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Démocratie consensuelle et pacte transversal : Le point de vue du député Salvador Yaméogo

Publié le vendredi 2 mars 2012 à 02h07min

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La réflexion ci-dessous est du député Salvador Yaméogo, président du RDF. En un mot, dit-il, « notre propos, après réflexion et singulièrement au retour d’une mission au Rwanda, est d’apporter clairement et fermement notre soutien au projet d’un compromis historique dynamique, comme seule réponse aux contradictions politiques dans lesquelles nous risquons fort de rester englués ». L’intégralité de son message vous est livrée dans les lignes qui suivent.

Préambule

Au sortir du processus des réformes politiques et des assises nationales qui en constituaient l’épilogue, nombre d’acteurs et d’observateurs de la scène politique nationale, tout en saluant le travail abattu, restaient sur leur faim. La crise socio-politique, dans ses manifestations les plus violentes était, certes, jugulée, mais l’avenir restait exempt de balises claires. Depuis, le temps semble avoir suspendu son vol sur certains questionnements et attentes résiduels des burkinabè. Seule la perspective du prochain Congrès du CDP et les bouleversements attendus ou redoutés, notamment au « sommet » laissent augurer d’une possible « décantation » de la situation politique (post-crise) dans laquelle nous sommes. Refusant le fatalisme et l’attentisme ambiants, nous voulons soumettre à l’opinion quelques éléments, non pas tant de relance du débat, que d’activation de la réflexion sur la dynamique de transformation profonde de notre société, engagée à l’initiative du Président du Faso. En un mot, notre propos, après réflexion et singulièrement au retour d’une mission au Rwanda, est d’apporter clairement et fermement notre soutien au projet d’un compromis historique dynamique, comme seule réponse aux contradictions politiques dans lesquelles nous risquons fort de rester englués.

Seul le choix raisonné mais résolu de privilégier ce qui doit nous unir (la préservation de nos acquis et la préservation de la paix sociale) à ce qui peut nous séparer (nos ancrages politiques ou idéologiques différenciés, nos ambitions individuelles et collectives, même dans ce qu’elles ont de plus noble) nous apportera la visibilité à moyen terme, qui nous fait cruellement défaut, nous empêchant de nous projeter au-delà d’une échéance qui n’a de fatidique, que la part que nous voulons lui donner.

Introduction

Un article de M. Youssoufou Ouédraogo, paru dans le « Pays » du 16 janvier 2012, intitulé « Gouvernance en Afrique, la démocratie consensuelle, un pacte transversal ? » posait la problématique de la Démocratie consensuelle (DC) et du pacte transversal (PT). Des impératifs d’agenda ont, alors, retardé le projet de contribuer au débat. Le hasard (ou la providence) a voulu que, dans l’intervalle, une mission à Kigali nous offre l’opportunité de connaître de l’expérience de « partage du pouvoir » pratiquée au pays du Président Paul Kagame. Dans l’édition du pays, rappelée plus haut, l’auteur dont nous saluons, tardivement mais sincèrement l’initiative et l’analyse, ouvrait un débat remarqué sur la DC et PT. Dans l’esprit de la rubrique qui a vu paraître son papier, notre réaction envisage une perception « autre » de la problématique du partage du pouvoir à laquelle se ramènent largement la DC et le PT. Pour ce faire, la trame de l’argumentaire de M.Y. Ouédraogo, doit être rappelée. Elle servira de toile de fond à notre propos.

