niger, le Soudan et le Tchad. Plutôt cohérent. Même si l’absence de l’Algérie et de la Mauritanie rendait boiteuse cette institution. La mégalomanie du « guide de la révolution » va la vider de sa raison d’être : rassembler les Etats voisins du « corridor sahélo-saharien ».

Devenu un « show room » pour clientèle kadhafiste, la Cen-Sad va compter 29 pays membres au moment de la chute de son fondateur. Plus rien à voir avec son objet initial. Mais un tiroir-caisse dans lequel ils vont être nombreux à piocher au nom de l’amitié dont les honorait le « roi des rois traditionnels d’Afrique ». Kadhafi mort, la question se posait de savoir si la « Libye nouvelle » se sentirait toujours africaine (cf. LDD Libye 045/Vendredi 4 novembre 2011). Question posée le 25 janvier 2012 à Addis Abeba, dans la capitale éthiopienne, en marge du 18ème sommet de l’Union africaine. C’est à l’invitation du ministre des Affaires étrangères du Tchad, président en exercice de la Cen-Sad, qu’avait été convoquée la réunion des ministres des Affaires étrangères de l’institution. Cela faisait un an qu’elle était à l’arrêt alors que, justement, les problèmes du « corridor sahélo-saharien » ne cessaient de s’aggraver : rébellion touarègue, AQMI, prolifération des armes légères, trafics en tous genres, criminalité transnationale organisée, insécurité alimentaire et même famine…

A Addis Abeba, il sera affirmé « que malgré les graves insuffisances et le changement fondamental de situation en Libye, la Cen-Sad demeure plus que jamais nécessaire pour relever les défis communs à la zone sahélo-saharienne, en particulier la paix, la sécurité et le développement ». Dans cette perspective, il y sera décidé un « recadrage » des objectifs et missions de l’institution tandis que le Burkina Faso, par la voix de son ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, militera en faveur d’une « refondation totale de la Cen-Sad pour en faire un outil efficace au service des peuples des Etats membres. Respectueuse de l’égalité souveraine des Etats membres, cette nouvelle Cen-Sad devra être dotée d’une nouvelle charte et fonctionnera dans la transparence sur des bases démocratiques avec une architecture administrative et financière moderne ». Une rupture avec les pratiques en vigueur au temps de Kadhafi qui avait fait de l’institution sa chose personnelle. Le ministre libyen des Affaires étrangères n’avait pas manqué, d’ailleurs, à cette occasion, de soutenir la proposition de refondation de la Cen-Sad afin de « se démarquer des pratiques qui avaient cours sous le régime Kadhafi ».

Cette refondation a été à l’ordre du jour de la réunion des experts, à Ouagadougou, les 27-29 février 2012. Révision des textes organiques, adaptation à l’environnement géopolitique actuel, harmonisation avec les objectifs et les principes de la Communauté économique africaine (CEA) définis par le traité d’Abuja (3 juin 1991). Rappelons que, déjà, en juin 2010, la redynamisation de la Cen-Sad avait été décidée à N’Djamena lors d’une rencontre des chefs d’Etat et de gouvernement de ce qui tendait à être une UA-bis. Un comité restreint avait été mis en place pour réfléchir aux voies et moyens de relancer cette institution. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de « recadrer » mais de « refonder ».

Quant à la Libye, elle a choisi cette rencontre de Ouaga pour réaffirmer son appartenance à l’Afrique. « Nous attendons de cette réunion un travail dans le sens de la restructuration de la Cen-Sad pour qu’elle joue le rôle pour lequel elle a été créée, a affirmé Mahfud Rahiam, chef de la délégation libyenne […] Nous voulons lui redonner son objectif essentiel qui est le développement de l’Afrique […] Notre présence aujourd’hui confirme la volonté de la nouvelle Libye […] de poursuivre ou de relancer ses relations avec l’Afrique dans le bon sens […] Notre organisation appartient à tous les peuples de la région » (entretien avec Christine Sawadogo, Le Pays - mercredi 29 février 2012). Du côté burkinabè, c’est Vincent Zakané, le ministre délégué chargé de la Coopération régionale, qui a tenu la barre. Il a dit pourquoi il faut refonder la Cen-Sad : « Face à ces nouvelles menaces sécuritaires propres à la région sahélo-saharienne, l’importance d’une communauté spécifique est, plus que jamais, actuelle et la nécessité de donner une nouvelle âme à notre institution devient un impératif pressant », appelant à des « réaménagements structurels et programmatiques pertinents susceptibles de faire de la Cen-Sad, un instrument puissant d’accompagnement et de soutien des efforts des Etats dans leurs politiques d’intégration régionale ».

