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Nouvelle chronique ouagalaise : Le Burkina Faso comme vigie de l’Afrique de l’Ouest (1/12)

Publié le lundi 6 février 2012 à 12h21min

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Destination Ouaga. Après de longues années d’intense activité diplomatique, à la veille du premier « anniversaire » des mutineries de 2011, « le pays des hommes intègres » est engagé sur la double voie de la « croissance économique » et de « l’alternance politique ». La « croissance économique » est une impérieuse nécessité alors que la jeunesse piaffe d’impatience, condamnée, au mieux, à survivre ; même quand elle est bien formée. C’est que « la crise ivoiro-ivoirienne », si elle a favorisé l’émergence d’une nouvelle génération « affairo-politique », n’a pas permis à l’économie burkinabè de se structurer convenablement sur des acquis durables.

Le business un peu glauque l’a emporté sur la bonne gouvernance économique et même l’administration burkinabè, à son plus haut niveau, a sombré dans la corruption. Le directeur général des douanes s’est fait prendre. Combien passent à travers les mailles du filet ? (si tant est qu’il y ait un filet, en la matière, Ouaga vit un peu trop sur ses acquis du temps de la « Révolution » et les soubresauts politico-diplomatiques de ces dernières années ont quelque peu désintégré l’intégrité de la classe dirigeante, décideurs politiques et opérateurs économiques confondus).

Au sein du pouvoir, après avoir senti le vent du boulet en 2011, on avance désormais à pas comptés. « Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable ». L’annonce qui, autrefois, « bornait » les couloirs du métropolitain parisien, trouve une nouvelle actualité en terre africaine. Tandja à Niamey, Gbagbo à Abidjan, Wade à Dakar ont voulu aller plus loin avec un ticket périmé. La sanction est tombée.

A Ouaga, on se pose la question. 15 octobre 1987-15 octobre 2012. Cette année sera celle où la classe dirigeante née de la « rectification » va passer le cap du quart de siècle au pouvoir ! Et quelques uns se demandent jusqu’où ils pourront ainsi aller ; d’autres se disent qu’il est peut-être temps d’aller voir ailleurs ce qui se passe. La « génération 1987 », arrivée au pouvoir alors qu’elle était composée de trentenaires, au pire de « quadras », truste encore les places et les réseaux d’influence. C’est un mur de verre contre lequel bute la génération de ceux qui sont nés au Burkina Faso et non pas en Haute-Volta ; une génération souvent mieux formée que celle de ses aînés mais, bien évidemment, moins entreprenante politiquement. Il n’y a plus grand monde pour s’adonner à la « révolution permanente »… ! Sauf que la « génération 2012 », sachant ce qu’elle sait et ouverte sur le monde grâce aux nouvelles technologies, n’entend pas vivre aujourd’hui comme vivait la « génération 1987 » avant d’accéder au pouvoir et aux postes de responsabilité. Non seulement les temps ont changé mais, plus encore, le temps s’est accéléré. Et la « génération 2012 » se lasse d’être une génération frustrée.

Destination Ouaga. Où aller, ailleurs, aujourd’hui ? CAN oblige, l’Afrique centrale, obsédée par le football, est infréquentable. Et l’opulence qu’affichent à cette occasion la Guinée équatoriale et le Gabon est insupportable quand on connait la réalité sociale de ces deux pays (qui, à l’instar du Cameroun tout aussi fou de foot, n’ont connu que deux présidents - et pour chacun d’eux des « héritiers » - depuis leur indépendance !). Dakar cherche une maison de retraite pour Wade, Bamako ne sait plus quoi faire de ses Touareg et de ses AQMistes qui pullulent, Abidjan s’est décentralisé à… Paris, Cotonou a débouché le champagne pour fêter l’accession de Thomas Boni Yayi à la présidence de l’Union africaine, etc.

