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Alassane D. Ouattara tourne définitivement la page de la Côte d’Ivoire des années Gbagbo.

Publié le lundi 20 février 2012 à 19h40min

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Il y a quelques années, quand Mamadou Tandja, l’homme qui a été renversé par son peuple (avec le concours de son armée) pour avoir voulu faire un mandat de trop, avait subodoré que son tripatouillage la Constitution serait mal perçue par ceux qui étaient tentés de le faire mais ne l’osaient pas encore, il avait pris les devants vis-à-vis des organisations continentales. Il avait annoncé, d’emblée, qu’il était prêt à « envoyer paître », UEMOA et Cédéao, pour aller se jeter dans les bras d’autres institutions qui, pour n’être pas « intégrantes » n’en n’étaient pas moins « contribuantes ».

Chacun avait perçu que c’était du côté des puissances émergentes asiatiques que l’homme de Niamey voulait aller chercher son « intégration » dans la mondialisation. Laurent Gbagbo, confronté par la suite à la même ambition de se succéder éternellement, aura la même tentation : aller voir ailleurs que du côté de l’UEMOA et de la Cédéao ce qui se passe.

Il faut bien reconnaître que, face aux crises politiques qui ont marqué l’histoire récente de l’Afrique de l’Ouest, les institutions régionales ont réagi mollement ; sans jamais rien résoudre. Ce qui les a passablement disqualifiées. Aujourd’hui, Alassane D. Ouattara rompt avec la politique d’isolement régional mise en œuvre par Gbagbo. La Côte d’Ivoire entend réaffirmer sa prééminence au sein de l’Afrique de l’Ouest et cette prééminence passe, aussi, par les institutions régionales. « Abidjan is back ! ». C’est aussi qu’ADO, fonctionnaire international avant de s’efforcer (quelque peu à son corps défendant) de muer en homme d’Etat, est plus à l’aise avec les stratégies économiques qu’avec les tactiques politiques, avec l’international que dans le cadre étroit du national. Accédant au pouvoir à près de 70 ans, ADO a été formaté par ses longues années au sein de la BCEAO et du FMI : c’est dans ce domaine qu’il est à l’aise alors que son prédécesseur était une bête politique, un « remarquable politicien » dit un ambassadeur de France qui l’a beaucoup fréquenté et sait ce que parler veut dire.

Le défi auquel est confronté ADO est de démontrer, sur le terrain ivoirien et ouest-africain, que la solution aux problèmes politiques et sociaux réside dans la bonne gouvernance économique. Une vision technocratique ? Certes ! Mais il ne faut pas s’en étonner : ADO est avant tout un technocrate. Et c’est exactement ce que lui avait demandé d’être Félix Houphouët-Boigny en 1990 quand il l’avait appelé auprès de lui non pas comme premier ministre mais comme président d’un Comité interministériel dont l’objectif était de remettre en route la machine économique ivoirienne mise à mal par les choix stratégiques du « Vieux ». Il ne faut pas demander aux hommes (y compris aux hommes politiques) plus que ce qu’ils peuvent donner. Et il faut prendre en compte uniquement ce qu’ils peuvent apporter. C’est de cela qu’ils sont redevables. Beyon Luc Adolphe Tiao, le premier ministre burkinabè, l’a dit lors de l’ouverture du conseil des ministres conjoints Côte d’Ivoire/Burkina Faso, le 28 novembre 2011 (cf. LDD Burkina Faso 0276/Vendredi 18 novembre 2011) : la « brillante victoire » d’ADO a été « celle de tous les démocrates africains », laissant espérer « la consolidation de la paix en Côte d’Ivoire » et permettant à ce pays de « retrouver la place qui est la sienne au sein de la communauté internationale ». ADO/raison, Soro/passion ? Tiao qualifiait alors le premier ministre ivoirien, Guillaume Soro, d’homme au « courage exemplaire », ayant un « sens des responsabilités élevé ». Tiao aussi sait ce que parler veut dire !

