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La Guinée équatoriale a raté l’occasion de faire de la CAN la vitrine de son « niveau de développement »

Publié le mardi 21 février 2012 à 01h12min

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Les deux puissances pétrolières (l’une finissante, l’autre émergente) d’Afrique centrale, le Gabon et la Guinée équatoriale, viennent d’en terminer avec l’organisation de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN). L’occasion, pour ces pays, de réaliser en un temps record, des infrastructures qui, en d’autres temps, auraient demandé l’éternité + un jour. Le Gabon avait déjà un potentiel. La Guinée équatoriale, qui n’est pas une nation sportive (pas même une nation mais un conglomérat de familles dont celle du président), avait beaucoup à faire. Et a su faire beaucoup.

C’est fou ce que les « com » sur les chantiers permettent d’accélérer les cadences. La CAN étant, à Malabo, un projet présidentiel, il n’était pas question de mécontenter le chef de l’Etat ! A Malabo, la capitale du pays (sur l’île de Bioko), et à Bata (sur la partie continentale du territoire : le Rio Muni), Obiang Nguema Mbasogo a fait construire deux stades exceptionnels qui, désormais, vont pouvoir pourrir tranquillement sous ce climat équatorial particulièrement dévastateur. Peu importe, personne ne joue au football dans ce pays (l’équipe nationale était composée pour l’essentiel de « mercenaires ») ; et personne, semble-t-il, ne s’y intéresse. La meilleure preuve en est que, hormis les matches joués par l’équipe « nationale », les rencontres organisées à Malabo et à Bata se sont déroulées dans un stade quasiment vide.

Qui pouvait penser qu’il en serait autrement ? La Guinée équatoriale est une île (Malabo) des îlots (Annobon, etc.) et un bout de terrain (Rio Muni) enclavé entre le Cameroun et le Gabon. A tout casser 500.000 habitants. Un clan de quelques milliers d’individus « dirige » le pays tandis que la population, condamnée à survivre, n’a même pas les moyens de rêver. Des compagnies US, des multinationales européennes, des sociétés asiatiques font tourner la boutique à coups de « com » et d’exploitation d’une masse phénoménale « d’expatriés » africains qui, depuis 1995 (année où le pétrole a été exploité pour la première fois dans le pays), ont espéré dans « l’eldorado » équato-guinéen.

J’ai dit, déjà, longuement, ce qu’il fallait penser de l’histoire de ce « pays » et de son évolution au cours des vingt dernières années. L’argent du pétrole n’a pas changé la donne en Guinée équatoriale. Le pays, après deux décennies d’exploitation pétrolière, n’est pas parvenu à sortir le peuple des ténèbres dans lesquels l’ont plongé les colonisations portugaise et espagnole, la décolonisation tardive tandis que Franco régnait à Madrid, la dictature sanguinaire de Macias Nguema, « l’oncle » de l’actuel président, et la corruption délirante de la plupart de ses « élites ». L’ancrage du pays aux institutions de l’Afrique centrale francophone (avec le franc CFA comme monnaie) n’a pas permis d’impulser un réel changement des mentalités. Trop d’argent trop vite, trop de corrupteurs et trop de corrompus. La CAN résume le drame de ce pays : il est plus facile d’y construire un stade que de le remplir avec des spectateurs passionnés et enthousiastes.

Je ne m’étonne pas qu’à Bata et Malabo, les gradins soient restés vides. Ce n’est même pas une question de coût du billet (même s’il était exorbitant pour le commun des mortels). C’est que la Guinée équatoriale est un pays d’une infinie tristesse formaté par les dictatures coloniale et post-coloniale : mettez deux Guinéens côte à côte pendant une journée entière dans un endroit public. Ils ne s’adresseront jamais la parole. S’ils le faisaient, on pourrait penser qu’ils complotent contre le pouvoir. Je ne caricature même pas.

Le football est une fête pour les populations. C’est un événement politique pour le pays organisateur. Pour la Guinée équatoriale, dont pas grand monde ne sait à quoi elle ressemble, c’était l’occasion de valoriser son « niveau de développement ». Sur un territoire grand comme un mouchoir de poche et où rien, jamais, n’avait été entrepris, il n’a pas été difficile, à coups de pétrodollars, de changer la physionomie d’un pays où, il y a vingt ans, c’était encore le « monde du silence » : pas d’hôtels et de restaurants dignes de ce nom, pas de téléphone, pas d’eau, pas de taxis, pas de liaisons aériennes régulières avec le reste du monde mais quelques Antonov à bout de souffle pilotés par des Ukrainiens… Depuis, on a construit des autoroutes, des échangeurs, des aéroports, des bâtiments publics, des hôtels et des restaurants, même une « ville nouvelle »… Mais les comportements n’ont pas changé. « A Malabo, écrit un journaliste burkinabè, rien n’était réuni pour montrer qu’on vivait la CAN ». Et dans son « Journal de la CAN 2012 » publié par L’Observateur Paalga, Justin Daboné, en fin de séjour, rêve de Ouaga où « c’en sera fini du calvaire ».

