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Dix-huit ans après la dévaluation du franc CFA, Anne Le Lorier, égérie des « balladuriens », est promue premier sous-gouverneur de la Banque de France (1/2)

Publié le mercredi 18 janvier 2012 à 13h52min

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Qui se souvient d’elle ? Pas grand monde. Et si on évoque son nom, à l’occasion, c’est que la nébuleuse « balladurienne » est dans le collimateur des médias dans le cadre de « l’affaire Karachi » et des soupçons de rétro-commissions qui auraient permis de financer, en partie, la campagne d’Edouard Balladur à l’occasion de la présidentielle 1995. Balladur avait 64 ans lors de son arrivée, en 1993, à Matignon dans le cadre de la deuxième cohabitation. Pour l’occasion, il s’était entouré de quadras.

Aux dents d’autant plus longues qu’ils pensaient se retrouver, deux ans plus tard, à l’Elysée. Pour l’essentiel, des technocrates BCBG (comme on disait alors et comme on ne le dit plus) dont la moyenne d’âge ne dépassait 38 ans et dont Charles Pasqua disait qu’ils « n’ont jamais vu de chômeurs, sauf à la jumelle ». Dans cette équipe de « mecs » qui entendaient en finir avec la vieille garde de la droite politique et le « capitalisme de papa », il y avait une blonde à lunettes, une célibataire que Balladur trouvait d’autant plus « rigolote » qu’elle était une redoutable technicienne dans son domaine : les affaires financières. Anne Le Lorier, jusqu’ici second sous-gouverneur de la Banque de France, vient d’être promue premier sous-gouverneur - et donc numéro deux - à l’occasion du conseil des ministres du 4 janvier 2012. Elle succède à ce poste à Jean-Pierre Landau* ; elle n’était second sous-gouverneur que depuis le 7 novembre 2011.

Anne Le Lorier n’est pas du genre à se complaire dans la lumière. Elle serait plutôt du genre « Poor lonesome cow-boy ». Petite dernière d’une famille de quatre enfants, elle y détonnait sans doute. Quand sa mère, Denise Basset, est décédée dans sa 89ème année, le 25 décembre 2007, le faire-part faisait état d’une flopée de petits-enfants et pas moins d’une dizaine d’arrière-petits-enfants. Anne, quant à elle, est une célibataire qui collectionne les BD et les animaux en peluche. Elle est sortie de l’ombre quand Balladur l’a accueillie dans son cabinet, en 1987, lors de la première cohabitation, alors qu’il était ministre d’Etat, ministre de l’Economie, des Finances et de la Privatisation.

Mais c’est la négociation et le suivi de la dévaluation du franc CFA (dans le cadre de la deuxième cohabitation) qui en fera une tête d’affiche : elle a été la rédactrice de la lettre adressée par Balladur aux chefs d’Etat de la zone franc en septembre 1993 ; lettre dont le ton sera jugé « acerbe » par les leaders africains. Elle va participer à toutes les rencontres officielles lors de leur visite à Matignon. Farouchement engagée dans le combat pour la dévaluation du franc CFA, elle mènera une rude bataille contre ceux qu’elle appelait « les traits-d’union ». Autrement dit, comme on ne disait pas encore, ceux de la « Françafrique », nébuleuse composée de « chiraquiens », pires ennemis des « balladuriens » !

Le Lorier, actuellement âgée de 59 ans, est ancienne élève de l’ENA (promotion « André Malraux »), diplômée de l’IEP-Paris et titulaire d’une maîtrise en droit. En 1977, elle est entrée à la direction du Trésor à laquelle elle va appartenir pendant vingt-trois ans, à l’exception d’un bref intermède du côté de Washington où, de 1981 à 1983, elle sera détachée en qualité… d’attaché financier auprès de l’ambassade de France et d’administrateur suppléant du FMI.

En 1983, de retour des USA, elle sera nommée chef du bureau de la balance des paiements et du contrôle des changes. Elle va y vivre intensément la bataille menée par Paris pour maintenir le franc dans le système monétaire européen, la dévaluation de 1986, la question de la dette soviétique, la création de la BERD, etc. En 1987, Jean-Claude Trichet la repère et va la faire venir dans le cabinet de Balladur en tant que conseiller technique. Trichet (dont le père, Jean Trichet, était un camarade de khâgne de Léopold Sédar Senghor avec lequel il se liera d’amitié) était alors directeur de cabinet de Balladur, ministre d’Etat, ministre de l’Economie, des Finances et des Privatisations (il sera, par la suite, directeur du Trésor, gouverneur de la Banque de France, président de la Banque centrale européenne, la BCE, qu’il vient tout juste de quitter). C’est le premier contact entre Le Lorier et Balladur qui apprécie la compétence et l’indépendance d’esprit de son nouveau conseiller technique, tolérant du même coup qu’elle arbore plus souvent le tailleur-pantalon que le tailleur-jupe.