Le débat sur la démocratie consensuelle et la problématique du pacte transversal (PT)

L’article de M. Y. Ouédraogo, débutait par un avertissement, visant, nous a-t-il semblé, à justifier que l’évocation des deux concepts, adresserait la personne de leur promoteur au Burkina Faso. Ce faisant, il prenait aussi un risque, celui de particulariser son analyse. Que Me Hermann Yaméogo, soit l’un des premiers à avoir traité, avec insistance, de la Démocratie consensuelle (DC) et plus récemment du Pacte transversal (PT) ne fait pas débat. Sous nos contrées, c’est dorénavant sa marque de fabrique. En revanche, centrer ce monumental article (par la taille) sur sa personne, son parcours et son projet politique, privait le propos et l’argumentaire, fort intéressants au demeurant, d’une part de l’objectivité qu’une démarche réellement scientifique aurait pu lui conférer. Même en passant sous silence l’argument facile, mais tendancieux à la limite « d’occupation des espaces médiatiques », le postulat de la « non pertinence de la DC et du PT par rapport à notre processus démocratique », pose problème, venant juste après le rappel de l’utilité de la DC tant « au cours du large rassemblement » et que du « Protocole d’accord de gouvernement ». Cela dénote dès le départ d’une intention à peine voilée : pourfendre le promoteur de la DC et du PT, ce dont l’avertissement tentait, maladroitement, de nous dissuader.

Qu’importe, la problématique de la démocratie consensuelle est loin d’être nouvelle. M. Ouédraogo, en convient, évoquant notamment le Chili, qui l’a mise en pratique sous la transition (post dictature Pinochet), avant qu’elle ne soit « dénoncée par certains intellectuels comme enlevant à la démocratie toute saveur et passion » (sic). Nous pensions, sans doute naïvement, que le débat démocratique et la pratique politique visent principalement la recherche de solutions aux problèmes de la société (notamment de gouvernance), plutôt que la satisfaction des intellectuels par les délices qu’ils procurent. Au-delà du caractère possiblement transitoire de la DC et du rappel des moments historiques où elle a prouvé son utilité et sa justification, M. Ouédraogo affirme que « dans une société non plurale et dans un état de droit formalisé comme le nôtre, la DC n’est pas d’un intérêt national ». Soit, mais si elle n’est pas d’un intérêt national pourquoi y avoir eu recours en 1998 et en 2000, en dépit d’une société non plurale et d’un état de droit formalisé ? Nous concédons à M. Ouédraogo, (dans le modèle classique Majorité/Opposition s’entend), « qu’il n’y a pas de raison objective pour délégitimer les divergences politiques dans la conquête et l’accession au pouvoir. » Mais ne s’agit-il bien que de cela ?

Par définition non, puisque la DC et le PT, dans une période historique donnée, postulent la suppression temporaire (ou définitive) de cette stricte ligne de partage. Enfin, y a t-il une raison objective pour délégitimer la DC et PT, après la crise, que le Burkina a traversé en 2011, dans le Chili de l’après Pinochet, ou le Rwanda de l’après le génocide ??? La Belgique et la Suisse sont certes, de cas particuliers, mais n’y a t-il pas toujours de exceptions à la règle ? L’idée de départ selon laquelle notre.

« processus démocratique souffre plus d’une mise en pratique dévoyée que d’une codification caduque ou impossible » mérite néanmoins qu’on s’y arrête. La démocratie est un processus, une quête permanente, telle la ligne de l’horizon, s’évanouissant à mesure qu’on s’en rapproche. Parler de sa restriction, de son appauvrissement, pire de son déséquilibre, suppose la connaissance ou l’existence d’un modèle (non-idéal) achevé et surtout, immuable. M. Ouédraogo sera probablement en peine de nous l’indiquer et pour cause. « Qualifier » la démocratie, c’est peut être moins la dénaturer que traduire le moment précis, l’état d’avancement du processus dans lequel on se situe ou l’angle d’attaque choisi pour l’approcher, sans jamais rêver l’atteindre. Quant à la mise en œuvre dévoyée de la démocratie, dont nous subissons depuis 5O ans les affres, M. Ouédraogo n’en explicite pas les déterminants, mais gageons que le déséquilibre structurel des pouvoirs que la DC et le PT se proposent précisément d’atténuer, doit y figurer en bonne place.

