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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (5/12)

Publié le mercredi 8 février 2012 à 18h28min

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Dialogue entre le gouvernement et les « partenaires techniques et financiers » (PTF) du Burkina Faso le lundi 16 janvier 2012 à Ouagadougou (cf. LDD Burkina Faso 0284/Jeudi 2 février 2012). Luc Beyon Tiao, Premier ministre burkinabè, a rendu compte des actions menées pour « relever les défis qui se présentent à nous » : Etat de droit, droits de l’homme, corruption, inflation, etc. Tous les aspects de la vie politique et sociale du pays ont été passés en revue.

« En outre, écrit Sié Simplice Hien dans son papier publié par le quotidien national Sidwaya (mardi 17 janvier 2012), la démarche du Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) depuis juillet passé a permis, selon lui, de couper court à certaines rumeurs. « Selon la volonté du Président du Faso, rien ne se fera sans la volonté du peuple. Cela, pour renforcer la démocratie et que le Burkina Faso ne reste pas en marge de l’évolution du monde, de la société », a affirmé le chef du gouvernement ».

Derrière ce laïus quelque peu abscons, chaque Burkinabè reconnaît là la question majeure : celle de l’article 37 qui établit que Blaise Compaoré terminera sa carrière présidentielle en 2015. On notera, par ailleurs, les deux mots de Hien : « selon lui » ; ce qui laisserait penser que le journaliste considère que les « rumeurs » circulent encore. On notera aussi que Tiao évoque tout autant la « volonté du Président du Faso » que la « volonté du peuple ». Ce qui laisse, bien sûr, la porte ouverte à toutes les supputations tant il est difficile de savoir qui exprime la « volonté du peuple » : l’Assemblée nationale, la Constitution résultant d’un référendum, ou la fameuse « société civile ». On l’a vu au Sénégal : la candidature d’Abdoulaye Wade à la prochaine présidentielle a été validée par la Cour constitutionnelle. Elle est légale. Est-elle légitime ? La « société civile » sénégalaise ne le pense pas. Et qu’à dit Birgitte Nygaard Markussen, ambassadeur du Danemark, chef de file des PTF, à l’issue des entretiens du 16 janvier 2012 : « Le dialogue est vraiment nécessaire pour nous et le Burkina Faso. Nous resterons aux côtés du gouvernement et bien sûr de la société civile ». Ce « bien sûr » résonne tout particulièrement dans la conjoncture politico-sociale actuelle de l’Afrique de l’Ouest !

1er février 2012. Birgitte Nygaard Markussen est en France. Au siège parisien de la Banque mondiale, avenue d’Iéna, dans le XVIème arrondissement. C’est là que se tient la conférence internationale pour le financement de la Stratégie de croissance accélérée et de développement durable (SCADD). On dirait le nom d’un missile intercontinental ; c’est celui d’un programme adopté en décembre 2010, quand Tertius Zongo était encore à la primature, qui porte sur la période 2011-2015 (fin du mandat présidentiel de Blaise). La dernière fois que j’ai assisté à une réunion de ce genre, concernant le Burkina Faso, c’était à Genève, au siège des Nations unies, sous la férule de Pierre-Claver Damiba. On appelait cela « la table ronde des bailleurs de fonds ». C’était à la fin des années 1980 ou au tout début des années 1990. Birgitte redit à Paris, en février, ce qu’elle a dit, en janvier, à Ouaga : les Objectifs du millénaire doivent être atteints en 2015 ; les sources de croissance doivent être diversifiées tandis que la production vivrière doit être développée ; il s’agit de « redonner de l’espoir à la jeunesse » en luttant contre son chômage ; enfin, il s’agit de consolider la gestion du secteur public en mettant l’accent sur la lutte contre la pauvreté.