Il ne faut pas demander à ADO autre chose que ce pourquoi, consciemment ou inconsciemment, les Ivoiriens l’ont porté au pouvoir, lui plutôt qu’un autre. Assurer le départ de Gbagbo, consolider la paix et revenir jouer son rôle au sein des institutions régionales afin que le pays et la région renouent avec la croissance. C’est, exactement, ce que disait Tiao. ADO le fait. Avec une vision qui est la sienne ; et conformément au parcours qui a été le sien. Il est mal à l’aise (parfois même maladroit) dans le contact humain, plus encore depuis qu’il est dans « la » fonction officielle suprême et que le protocole impose sa règle. Ce n’est pas un tribun qui peut susciter spontanément l’enthousiasme ou l’empathie de ses auditeurs (même dans la boutade, il a du mal à convaincre, on l’a vu à Ouaga, lors du Triennal 2012 de l’éducation en Afrique, au lendemain de la défaite des Eléphants en finale de la CAN 2012 : « Nous n’avons pas perdu, mais nous n’avons pas gagné » !). Il « plante du Blanc », là où il veut et particulièrement dans l’entourage présidentiel, par souci de compétence plus de cohérence ; par défiance aussi vis-à-vis de l’opportunisme de ses concitoyens* ; cela fait jaser, bien sûr – et bien au-delà de la Côte d’Ivoire – mais peu importe : l’essentiel est pour lui d’avancer et d’avancer dans le bon sens.

Le « must » d’ADO, c’est sa capacité à mobiliser des ressources financières au plan mondial. FMI oblige. Son problème sera l’utilisation optimale de ces ressources. L’inventivité des « grottos » en matière d’évaporation des fonds publics est permanente et il n’est pas un seul technocrate qui puisse envisager un instant ce qu’ils sont capables d’imaginer en la matière ! Mais en donnant la priorité à l’économique sur le politique (avec un slogan : « l’émergence en 2020 » – sans que l’on sache ce que signifie cette « émergence » en termes sociaux pour les populations), au monde des affaires sur le monde politique, ADO fait l’impasse sur ce qui est le fondement de sa fonction : l’action politique (qui n’a rien à voir avec le fonctionnement de la présidence de la République et du gouvernement). Qui, du même coup, tombe dans l’escarcelle de ceux qui, eux, en ont fait leur fonds de commerce. Pas toujours pour le meilleur usage.

Mais il faut que la Côte d’Ivoire (au moins 40 % du PIB de l’UEMOA malgré la « crise ivoiro-ivoirienne », c’est tout dire) gagne pour que la région ouest-africaine gagne. Et l’énergie des uns et des autres doit passer dans ce soutien à l’action menée à Abidjan plutôt que dans les règlements de compte mesquins. Via les institutions régionales. L’accession d’ADO à la présidence de la Cédéao sera une chance s’il reçoit le concours de tous ; le fait qu’il puisse s’appuyer sur un homme d’envergure et d’expérience (dont le parcours n’a pas grand-chose à envier à celui d’ADO), le Burkinabè Kadré Désiré Ouédraogo, est un « plus ». Le Burkina Faso a la plus forte diaspora dans la zone Ouest-africaine et se trouve être le pays qui a le plus à gagner (et, du même coup, à perdre mais cela les Burkinabè le savent depuis plus de dix ans même s’ils ont su faire face à « la crise ivoiro-ivoirienne ») d’avoir un voisin économiquement en excellente forme. Encore faut-il que les Ivoiriens rompent avec une certaine façon d’être « suffisants et insuffisants » qui n’est pas toujours en adéquation avec la façon dont ils ont accédé au pouvoir. Il y a, souvent, dans la région, du ressentiment, de l’exaspération, de la suspicion à l’égard d’Abidjan (et plus encore de sa version « Abidjan-sur-Seine »), tout particulièrement du côté de Ouaga**. Il faut aussi qu’Abidjan prenne conscience que l’Etat n’a pas à se soucier – politiquement et socialement - que d’une « élite » mais que c’est aussi une société civile, des syndicats, des associations, des médias… : tout le monde ne peut pas rester le petit doigt sur la couture du pantalon en attendant « l’émergence » comme on attend le messie !

* Rappelons quand même que Premier ministre de la République de Côte d’Ivoire, ADO avait un directeur de cabinet guinéen : Sidya Touré, qui sera par la suite premier ministre à Conakry et candidat à la présidentielle, et un directeur adjoint de cabinet béninois : Pascal Koupaki, actuel premier ministre du président Yéro Boly et peut-être futur candidat à la présidentielle.

** La défaite des Eléphants ivoiriens face aux Chipolopolos, l’équipe nationale zambienne, célébrée avec un certain enthousiasme dans la capitale burkinabè, a fait s’étonner avec humour quelques Ouagalais : « Il y aurait donc une forte communauté zambienne chez nous dont on n’avait pas soupçonné l’existence ? ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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