En 1988, François Mitterrand gagne la présidentielle face à Jacques Chirac. La gauche revient au pouvoir pour tenter de détricoter ce que les « balladuriens » ont entrepris de mettre en œuvre, en matière politique comme en matière économique. Anne Le Laurier retrouve la direction du Trésor où son patron est… Trichet. Qui préside aussi, depuis 1985, le Club de Paris. Il va en confier la vice-présidence à Le Lorier qui trouve là l’occasion de s’intéresser d’un peu plus près aux finances internationales et, notamment, aux économies africaines (elle découvrira, à cette occasion, le Sénégal et la Côte d’Ivoire). Dans le même temps, elle sera nommée sous-directeur des participations (1988-1989) puis sous-directeur de l’endettement et du sous-développement.

En 1993, la gauche perd à nouveau les législatives et c’est, pour la deuxième fois, le temps de la cohabitation. Mais avec un changement d’ampleur. C’est, cette fois, Balladur qui s’installe à Matignon. Le Lorier est appelée aussitôt à rejoindre le cabinet du premier ministre ; elle appartient au petit cercle restreint des conseillers les plus écoutés. Elle est en charge de l’ensemble des affaires économiques, puis verra son domaine d’action élargi aux affaires européennes. Deux années très denses, on l’a vu, avec notamment la dévaluation du franc CFA. Elle va gérer non seulement l’avant mais aussi l’après dévaluation (accompagnée par des aides exceptionnelles), prônera « le langage de la vérité [qui] est plus utile que celui du paternalisme », refusera de laisser penser que Paris conduit une politique « d’abandon » de l’Afrique et niera avoir prononcé en « off » quelques phrases assassines sur certains chefs d’Etat africains. A noter qu’elle sera du voyage à Yamoussoukro à l’occasion des obsèques de Félix Houphouët-Boigny, le 3 février 1994.

En 1995, Balladur est éliminé de la bataille pour la présidentielle dès le premier tour**. Avec seulement 18,5 % des voix. Il arrivait derrière Chirac et Lionel Jospin. Les « balladuriens » vont se retrouver sur la touche et vivre des jours difficiles. Le Lorier va devoir patienter plus d’un an avant de retrouver un job à la direction du Trésor où elle sera nommée chef du service des participation et des financement avec pour principal dossier la restructuration de l’industrie de la défense. En 1997, les « chiraquiens », à leur tour, mordent la poussière. A la suite des législatives anticipées, c’est Jospin qui s’installe à Matignon pour cinq ans ; la plus longue cohabitation que la France de la Vème République ait jamais connue !

* A noter qu’en novembre 2003, Jacques Chirac a lancé l’idée d’un « impôt mondial » pour financer le développement. Landau sera le patron du groupe de travail mis en place. Cela donnera un rapport de 150 pages (« Les nouvelles contributions financières internationales ») présenté au chef de l’Etat à la mi-septembre 2004 (cf. LDD France 0269/Jeudi 31 mars 2005).

** A cent jours de la présidentielle française 2012, rappelons que, voici 18 ans tout juste, selon un sondage publié le mercredi 12 janvier 1994, la cote de popularité d’Edouard Balladur était au top, atteignant 60 % d’opinions. C’est le mercredi 12 janvier 1994 d’ailleurs, à compter de 0 heure, que le franc CFA sera dévalué après quarante-six années de parité fixe avec le franc français. La fin d’une époque. L’annonce en avait été faite, la veille, à 20 h 50, à l’hôtel Méridien-Président de Dakar, par Antoine Ntsimi, ministre camerounais des Finances. Il y avait là Michel Roussin, ministre de la Coopération, Michel Camdessus, directeur général du FMI, Charles Konan Banny, gouverneur de la BCEAO, Jean-Michel Severino et Jean-Marc Simon, deux proches collaborateurs de Roussin.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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