De la mise en œuvre ou de l’applicabilite du PT

Du pacte transversal, M. Y Ouédraogo nous dit ceci :
« Les clivages partisans sont nécessaires car c’est par les délices des duels politiques (encore eux) que l’on peut maintenir l’électorat en éveil, donner un sens au vote, etc. » Or, sur les questions prioritaires, tout le monde s’accorde, donc point besoin de PT, mais toujours besoin de projets politiques différenciés. CQFD ! Ce n’est sans doute pas faux, mais certainement un peu court. La démocratie (actuelle) étant dévoyée, en partie aussi parce que les suffrages recueillis, sont permanemment querellés, au motif qu’ils coïncident peu ou prou avec ceux réellement exprimés, comment pouvons nous, tranquillement, présupposer que l’électorat rejettera, avec la même énergie, le principe du PT et la vision de la DC qui le sous-tend ? Dans un pays en développement comme le nôtre (très pauvre, endetté, pris en tenaille entre une nature hostile et la prégnance des conditionnalités de nos bailleurs de fonds et autres PTF, combien de projets politiques différenciés sont encore nécessaires, quand, avec réalisme et dans l’urgence, on s’est accordé sur les priorités ?

Il y a autour de 165 partis politiques au Burkina. Y- a-t-il autant de projets différenciés de société ? Pour faire bref, M. Ouédraogo, voit dans le PT, une étape vers la DC et en déduit qu’il y a clairement un recul, puisque la DC a plus de 20 ans. Le PT peut s’appréhender comme une politique, une modalité de mise en œuvre de la DC. Dans ce cas, Il y a au contraire, plutôt qu’une régression, la maturation lente d’une intuition, d’une idée, d’une vision, au contact d’une réalité objective. Celle qui veut que dans la résolution de crises majeures, le simple bon sens (sans parler du patriotisme le plus élémentaire) amène tout un chacun à remiser (pour un temps) son projet spécifique et partisan pour privilégier la mise en œuvre de mesures consensuelles (dégagées des priorités communes) sur lesquelles, on s’est accordé, tous bords confondus. Si une telle vision ne présente aucun intérêt national, alors c’est à se demander si M. Ouédraogo et nous vivons dans le même pays.

Pour une perception autre de la démocratie consensuelle et du pacte transversal

Le recours au partage du pouvoir (dans le temps et dans l’espace) est une constante de l’histoire politique des peuples et des nations. M. Y Ouédraogo à juste titre rappelle les cas suivants : Belgique, Suisse, Indonésie, Liban, Sénégal, Pays des grands lacs (Rwanda), Burkina, etc. La problématique du partage du pouvoir est consubstantielle de celle de sa conquête, par le jeu et la dynamique des alliances pour le conquérir et/ou le conserver. Elle semble s’être toujours posée avec une urgence ou une acuité directement proportionnelle à la profondeur de la fracture politique et sociale, ou des contradictions qui l’appelle ou l’induit. Plus l’écart est réduire (la fracture à combler) est important plus large et équitable sera le partage du pouvoir. Historiquement cela peut se vérifier. Dans le paradigme classique (Majorité / Opposition) cette disposition rompt provisoirement le clivage et établit une passerelle temporaire autorisant le partage du pouvoir, dans le but accepté de tous de traverser des zones de turbulence, lourdes de conséquences pour la préservation de l’harmonie du corps social. Dans un paradigme nouveau à promouvoir, une vision de la démocratie où le partage du pouvoir serait structurel, une telle disposition (inscrite dans la Constitution de certains Etats (§ 6 du Préambule et article 58 de la Constitution du Rwanda : Le partage du pouvoir), postulerait le principe permanent d’une répartition convenue du pouvoir, entre dirons nous, une « majorité éclairée » et une « opposition non radicale », dans un modèle désormais bien éloigné du schéma classique actuel.

