LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Nous sommes lents à croire ce qui fait mаl à сrοirе. ” Ovide

Etienne Minoungou : « J’ai peur que l’on revienne à un Etat d’oppression »

Publié le mardi 7 février 2012 à 01h07min

PARTAGER :                          

En attendant la « plateforme festival » des Résidences panafricaines d’écriture, de création et de recherche théâtrales (Récréâtrales) 2012 qui se tiendra à Ouagadougou du 3 au 10 novembre, Etienne Minoungou, le maître d’œuvre de ce rendez-vous théâtral (dont la première étape commence ce 5 février 2012), et son équipe mettent déjà les bouchées doubles pour tenir le pari. D’autant que l’on célèbrera, cette année, le dixième anniversaire de cet événement culturel de dimension internationale. Dix ans d’existence et une septième édition pleine de promesses, placée sous le thème « Insoumissions ». Dans cette interview à fasozine.com, Etienne Minoungou, directeur des Récréâtrales, lève un coin de voile sur les spécificités de la cuvée 2012…

Fasozine.com : Quels sont les sentiments qui vous animent au moment où les Récréâtrales célèbrent leur dixième anniversaire ?

Etienne Minoungou : Des sentiments de surprise parce que nous pris cette initiative par enthousiasme, presque naïvement, et ne pesions en faire un projet. Et j’ai toujours dit à mes camarades, chaque fois qu’une édition se termine, que j’ai l’impression d’avoir rêvé et que je ne vais pas pouvoir en faire une autre. Et puis, quelques temps après, l’excitation reprend le dessus, l’imagination est forte, et on se lance à nouveau dans l’aventure ! Je suis donc agréablement surpris que cette année marque le dixième anniversaire des Récréâtrales.
Mon deuxième sentiment après la surprise, c’est l’inquiétude. Il y a comme une espèce de pression qui devient grande. Aujourd’hui, on attend beaucoup des Récréâtrales. Je me demande tout le temps si cela va marcher ou pas. Et j’avoue que ce n’est pas un sentiment très désagréable.

Qu’est-ce qui vous a le plus marqué pendant ce parcours et de quel acquis êtes vous le plus fier ?

Chaque édition a eu sa particularité. Mais ce que je sais et ce que j’aime, c’est le temps entre deux éditions. Cette période est incroyable car en quittant une édition, je suis déjà pleine imagination pour la suivante. Par contre, je dois avouer que l’édition 2004 a été particulière pour moi par qu’une résidente des Récréâtrales, notamment Josiane Yapo qui jouait dans la série « Ma famille », est décédée. Nous étions alors partagés entre l’arrêt des représentations et continuer. Mais étant artiste, si on avait arrêté, elle serait morte une deuxième fois, alors nous avons décidé de poursuivre les Récréâtrales, pour elle.

De même, lors de la dernière édition, j’ai été frappé par une émotion intellectuelle. Je me posais souvent la question de savoir en quoi ca consistait mon envie de changer le monde. Et je me suis rendu compte en 2011, que cela commençait par changer son voisin, et c’est ce que nous avons fait avec le théâtre dans les cours. J’ai ainsi découvert le sens que je cherchais dans mon métier. Cela fait partie des grands moments que je retiens.

Cette année, la septième édition est placée sous le thème « Insoumissions ». Quelles sont motivations d’un tel choix et qu’est-ce qui la distinguera des éditions précédentes ?

Les Récréâtrales choisissent toujours une thématique qui n’est pas un thème imposé aux créateurs. Il est souvent choisi en fonction d’un contexte, ce qui se passe dans le monde, dans notre milieu, dans la recherche théâtrale. Le thème de cette année, « Insoumissions », est la résultante de trois sources. La première, c’est le printemps arabe, avec notamment l’acte de Mohammed Bouazizi, cet acte personnel et singulier, qui est devenu un acte d’insoumission par excellence. La deuxième chose, en étant attentif à la manière dont les Burkinabè de petite condition vivent, il m’a semblé qu’il n’y a pas plus grand acte d’insoumission que celui posé par la vieille dame qui se lève tôt le matin et qui va chercher la salade, la tomate pour les vendre au bord de la route pour cacher sa pauvreté, préserver sa dignité, nourrir sa famille.

