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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (4/12)

Publié le mardi 7 février 2012 à 16h11min

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Abdoulaye Wade espérait-il que la performance annoncée de l’équipe nationale de football à la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) ferait passer la pilule amère des décisions du Conseil constitutionnel ? Raté. Trois matches, trois défaites pour les Lions de la Téranga. L’équipe nationale du Burkina Faso, les Etalons, revient au « Pays des hommes intègres » avec le même bilan. Il n’y a que le ministre des Sports et des Loisirs, le colonel Yacouba Ouédraogo pour penser « qu’il ne faut pas s’alarmer parce que nous avons une bonne équipe » (Le Pays – jeudi 2 février 2012).

Il aurait fallu, sans doute, en avoir une mauvaise pour gagner, ce qui est quand même la finalité de toute compétition sportive ! Une mauvaise équipe pour gagner, est-ce aussi ce à quoi se prépare l’opposition burkinabè pour s’imposer lors des prochaines échéances électorales ? « Mais que constate-t-on ? s’interroge Adam Igor dans le Journal du Jeudi de ce matin (2 février 2012). « Une opposition dont les membres se vouent une inimitié plus tenace que celle nourrie vis-à-vis des partis au pouvoir. Et pourtant, le contexte politique national marqué par la bruyante sortie de bidasses qui a refroidi les ardeurs des zélés du régime et la toute dernière affaire, celle dite « Guiro »*, ont donné de belles opportunités à l’opposition. Hélas, cette dernière n’a pas changé son fusil d’épaule. Chaque membre continue de se tracer son chemin en solo. On en est même à se demander si la disparition de certaines figures emblématiques n’a pas sonné son glas […] Qui alors pour porter l’étendard d’une opposition qui gagne ? Devinette à plusieurs inconnues ».

Il est vrai que si, trop souvent, les pouvoirs en place en Afrique se portent mal, les oppositions ne se portent pas mieux. La visibilité de l’opposition au Burkina Faso est faible. Ce n’est pas faute de « combattants » : 166 partis (mais plus d’une centaine ne seraient pas en règle avec la législation !). L’Assemblée nationale burkinabè va fêter, le 15 juin 2002, le vingtième anniversaire de la renaissance du parlementarisme. Roch Marc Christian Kaboré, son actuel président (il l’est depuis dix ans - 3ème et 4ème législature - et entend, dit-il, ne pas le rester), a déclaré, lors du lancement officiel des activités commémoratives le 1er février 2012, que le parlement est « la véritable vigie de la démocratie » au Burkina Faso. Mais il n’est pas certain que dans ce pays encore essentiellement rural (et qui le reste, culturellement, même quand il est urbanisé), le député soit considéré comme le représentant de la démocratie et ne soit pas perçu, seulement, comme le « petit chef » qui doit veiller au bien-être de ses… ouailles.

Arsène Bongnessan Yé, figure historique de la « Révolution » et de la « Rectification », qui en a été le président de 1992 à 1997 (1ère législature), préside le Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) qui a organisé, fin 2011, les Assises nationales… sur les réformes politiques. Ce qui tend à démontrer que l’Assemblée nationale est une « vigie » parfois assoupie de la démocratie dès lors qu’il faut des structures-appendices pour discuter des problèmes majeurs de la… démocratie burkinabè. Les Burkinabè ne se sont guère passionnés pour ce CCRP et ces Assises nationales (qui bénéficient désormais d’un comité de suivi et d’évaluation de la mise en œuvre des… réformes politiques) ; leur seule préoccupation tient en deux chiffres : 37. Numéro d’ordre de l’article de la Constitution qui limite à deux le mandat présidentiel et que les Burkinabè subodorent le pouvoir de vouloir, une fois encore, réviser.

La Constitution de juin 1991 avait établi, dans cet article 37, que le président était rééligible une fois. Le 27 janvier 1997, l’Assemblée des députés du peuples (ADP), devenue Assemblée nationale, sur proposition des représentants du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), procédera à sa révision : le président peut se présenter autant de fois qu’il le souhaite. Le président de l’Assemblée nationale s’appelait alors… Bongnessan Yé. Il expliquera à Assou Massou (Jeune Afrique n° 1886) : « Au cours du premier [mandat], [le président] lançait son programme. Il avait besoin d’un second [mandat] pour l’achever. Mais il lui fallait d’abord tenir compte des tendances au sein du CDP. Celui-ci rassemble plusieurs formations dont les leaders espèrent accéder à la magistrature suprême. Et la limitation des mandats suscitait des ambitions présidentielles précoces, susceptibles d’empêcher le pays d’avancer ». Cet amendement sera mal accueilli. « Je reconnais que l’opinion n’a pas été préparée. Mais, je ne comprends pas pourquoi l’opposition assimile le mandat présidentiel renouvelable à l’instauration d’une présidence à vie. Au bout de sept ans, le président, quel qu’il soit, doit se soumettre au verdict des urnes. Et, connaissant Blaise Compaoré, je peux vous assurer qu’il n’est pas partisan de la présidence à vie ». C’était en 1997. Il y quinze ans. Au printemps 2011, lors des travaux du CCRP, Bongnessan Yé tenait toujours le même discours : « Nous ne sommes pas ici pour réviser l’article 37 pour que Blaise Compaoré s’éternise au pouvoir ». C’est qu’entre temps, à la suite de la dramatique « affaire Zongo » (1998), la limitation des mandats présidentiels avait été rétablie dans la Constitution.