Mais ce schéma classique a- t-il fait la preuve (au Burkina Faso) de sa performance ? La question, nous le pensons, mérite vraiment d’être réellement débattue, un jour. Elle ne peut se contenter de réponses incriminant notre incapacité instaurer la démocratie ou édictant le multipartisme en dogme intangible. Poussant la logique à son terme, pourquoi recourir au partage du pouvoir, seulement lorsque les crises surviennent. Pourquoi ne pas l’inscrire comme une perspective permettant de les prévenir et de les anticiper en permanence, de définir aussi les contours d’une autre gouvernance, plus participative, dynamique et anticipative moins ancrée sur l’alternance et ses aléas, plus soucieuse de la prise en compte systématique et immédiate des différences, plus à même de préparer les mutations d’ensemble de notre société.

Conclusion

Le Burkina Faso a connu le parti unique, le multipartisme limité, puis intégral, la Révolution, la rectification et le retour à l’état de droit, le large rassemblement et le gouvernement protocolaire. Le régime parlementaire a été brièvement expérimenté avant celui présidentiel. Nous sortons d’une crise sans précédent, et il faudrait se focaliser sur « les divergences politiques », fondements des programmes qui légitiment la recherche du pouvoir d’état ? Nous doutons que la sagesse populaire de notre électorat des campagnes le conduise à rejeter le principe de revisiter de nouveau la vision de la DC et la politique du PT que nous propose Me Hermann Yaméogo. A tout le moins, évitons de nous prononcer à la place de nos populations, sur l’intérêt pour notre pays de ces concepts. On peut ne pas adhérer à tout ou partie des points de vue du Président de l’UNDD, et nous mesurons bien nos propos, sachant que le lecteur le moins avisé comprendra.

On ne peut en revanche, ni lui imputer un « usage dilettante et abusif » de la DC ni lui dénier une capacité certaine d’anticipation des mutations de notre pays. La refondation a suscité beaucoup de scepticisme, voire des sarcasmes, avant que la crise de 2011 ne nous rattrape, nous ramenant brutalement à un constat. Nul n’a le monopole de la vérité. Sachons ne pas reproduire la même erreur. Restons ouverts au débat sur la DC et le PT et surtout focalisés sur leur mode opératoire, car dans le principe, nous n’avons plus le choix. La gestion de l’espace politique ne saurait se résumer en un positionnement Majorité/opposition mais en une appréhension opportune des leçons passées et une savante projection vers l’avenir. Le PT a toute sa place, donnons- lui sa chance.

Député Salvador M. YAMEOGO : Président du RDF

Ouagadougou, 22 février 2011

Sidwaya

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Vos commentaires

  • Le 3 mars 2012 à 00:23, par ANNAN En réponse à : Démocratie consensuelle et pacte transversal : Le point de vue du député Salvador Yaméogo

    intellectuellement et politiquement tu mérites une note acceptable de 16/20.Mais, nous sentons que tu analyses en politiciens désireux un jours de participer au Conseil de Ministre pour étoffer ton palmarès. va toujours vers ton marabout, car au BF, même un boanga à OUAGA peut être la cause de la déchéance d’un gouvernement.Qui sait si on ne te fera pas appel pour relever un ces défis.Mais de grâce, évitons la D C et le P T car l’histoire nous enseigne qu’ils sont l’émanation des crises sociopolitiques prégnantes. Que Dieu nous en préserve.
    BONNE CHANCE

    • Le 3 mars 2012 à 11:05, par Awoto En réponse à : Démocratie consensuelle et pacte transversal : Le point de vue du député Salvador Yaméogo

      Y a quoi de mal à s’entendre pour gérer un pays ? On ne peut pas demander l’alternance et refuser de changer de place ! Annan, la démocratie consensuelle et le pacte transversal sont essentiels pour la recherche d’une paix durable. Je suis convaincu que notre pays ferait école en Afrique avec cette façon de gérer ce pays.

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