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Commissions d’enquête parlementaire : Les antécédents qui n’incitent pas à l’optimisme

Publié le mercredi 22 février 2012 à 01h03min

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Dans le mois de décembre, l’Assemblée nationale a décidé de mettre sur pieds deux commissions parlementaires pour investiguer sur les passassions des marchés publics et les subventions de l’Etat concernant certains soins de santé dans les structures publiques. Composées des députés de la majorité et de l’opposition, ces deux commissions ont commencé leur travail et devraient livrer leurs résultats au bout de deux mois. Que faut-il attendre du travail des députés par rapport à la lutte contre la corruption, puisque c’est de cela qu’il s’agit ? Rien, pour nombre de Burkinabè. Leur scepticisme se nourrit des antécédents dans ce domaine. Incapables même de rendre public les rapports des commissions passées, le parlement burkinabè n’inspire plus confiance.

En 2008, à la faveur des manifestations violentes consécutives à la hausse des prix des denrées de première nécessité, le parlement avait diligenté une enquête sur la qualité des produits de grande consommation. A la fin de l’investigation, des informations avaient filtré sur la mauvaise qualité de certains produits. Mais le public n’a pas eu droit à l’information sur l’identité des différentes marques incriminées et leurs propriétaires. Le parlement dominé par le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) avait préféré protéger les gros bonnets au détriment de la santé des consommateurs. Le parti au pouvoir très lié aux opérateurs économiques a fait son choix de défendre leurs intérêts. Pourquoi alors avait-il créé la commission ? On a l’impression que c’était juste pour respecter une certaine tradition qui veut que chaque législature ait au moins dans ses tiroirs quelques rapports d’enquête pour comptabiliser dans le bilan.

La première législature avait failli ne même pas disposer de tels rapports. Il a fallu la crise politique au sein du parti présidentiel pour que l’Assemblée nationale soit instruite pour créer deux commissions dont une sur les privatisations dans le but de museler l’ex-premier ministre Roch Marc Christian Kaboré. En 1996 comme en 2012, l’Assemblée nationale est un instrument au service du président Compaoré pour neutraliser ses rivaux politiques. En 1996, le président de cette institution fait créer deux commissions d’enquête parlementaires pour faire la lumière sur le processus de privatisations opérées deux ans auparavant sous la responsabilité de Roch Kaboré. Il n’échappe à personne qu’il a fallu attendre deux ans après les privatisations pour que l’institution dirigée par Bongnessan Arsène Yé se rende compte de la nécessité de mettre sur pied ces commissions. Dans l’opinion publique, on se demandait également pourquoi avoir attendu cinq ans après son installation pour mettre en place ces commissions alors qu’il y a eu d’autres affaires qui ont défrayé la chronique sans pour autant déclencher la machine parlementaire. L’affaire du présumé détournement de 29 tonnes d’or dans la mine d’Essakane par exemple n’a même pas fait l’objet d’une question orale adressée au gouvernement. Tous les mécanismes, toutes les procédures et tous les organes de contrôle qui devraient permettre la transparence avaient été mis de côté depuis la prestation de serment du chef de l’Etat.

Dans ce contexte, il faut lier la mise sur pied de ces commissions parlementaires à la conjoncture politique du moment : la crise au sein de l’ODP/MT. Dans un système semi-autoritaire comme celui de la IVè République, cette crise ne s’exprime pas de manière ouverte. Les mécanismes de régulation sociale et les canaux traditionnels de communication rendent très peu compte de ce qui se passe au sommet du pouvoir. Il faut lire la presse indépendante pour connaitre le degré de conflictualité qui existe entre les différents protagonistes. Les acteurs préfèrent se confier en privé à certains médias. Un élu du parti majoritaire confiait à L’Indépendant (novembre 1995) par rapport à l’institution des commissions parlementaires : « Je suis à l’Assemblée nationale pour voter ce que le président dit de voter, un point un trait ». Le journaliste estime par ailleurs qu’il n’est pas le seul dans ce cas : « les votes mécaniques et les discours élogieux à l’endroit du chef de l’Etat au sein de l’hémicycle témoignent du rôle de figurant que jouent nos élus du grand parti. La discipline de groupe ne suffit pas à expliquer l’effacement de la personnalité des uns et des autres ».
Les acteurs politiques ont certainement intériorisé les mœurs politiques des années 80 et 90. Ils se disent que le système n’a pas fondamentalement changé. Dans son rapport en 1997 sur l’état de la démocratie au Burkina Faso, International IDEA parlait d’une « démocratie surveillée, contrôlée, impulsée d’en haut à bien des égards, un changement dans le régime issu du coup d’Etat du 15 Octobre 1987 et non pas un changement de régime ».

Les protagonistes vont s’évertuer à démentir la brouille qu’il y a entre eux comme au temps du CNR et du Front populaire. Dans les deux cas, ce sont les dénouements tragiques qui ont révélé au grand jour les contradictions à l’intérieur du système. Roch Kaboré a beau parler de « journalisme fiction qui créé des événements, les développe… », il n’en demeure pas moins que la situation n’est pas aussi calme qu’il le prétend. Ses rapports avec le chef de l’Etat ont connu un relâchement depuis sa nomination au poste de premier ministre. Le président Compaoré, lui, pour contrer les rumeurs, s’est vu dans l’obligation de responsabiliser publiquement son premier ministre dans le dossier des négociations avec les syndicats, ce qui relève normalement de ses responsabilités de premier ministre.