La Conférence de Paris est d’ores et déjà un succès. Un vrai succès ; pas seulement d’estime : les intervenants sont entrés dans le concret. Résultat : sur un besoin de financement d’un montant de près de 2.750 milliards de francs CFA, 2.651 milliards ont été garantis hors contribution du secteur privé. Ne nous y trompons pas : les investisseurs publics comme les investisseurs privés ont pris en compte que le Burkina Faso d’aujourd’hui est le résultat d’un long processus engagé voici plusieurs années. Ce que Madani Tall, directeur des opérations pour le Burkina Faso à la Banque mondiale, appelle : « la stabilité macro-économique ». Permanence contre alternance ? Pas si simple. Si Blaise a été tout au long de ces années à la tête de l’Etat, il faut prendre en compte que ce « positionnement » suprême n’a cessé d’évoluer en fonction du contexte politique. Blaise 2012 n’est plus le Blaise des années de la « Rectification », ni même le Blaise de la « démocratisation ». Il y a eu l’instauration du poste de premier ministre, puis l’affirmation de celui-ci comme chef du gouvernement, puis son « autonomisation ».

Tout cela a laissé l’impression d’une volonté de « distanciation » de la présidence du Faso, exilée là-bas à Ouaga 2000. La parole présidentielle est devenue rare (à quand remonte le dernier entretien du PF avec un média international ?), laissant croire à une lassitude qui n’était pas nécessairement une usure. Jusqu’à l’implosion, l’an dernier, du gouvernement de Tertius Zongo qui avait voulu aller trop vite, trop loin, oubliant que la réalité burkinabè n’avait rien à voir avec ce qui se passe outre-Atlantique. Remise des compteurs à zéro. Arrivée sur le devant de la scène de Tiao, une autre façon d’être premier ministre. Plus authentiquement burkinabè.

Zongo n’avait pas tort. Mais il voulait avoir raison trop tôt. A Paris, lors de la Conférence de la SCADD, Thierry Tanoh, le représentant de la Société financière internationale (SFI), l’a dit : « Avoir des ambitions, certes, mais se donner les moyens de les réaliser ». Les ambitions économiques nécessitent des moyens politiques. Tiao a entrepris de refonder le lien politico-social entre la population et le gouvernement mis à mal par les dramatiques événements de 2011. Dans un contexte délicat : en 2011, les commentateurs s’étaient étonnés de la vulnérabilité d’un Burkina Faso confronté à une série de mutineries militaires. S’étaient-ils trompés quand ils dénonçaient un régime autoritaire issu d’un régime militaire qui savait serrer les boulons et, à l’occasion, jouer les « tontons flingueurs », alors que, brusquement, celui-ci était mis à mal par quelques bidasses en folie ?

La crise ne profitera pas à l’opposition et aucun mouvement d’ampleur du type « Blaise dégage » n’émergera à cette occasion. C’est que chacun était conscient de l’ampleur du malaise et qu’il convenait de ne pas jeter d’huile sur le feu. Mais ce n’est pas parce que le bilan du dernier quart de siècle est globalement positif qu’il faut s’engager pour un demi-siècle ! Ce n’est pas tant la présence de Blaise à la présidence qui dérange ; c’est l’idée que la présidence puisse penser que le peuple burkinabè n’est pas suffisamment majeur pour s’insurger contre un « tripatouillage » de l’article 37 de la Constitution. D’où le propos quelque peu abscons de Tiao lors de la conférence du lundi 16 janvier 2012 (cf. supra) : « Selon la volonté du Président du Faso rien ne se fera sans la volonté du peuple. Cela pour renforcer la démocratie et que le Burkina Faso ne reste pas en marge de l’évolution du monde, de la société ». C’est une des contradictions de la société civile burkinabè : elle reconnaît le bilan positif mais considère qu’il ne justifie pas que l’on s’éternise au pouvoir. Mais il est vrai que ce régime a prouvé, par le passé, qu’il n’était pas nécessaire d’avoir un septennat ou un quinquennat devant soi pour engager des réformes fondamentales : il n’est qu’à dresser le bilan de ce qui a été entrepris entre le 15 octobre 1987 (conquête du pouvoir) et le 12 janvier 1994 (dévaluation du franc CFA), soit moins d’un septennat, pour s’en convaincre !

En 2011, alors que le Burkina était en période post-présidentielle (une présidentielle qui s’était déroulée dans une indifférence quasi totale), Ouaga a dû faire face à une autre situation post-présidentielle, bien plus douloureuse : la Côte d’Ivoire. Or, Tiao sait aussi que la relance du Burkina Faso passe par Abidjan. Mais que Ouaga ne peut plus être à la remorque de la croissance ivoirienne et qu’il lui faut, dans une perspective de saine compétition, se donner les moyens de jouer son propre jeu.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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