Destination Ouaga. Via Casa. Quand on se refuse à payer des prix exorbitants (le salaire mensuel d’un journaliste) pour un AR sur un vol direct au départ de Paris, il y a toujours une solution Royal Air Maroc (RAM). Qui applique l’adage : « Le temps c’est de l’argent ». On paye moins cher, mais on passe beaucoup de temps en escale dans la capitale économique du Royaume. Pas de problème quand on fait mon job. « Je suis là et telle chose m’advint » disait, déjà, au XVIIème siècle, Jean de La Fontaine. Mon boulot, c’est ça. Etre là et raconter ce qui se passe. A Casa, cela tombe bien. Le Maroc a un nouveau gouvernement qualifié « d’islamiste » et en Suisse vient de se tenir le Forum économique de Davos (où, quand le capitalisme se pensait éternel, on rendait hommage à la mondialisation) auquel a participé le nouveau premier ministre marocain, tandis qu’à Addis-Abeba (Ethiopie) se tenait un sommet de l’Union africaine. Une UA à laquelle le Maroc ne participe plus. Ce qui n’a pas empêché le nouveau ministre marocain des Affaires étrangères de se rendre dans la capitale éthiopienne pour y rencontrer des personnalités africaines dont le nouveau président de l’UA, le Béninois Boni Yayi.

La diplomatie de Rabat est en cours de recomposition. L’Economiste, quotidien marocain, ce lundi 30 janvier 2012, lui consacrait son édito. « Sur le plan de la politique étrangère et de la diplomatie, le gouvernement Benkirane risque d’entraîner le Maroc dans des voies sans issue. En effet, la nouvelle équipe définit ses priorités comme devant aller d’abord vers le Maghreb, ensuite, le monde arabe et musulman, et après, le reste du Monde ». Le récent déplacement à Alger de Saâdeddine El Othmani, ministre des Affaires étrangères, a été « sévèrement critiqué au Maroc » ; on a évoqué la « naïveté » du gouvernement, voire une « humiliation ». L’Economiste affirme que, par contre, l’Europe est une nécessité vitale : c’est là que se fait « le principal des échanges économiques du Maroc » ; c’est aussi la première destination « des flux migratoires de la population ». Et même si l’Union européenne traverse « une crise économique grave […], il serait illusoire, même dangereux, de considérer les rapports avec l’UE comme secondaires ». Il n’est pas sûr, d’ailleurs, qu’Abdelilah Benkirane, le premier ministre marocain, considère l’UE « comme secondaire ». Sa première sortie internationale, il l’a consacrée au 42ème Forum économique de Davos. Avec un style en rupture marqué par une « spontanéité inhabituelle sous les cieux politiques [marocains] » (où l’abstinence d’alcool, y compris pour les invités de marque, est anecdotique mais relevée par la presse marocaine).

Intervenant sur le thème : « De la révolution à l’évolution : vers quels modèles de gouvernance ? », il s’est interrogé sur la capacité de certains commentateurs étrangers à « intégrer la nouvelle donne politique dans les pays d’Afrique du Nord ». « J’aimerais poser la question suivante aux hommes d’affaires ici présents, a-t-il ajouté. Avez-vous souffert de la victoire des islamistes ? Vous aviez bien soutenu les dictatures par le passé […] Dans beaucoup de pays, la corruption a conduit à des niveaux d’enrichissement indécents qu’on ne retrouve pas dans les pays occidentaux », refusant qu’au nom du « statu quo » on ne « brandisse l’épouvantail d’un risque que nous pourrions présenter, ici pour le tourisme, là pour les investissements ». Refusant de qualifier « d’islamistes » les nouveaux régimes d’Afrique du Nord, les leaders maghrébins présents à Davos ont mis l’accent sur la reconstruction économique des pays de la région, considérant que « la dignité, c’est d’abord le développement » et soulignant qu’il « serait désastreux [que] les contraintes du développement économique entravent les réformes politiques ».

Dans un entretien avec Mohamed Benabid (L’Economiste du 30 janvier 2012), Benkirane a martelé : « Non, les investisseurs ne sont pas inquiets, ce n’est pas vrai. On les inquiète ! Ils n’ont pas peur, on leur fait peur ! Les investisseurs doivent savoir qu’au Maroc les choses changent mais dans le bon sens. Quand ils viendront, ils ne pourront être qu’agréablement surpris […] Lorsque l’opposition est forte, le gouvernement est obligé d’être fort. S’il y a des remarques sur le programme, nous en tiendrons compte. Ce seront des choses que l’on va régler […] Le coup de piston, le coup de téléphone, la partisannerie, la famille… c’est fini […] Tout peut inquiéter. J’essaye de résoudre les problèmes comme je peux. Et si j’essaye et que l’opinion sait que je suis sincère, je reste convaincu qu’elle comprendra ».

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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