C’est dire que le souci de l’alternance est permanent au sein de l’opinion publique burkinabè. Enfin, c’est l’impression qui domine. En ville ; et dans les médias. Est-ce vrai au sein du monde rural ? Sans doute pas là où on cultive le culte du chef, celui qui assure la sécurité et veille au bien-être du groupe. C’est la thèse d’Abdoulaye Wade ; il y a consacré, en 2007, un ouvrage : fils de chef, chef et père de chef ! On voit où cela mène. Ce n’est pas la compétence du chef ou de son fils qui est en cause (ou de quiconque d’autre auquel il entend transmettre - formellement ou informellement - un pouvoir acquis par les urnes ou la « conjoncture »), c’est que cette dévolution dynastique du pouvoir implique d’abord que les élections ne sont que des formalités, d’où les « tripatouillages », ensuite qu’il est nécessaire de perdurer au pouvoir : pour qu’il y ait un héritier, il faut qu’il y ait un héritage et il faut du temps pour le constituer.

La permanence serait donc la tradition ; l’alternance, la modernité ! La ville contre la campagne ? Ou la campagne s’efforçant de résister à la ville ; l’ancienne génération ne comprenant pas où veut aller la nouvelle génération et comment elle veut y aller ? Le dilemme existe. Il faut le prendre en compte. J’ai sous les yeux les pages 18-19 du numéro 7089 de Sidwaya, du mardi 17 janvier 2012. Un papier signé Sié Simplice Hien et des photos réalisées par Issa Compaoré rendent compte de la rencontre entre le Premier ministre, sept membres du gouvernement et les PTF, autrement dit les « partenaires techniques et financiers » du Burkina Faso. Européens, Américains, Asiatiques, Africains. Globalement, costume-cravate pour les hommes, tailleurs pour les femmes. Le PM arbore, quant à lui, une chemise du type Faso Dan Fani . Qui signifie : je viens rendre compte de mon action à la « communauté internationale », mais ce que je défends ce sont les intérêts de mon peuple. C’est qu’il n’est pas facile pour le chef de gouvernement d’un Etat indépendant de répondre ainsi à la « demande d’audience » qui avait été formulée par Birgitte Nygaard Markussen, ambassadeur du Danemark au Burkina Faso, présidente de la Troïka et chef de file des PTF.

Etat des lieux après les mutineries de 2011 ; crise alimentaire et situation sécuritaire régionale ; préparation des élections couplées législatives-municipales de 2012. Birgitte le dit clairement et sans ambiguïté : « Au seuil de cette nouvelle année, nous nourrissons un espoir sincère que les évènements dont nous avons été témoins en 2011 resteront dans l’histoire du Burkina Faso comme une période très difficile, mais aussi comme une opportunité pour la mise en œuvre d’importantes décisions de réformes politiques ».

* Référence à Ousmane Guiro, directeur général des douanes, tellement soucieux des ressources de l’Etat qu’il avait stocké à son domicile, dans des cantines, 2 milliards de francs CFA.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 7 février 2012 à 18:41 En réponse à : Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (4/12)

    bel article a lire sinon pour le reste c’est ainsi que ça se passe dans toutes les dictatures en afrique où chaque fois on tripatouille la constitution. après le dictateur et ses valets sortent pour dire que leur despote n’a pas terminé ses chantiers et il lui faudra un autre mandat. on connait la musique maintenant par choeur du burkina au sénégal en passant le congo,le cameroun etc..c’est tjrs de l’arnaque puisque ces dictateurs ne font rien pour nous,ce sont leurs intérets et ceux de leur bande qui les intéressent. il est temps de chasser l’engeance parceque on ne veut plus de ces présidents voyous voleurs

  • Le 8 février 2012 à 00:03, par lhommearsène En réponse à : Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (4/12)

    Très interressant !!!!
    Même si le style est parfois un tantinet lourd.

    La suite s’il vous plait.

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