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Présidentielle 2012 au Sénégal : Vers un mandat de trop pour Abdoulaye Wade ?

Publié le mardi 14 février 2012 à 02h00min

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Une lecture d’ensemble de l’actualité sociopolitique au Sénégal laisse croire d’une part que le président sortant et à la fois candidat à sa propre succession, Maître Abdoulaye Wade, a oublié que la roue tourne (et bien sûr avec lui), et d’autre part que ses principaux opposants - soutenus par des mouvements de la société civile - ont échoué dès le départ en n’ayant pas opté pour une candidature unique - peut-être étaient-ils certains que Wade finirait par ne pas se présenter pour un troisième mandat ! Ce qui est sûr, le Sénégal ne sera plus jamais comme avant.

Et dire que Abdoulaye Wade, le maestro du Sopi - « changement » en wolof, slogan de sa campagne lors de la présidentielle de 2000 - refuse douze ans plus tard d’appliquer ce qui lui a sans doute valu d’être élu président face à son prédécesseur du parti socialiste, Abdou Diouf ! Oui pour le changement, mais pas quand cela me concerne. C’est ce que semble dire le plus diplômé et le plus âgé des présidents de la planète terre, après son homologue zimbabwéen Robert Mugabé. En modifiant la Constitution sénégalaise pour pouvoir se présenter une troisième fois à la présidentielle, le candidat du Parti démocratique sénégalais (PDS) serait en passe de créer un précédent dangereux pour la suite de l’histoire d’un des pays africains les mieux en vue démocratiquement.

Alors que les dernières réformes constitutionnelles dans le continent ont plutôt tendance à limiter non seulement le nombre de mandats, mais aussi à fixer un âge limite aux candidats à la magistrature suprême. Ce qui fâche dans son cas, du point de vue de ses adversaires politiques, c’est son âge trop avancé, l’absence de précision constitutionnelle en ce qui concerne l’âge des candidats à la magistrature suprême, et le flou qui règne toujours malgré tout sur son intention de vouloir « installer » son fils Karim Wade au pouvoir. Certains observateurs avaient laissé croire que Wade tentait seulement de divertir ses adversaires et qu’il finirait par retirer sa candidature au moment venu. Pour l’instant, Wade continue de faire mentir une telle thèse. La validation définitive par le Conseil constitutionnel du Sénégal de la candidature de Abdoulaye Wade le 27 janvier dernier et l’entrée effective en campagne de celui-ci à partir du 5 février 2012 sonnent comme une note de première défaite pour ses farouches adversaires ainsi que pour la société civile dans son ensemble.

Les « égarements » de Wade

Il n’est de secret pour personne que Wade avait soutenu ouvertement le Conseil national de transition (CNT) en Libye contre Mouammar Kadhafi. En exigeant et en obtenant le départ de ce dernier, le Roi des chefs traditionnels du continent et son compagnon dans le combat pour le panafricanisme, et au nom de la soif légitime du peuple libyen à se débarrasser d’un régime dictatorial vieux de quarante deux ans, Wade ne se doutait pas que le moment viendrait où son propre peuple lui réclamerait aussi de partir, vu ses états de service malfamés. La triste réalité est que la même France qui aurait sollicité son aide pour débouter Kadhafi se retourne à présent contre lui. La longueur et la durée au pouvoir des socialistes au Sénégal avaient fini par « dégoûter » les Sénégalais en 2000, chose dont a profitée Abdoulaye Wade à l’époque.

Mais celui-ci se refuse à croire qu’aujourd’hui le vent a changé de direction. A ce refus notoire du président-candidat s’ajoutent les multiples défections que le PDS a enregistrées depuis un certain temps du fait, en grande partie, du projet controversé – et plus tard retiré sous la pression de la rue le 23 juin 2011 - de Wade d’imposer un ticket présidentiel (un président et un vice-président) éligible au premier tour avec une majorité simple de 25% des voix. Avant cela, d’autres poids lourds avaient déjà lâché Wade, comme Idrissa Seck, Macky Sall (tous deux candidats à la présidentielle du 26 février prochain). Maître Wade ne faisant plus confiance aux constitutionnalistes de son pays n’a pas hésité à s’octroyer, pour plus de 75 millions d’honoraire, les services du cabinet d’avocats américain McKenna, Long & Aldridge (MLA), afin de lui concocter les justificatifs légaux pour un troisième mandat à la tête du pays.