Que retenir de son voyage ? Des « étrangers spoliés, traqués, pourchassés », des forces de l’ordre qui rackettent, des entreprises chinoises omniprésentes mais qui n’emploient aucun Africain qualifié, rien que des Chinois, sauf pour « creuser des trous », le règne des passe-droits (il faut lire l’histoire d’H. D., concierge d’un immeuble de la sœur aînée du chef de l’Etat, sans papiers, mais bien payé et « protégé » : « Il est devenu un personnage intouchable dans un pays où la plupart de ses compatriotes se cherchent », écrit Daboné). Mahorou Kanazoé, dans Le Pays (7 février 2012), donne une image plus négative encore de la condition faite aux expatriés africains en Guinée équatoriale : « C’est l’esclavage assuré sur des chantiers où les notions de droit du travail sont totalement inconnues. Plus que les salaires injustes, c’est la façon de traiter ces travailleurs, dont les bras sont pourtant utiles pour la construction du pays, qui écœure le plus ». Il dresse un portrait sans concession de « Guantanamo », le commissariat central de Malabo, « un véritable bagne » où sont entassés les sans-papiers* (enfin ceux qui ne « travaillent » pas pour la famille présidentielle).

L’Afrique n’aime-t-elle pas l’Afrique ? Ou, plus exactement, les chefs d’Etat d’Afrique n’aiment-ils pas les Africains ? Nguema vient de présider l’Union africaine pendant un an. Et d’organiser la CAN. Le pays n’a pas « d’élites », pas d’enseignants, pas de cadres, pas d’ingénieurs, pas d’administrateurs... pas de personnel qualifié. Mais des ressources financières considérables qu’il ne parvient même pas à absorber dans des programmes d’équipement. Comment peut-on imaginer que les diasporas africaines, qui jouent le jeu du développement du pays, soient dans la situation décrite par les journalistes burkinabè ? « Plus que les salaires injustes, c’est la façon de traiter ces travailleurs […] qui écœure le plus » écrit Kanazoé. C’est que cet esclavagisme « mondialisé » permet de maximiser le profit de ceux qui, déjà, profitent de tout, à commencer par la corruption qui règne dans le pays. Dommage. On pouvait espérer que la CAN, après l’UA, pourrait infléchir le mode de production politique de ce pays et que la Guinée équatoriale en finirait avec un « bling-bling » qui ne mène à rien si ce n’est au mépris de l’autre.

La CAN l’a confirmé. On ne s’étonnera pas que ce soit un journaliste burkinabè (Yacinthe Sanou dans L’Observateur Paalga du lundi 13 février 2012) qui l’ait relevé évoquant la victoire, hier soir, des Zambiens face aux Ivoiriens. « C’était oublier, écrit-il, que les jeunes zambiens avaient un atout autrement plus percutant : ils n’ont pas de stars à l’image de Didier Drogba, de Gervinnho, de Yaya Touré et autres, mais ils forment un collectif, une équipe au sens propre du terme, qui sait pratiquer un football fluide. D’un côté donc de grosses individualités, de l’autre une famille ». Les chefs d’Etat (et pas seulement eux) devraient méditer cette assertion : pour gagner, il faut former un collectif !

* La notion de « sans-papiers » y est à géométrie variable. Invité par le président Obiang à Malabo, qui m’avait reçu le matin même, je me suis trouvé interpellé vers 21 heures, à quelques dizaines de mètres de l’entrée du Sofitel, de retour d’un restaurant non loin de là, par un policier qui voulait voir mon passeport, l’a regardé et m’a demandé de le suivre à « Guantanamo » parce que lui, qui ne parlait ni ne lisait le français, avait détecté un faux. Il m’a fallu du temps et l’intervention de la sécurité présidentielle (assurée par des Marocains) pour me sortir de la nasse. Si je n’avais pas eu ce contact direct et que je me sois laissé impressionner par un contrôle de police, je n’imagine pas ce qui serait arrivé. Enfin, si, je l’imagine trop bien.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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