C’est pareil pour les jeunes qui tournent dans les quartiers, qui se débrouillent avec la petite menuiserie, la maçonnerie, la mécanique, juste pour pouvoir s’en sortir. Je trouve que ce sont des visages d’insoumission.
Dernière source, pour moi, on vit également une période de troubles au Burkina Faso. J’ai peur que l’on revienne à un Etat d’oppression. J’ai observé avec la crise politique de l’année dernière, les mutineries, qu’il y a peut-être une volonté de réformes, de changements sur le plan social et politique, mais que dans ce contexte, il y a des crispations politiques et idéologiques qui vont de nouveau s’affronter. Et pour faire face à une telle situation, il faudra se mettre dans une situation d’insoumission, c’est-à-dire refuser la fatalité. Je n’ai pas la prétention de croire que nous allons apporter des réponses en tant qu’artistes, mais nous allons amener les artistes à réfléchir à partir de cette thématique.

Les cartes blanches constituent l’une des spécificités des Récréâtrales. Avez-vous déjà retenu les têtes d’affiche de cette année ?

La grande chorégraphe burkinabè Irène Tassembédo sera l’une des cartes blanches de cette année. Elle travaillera sur une adaptation des « Bacchantes » d’Euripide, ce grand texte du dramaturge grec. Pour ce que je sais de son projet, elle y associera les vieilles femmes du centre Delwendé qui feront le chœur. La deuxième carte blanche sera pour Martin Ambara, un metteur en scène camerounais, qui présentera une adaptation de « Le prophète », un texte assez célèbre du poète libanais Kahlil Gibran. Il s’agit de l’un des plus beaux textes de la littérature. C’est comme une poésie épique, un conte initiatique, un livre de la vie !

En 2011, nous avons connu un théâtre proche du public, qui s’est même invité dans les maisons. A quoi devrons-nous nous attendre pour cette édition ?

Cette année, le théâtre restera toujours dans les familles. Nous allons de nouveau solliciter d’autres familles à Gounghin pour installer les théâtres. Nous éperons avoir dix habitations pour cette septième édition. L’innovation, c’est que les Récréâtrales ne sont plus seulement dirigées par la compagnie Falinga et la Fédération du Cartel, mais aussi par un comité de quartier composé de femmes, d’anciens et de jeunes, qui deviennent coorganisateurs de l’événement.

Et comme c’est le dixième anniversaire des Récréâtrales, nous allons lui donner un cachet particulier, et ce sera aussi l’occasion de faire des états généraux du théâtre. Nous allons ainsi discuter de notre métier, qui le pratique, où il se trouve, vers quoi on peut évoluer, comment on peut le professionnaliser davantage, créer des synergies… Nous saisirons également cette occasion pour rendre un hommage appuyé à Jean-Pierre Guingané, mon père, pour qui j’ai un immense respect et dont je suis la pièce détachée originale. En effet, s’il était un fabricant - il a aussi fabriqué des hommes et pas seulement l’histoire du théâtre - moi je sors de l’usine et je suis la pièce originale, parmi d’autres pièces originales.

Vous développez plusieurs initiatives pour donner à la culture, en général, sa véritable valeur de moteur de développement. Avez-vous le sentiment d’être de plus en plus compris ? Ou pensez-vous plutôt que vous prêchez dans le désert ?

C’est difficile à évaluer, mais la vraie question serait : que serait le monde sans la culture, l’art ? Nul ne connaît la réponse, mais l’idée déjà d’enlever au monde sa part de culture, d’art, est effrayante. Imaginez une journée sans musique ! Notre regard est façonné par les créateurs. La question n’est plus de convaincre que la culture change le monde, mais de savoir ce que serait le monde sans la culture. Et c’est à chacun de trouver la réponse dans son imagination.

Elza Sandrine Sawadogo

Fasozine

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Dédougou : Le FESTIMA 2024 officiellement lancé
Dédougou : Le festival des masques signe son retour
Burkina / Musique : Patrick Kabré chante Francis Cabrel