Le Conseil de l’Entente, l’UEMOA, la Cédéao ancrent le Burkina Faso dans des institutions dominées, aujourd’hui, par la Côte d’Ivoire. Ce qui n’est pas en soi la pire des choses pour Ouaga. La Cen-Sad lui permet cependant un positionnement régional différent au sein de la région, là où les tentatives majeures de déstabilisation sont les plus à craindre. Et alors que chacun est désormais convaincu qu’il faut passer aux choses sérieuses. La rébellion touarègue qui mine les fondements du régime malien est une situation à risque pour tous les pays desservis par le « corridor sahélo-saharien ». Bien plus que les actions « terroristes » menées par AQMI.

La presse burkinabè, à tort d’ailleurs (cela évoque les stigmatisations des Peuls par Alpha Condé en Guinée), évoque une « internationale touarègue ». Ce qui laisserait penser qu’il y a un centre unique de décision et que l’ensemble de la communauté se plie à ces décisions. Mais nul ne peut nier que la zone d’influence des Touareg est à géométrie variable, géographiquement et socialement, et que toute action de répression contre la communauté ne peut que susciter une levée de boucliers des confins de la Mauritanie jusqu’à ceux du Niger. Or, cette rébellion touarègue se trouve aujourd’hui dans une situation bien plus propice à la guerre qu’elle ne l’était par le passé : renfort d’hommes aguerris, approvisionnement en armes lourdes depuis les stocks libyens, moyens logistiques renforcés, etc. Il y a surtout qu’ayant perdu son sponsor libyen, la rébellion doit s’organiser et se structurer (si tant est que ce mot ait une signification pour un peuple où « l’anarchisme » est érigé en valeur ancestrale, anarchisme tout relatif d’ailleurs) si elle veut survivre. La Libye n’était pas un sanctuaire pour les Touareg (loin de là d’ailleurs), mais elle était une structure d’accueil où ils trouvaient « le vivre et le couvert ».

Il n’a pas fallu longtemps pour que le régime malien soit mis en difficulté par la rébellion touarègue. Il ne faudrait pas longtemps pour que le Niger éprouve à son tour les mêmes difficultés. Des « rébellions » qui pourraient trouver des alliés un peu partout, de la Mauritanie au Tchad, sans oublier les « zones grises » qui, de la Guinée Bissau au Nigeria, trouveraient leur compte à devenir des « zones d’ombre » ou même des « zones noires ». Très noires même. C’est pourquoi Zakané prône une vision régionale globale de l’éradication de cette insécurité, toute démarche bilatérale ayant pour résultat de repousser le pion de la rébellion touarègue un peu plus loin, sans jamais résoudre le problème.

Or, le problème c’est, aussi, celui du développement de ce « corridor sahélo-saharien ». Et, là encore, il ne peut y avoir de démarche nationale satisfaisante et seule une conception régionale de ce développement a des chances d’aboutir à un résultat tangible. Reste à financer ce développement. La manne que Kadhafi déversait sans compter sur la Cen-Sad (pour sa plus « grande gloire » mais pas pour son développement) est tarie. Et les Etats de la région sont parmi les plus pauvres du continent. D’où la nécessité de faire de cette institution une structure opérationnelle afin de convaincre les bailleurs de fonds de s’y intéresser. Ce n’est pas gagné même si chacun est convaincu qu’il y a urgence à le faire.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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