Bongnessan Arsène Yé est également monté au créneau pour expliquer que son institution ne joue pas le rôle d’inquisiteur : « Les gens croient que nous avons fait les enquêtes pour mettre des gens en prison, or non ! Le législatif peut et doit contrôler l’exécutif. » (mars 1996 lors de la réunion interparlementaire tenue à Ouagadougou). A quoi pourraient alors servir les résultats des commissions d’enquête parlementaires qui n’ont jamais été rendus publics sinon à être utilisés pour ramener des gens dans le giron du chef de l’Etat ? Il avait besoin de ces gens pour les batailles électorales. Il n’y a effectivement eu aucune poursuite judiciaire et tout semble être rentré dans l’ordre avec la création du CDP. Aujourd’hui, le contexte a légèrement évolué et les enquêtes répondent à la pression des partenaires extérieurs du pays qui s’alarment à chaque rencontre avec les autorités burkinabè de l’ampleur sans cesse grandissante de la corruption.

On aimerait bien que cette fois-ci, le Parlement nous surprenne en transmettant les rapports à la Justice et en les rendant publics. Est-ce trop demander aux représentants du peuple que de lui dire ce qu’ils ont trouvé durant leurs travaux ? Roch Marc Kaboré sera-t-il plus transparent que le barbu ?

Abdoulaye LY

MUTATIONS N. 6 de février 2012, Mensuel burkinabé paraissant chaque 1er du mois (contact : Mutations.bf@gmail.com)

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Vos commentaires

  • Le 22 février 2012 à 08:57, par SOUGRI En réponse à : Commissions d’enquête parlementaire : Les antécédents qui n’incitent pas à l’optimisme

    merci pour votre analyse,effectivement trop de rapports d’enquêtes dorment dans les tiroirs de notre auguste Assemblée qui ressemble à quelqu’un qui se chatouille pour rire.Triste réalité pour le Faso qui malgré sa relative paix sociale veut être un pays émergent.Pourquoi le projet de loi sur le délit d’apparence proposé par un député n’a pas été voté ? Nous pensons que l’éducation d’un peuple commence par le comportement exemplaire de ses dirigeants.Le changement pour un BURKINA ou il fait bon vivre viendrait de là. Méditons cette phrase de F. le Général SANGOULE" La parole c’est bien,mais la parole + les actes c’est encore mieux.

  • Le 22 février 2012 à 13:23, par sylvanus En réponse à : Commissions d’enquête parlementaire : Les antécédents qui n’incitent pas à l’optimisme

    l’analphabétisme caractéristique de notre peuple ne serait point une damnation si ce dernier ne s’évertuait pas inlassablement à choisir ses représentants parmi ceux qui contribuent à le maintenir dans cet état et dans celui de sous-hommes manipulés, exploités, méprisés, ... Y’a rien à espérer de nos représentants actuels de quelque niveau que ce soit (élus locaux, députés, chef de l’Etat, ...), si le peuple ne change pas sa manière de les choisir, s’il ne comprend pas qu’un représentant du peuple est sensé faire ce que veut le peuple ou on le dégage illico presto, s’il ne sait pas que ses représentants doivent lui rendre régulièrement compte de leur gestion de la chose publique, sinon il le leur demande, ... Vraiment on a du chemin, mais bon, ... On verra si le peuple a mûri dans le bon sens lors des prochaines élections couplées. A y penser, y’a vraiment rien à espérer. Tant que des peuples où l’on est prêt à s’immoler pour que le quotidien des autres s’améliore n’auront pas achevé de s’affranchir de la dictature, du népotisme et de l’autocratie (nouvelles versions), ce ne sont pas des peuples qui oublient l’intérêt général pour penser à leur "ventre" et à leur "que deviendrais-je après", le temps d’une élection (surtout quand sont distribués des gadgets et d’autres biens, quand sont promis des paradis et de nouveaux statuts sociaux après élection, etc.), qui le feront.

  • Le 22 février 2012 à 13:24, par çak sida En réponse à : Commissions d’enquête parlementaire : Les antécédents qui n’incitent pas à l’optimisme

    Du n’importe quoi, les enquêtes parlementaires.
    Je n’attends rien de concret sur ces enquêtes, ces messieurs sont capables de tout sauf de bien faire les choses.
    Argent du contribuable, lç ils savent l’utiliser !
    Bon vent à vous, chers honorables !

  • Le 22 février 2012 à 17:38, par Subtance Grise En réponse à : Commissions d’enquête parlementaire : Les antécédents qui n’incitent pas à l’optimisme

    Ces politiques adnistrateurs commercants,entrepreneurs,miniers,agro-business men....ont exploite le BF pendant des decennies. Ils ne sont meme plus des etre humains car n’ont aucun humanisme. Si non comment comprendre que ce soit eux qui sont les milliardaires du BF, a commencer par Blaise Compaore. Et oui c’est comme ca que la france nous exploite a travers ces valets locaux. Et si un jour le peuple se revolte ,cette france change un coup de visage et semble supporter les populations. Regardez la CI ;parce que Houphoue faisait l’affaire de la France,on s’est tu et apres Boigny la catastrophe. C’est pareil au Gabon ’cameroun,Togo, Burkina...
    Les presidents et leurs parlements sont inutiles a leur peuples car se servir et servir la France est leur premier soici.
    Mais rassurez vous,viendra un moment ou ils vont tous courir et ce tps n’est plus loin pour ces criminels.C’est pas ca la democratie. Quand a toi Rock tu comprendras bientot que la limitation des mandats presidentiels n’est pas anti-democratique. En moore on dit qu’on ne pille pas ce qui va suffir a tous.

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