Pour n’avoir pas tenu sa promesse de démarrer sa campagne électorale à Ziguinchor, en hommage à la fidélité des libéraux du sud, Wade s’est attiré leur courroux, faisant dire à Boubacar Go Gueye, responsable libéral local que « … quand il sera là, après ces séries de trahisons, je me demande qui va l’accueillir ». L’autre erreur de Wade qui ne restera certainement pas sans conséquence est le fait qu’il ait traité de « diktat de l’extérieur » les avertissements clairs de la France et des Etats-Unis. Comparaison n’est pas raison, mais l’histoire de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies reste toujours malheureusement pareille, en ce que l’ancienne métropole continue d’y imposer de quelque manière que ce soit ses points de vue et surtout ses choix. Le dernier Chef d’Etat africain ayant toisé la « chère » France et s’étant mesuré à ses dirigeants – fussent-ils ministres – (nous parlons de Moussa Dadis Camara de la Guinée Conakry) en a eu pour son compte. Attendons de voir comment les gendarmes du monde, en l’occurrence ici la France et les Etats-Unis, réagiront à l’affront de Wade, pour n’avoir pas pris en compte leurs « sages » conseils.

Le « vieux sage » reste sourd aux conseils

Pris dans ce qu’on pourrait appeler les vertiges du pouvoir, le président Wade se refuse vraisemblablement à écouter tout conseil, même émanant de personnalités jugées respectables et/ou éclairées. Sont de celles-ci le prix Nobel de littérature 1986, le nigérien Wolé Soyinka qui n’a pas manqué de traiter Wade et Robert Mugabé d’« octogénaires inamovibles » qui s’efforcent de se maintenir au pouvoir « alors que manifestement ils ont déjà fait leur temps », avant d’ajouter : « Mais qu’est-ce qui leur arrive pour penser que s’ils quittent le pouvoir, la terre va s’arrêter de tourner ? » L’ancien président de SOS Racisme en France, Fodé Sylla a, quant à lui, appelé Wade à « sortir par la grande porte ».

L’artiste ivoirien Tiken Jah Fakoly, à travers deux nouvelles chansons (Alerte et La porte de l’histoire) qui sortiront le 25 février, demande aux chefs d’Etat – et bien sûr à Wade - de prendre exemple sur Nelson Mandela, plutôt que de vouloir rester au pouvoir vaille que vaille. Le silence interrogateur de l’ancien président sénégalais et actuel Secrétaire général de la francophonie, Abdou Diouf devrait également donner à réfléchir à Wade. Il dit tout de même prier pour son pays.

La ferme mais délicate position de ses adversaires

Si d’aucuns accusent l’opposition sénégalaise d’être allée en rangs dispersés à la présidentielle de février 2012, il faut tout de même saluer l’esprit démocratique dont ses principaux leaders font preuve en n’appelant pas au boycott du scrutin, jusque-là. Cela constitue en soi pour ceux-ci une première victoire sur leur adversaire commun à « abattre », à savoir le candidat du PDS. Pendant que les candidats regroupés au sein du Mouvement du 23 juin (M23) organisent des meetings de campagne communs pour exiger le retrait avant la présidentielle de la candidature de Wade, et pendant que les jeunes rappeurs du mouvement « Y en a marre » appellent à « poursuivre la mobilisation jusqu’à ce que Wade renonce à se présenter, pour un troisième mandat », celui-ci étale de meeting en meeting son programme de campagne et soutient mordicus qu’il entrera dans l’arène et gagnera.

Allusion flagrante à une véritable scène de combats de gladiateurs. Que feront les opposants in fine, que ne feront-ils pas, au nom de la démocratie ? Wait and see ! Maintenant que les opposants regroupés au sein du M23 ont accepté joué la carte démocratique en participant aux élections, le mystère reste entier sur ce qu’ils feront au soir du 25 février 2012 si le candidat Abdoulaye Wade venait à être élu avec plus de 52% des voix, comme certains sondages l’avaient déjà annoncé. Après toutes les vagues qui ont récemment secoué le Pays de la Téranga et celles sans doute à venir, peut-on espérer que la terre de Léopold Sédar Senghor parviendra à préserver son intégrité démocratique jadis reconnue comme l’un des meilleurs modèles en Afrique ?

Hermann GOUMBRI

Le Progrès

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