LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

La mort de Paul-Antoine Bohoun Bouabré, architecte de l’économie mafieuse en Côte d’Ivoire (2/2)

Publié le lundi 16 janvier 2012 à 13h26min

PARTAGER :                          

Lors du premier mandat (2000-2005) de Laurent Gbagbo, Paul-Antoine Bohoun Bouabré va s’évertuer à convaincre bailleurs de fonds et investisseurs que c’est « la guerre [qui] a brisé l’élan » de la Côte d’Ivoire, « anéantissant tous les efforts entrepris depuis 2001 » (Le Figaro du 28 juillet 2003 - entretien avec Georges Quioc). Quand d’autres, au sein de son parti, le FPI, jouent les boutefeux, Bohoun Bouabré appelle les pompiers à la rescousse au nom des intérêts bien compris de la « communauté internationale », de la région ouest-africaine, de la zone franc, etc.

« Le processus de paix offre la sécurité et la visibilité nécessaire aux investisseurs. Un gouvernement a été formé, ce qui n’était pas évident. C’est la première fois dans l’histoire des conflits en Afrique qu’un accord politique [l’accord de Marcoussis décrié par Laurent et Simone Gbagbo] est mis en œuvre » (Le Figaro - cf. supra). En jouant la carte du « tout va très bien madame la marquise », Bohoun Bouabré veut rassurer les investisseurs ; y compris après les événements de 2004 qui ont placé les intérêts français dans le collimateur des « patriotes ». « Pour un ministre des Finances, c’est toujours désolant de voir des investisseurs partir. Je veux tout faire pour les retenir », assurera Bohoun Bouabré à Stéphane Marchand (Le Figaro - 15 décembre 2004), se désolant que, malgré les concessions accordées aux groupes français, « la France, ce partenaire privilégié, se cantonne malheureusement dans une attitude de repli ».

Fin 2005, Charles Konan Banny, nommé Premier ministre, s’attribuera l’économie et les finances. Tensions avec Gbagbo : le chef de l’Etat n’entend pas que son protégé (et « neveu »), Bohoun Bouabré, soit sur la touche. Dans le gouvernement du 28 décembre 2005, il obtiendra donc le plan et le développement avec le titre de ministre d’Etat. Ils ne sont que deux à le décrocher ; l’autre est Guillaume Soro, chargé du Programme de reconstruction et de réinsertion. Bohoun Bouabré est ainsi le numéro 3 du gouvernement (si on prend en compte Konan Banny). Jean-Pierre Tuquoi, dans Le Monde (daté du 30 décembre 2005), écrira : « Le départ du précédent ministre de l’économie et des finances, Paul Bohoun Bouabré, un cacique du parti présidentiel, est le meilleur exemple de l’habile redistribution des cartes opérée par le premier ministre. Le FPI avait exigé de conserver ce portefeuille, gros pourvoyeur d’argent pour le parti grâce aux ressources des filières du café et du cacao. Les responsables du FPI avaient juré que le parti « ne le lâcherait pas ». C’est pourtant ce qu’ils ont consenti ». Dans le précédent gouvernement, dirigé par Seydou Elimane Diarra, le portefeuille du plan et du développement était détenu par Boniface Britto qui arrivait, protocolairement, en 35ème position. C’est dire qu’au-delà de la fonction ce qui importait c’était son titulaire !

Quand, au lendemain des accords de Ouagadougou, Soro deviendra premier ministre, Bohoun Bouabré sera le seul ministre d’Etat et le numéro deux du gouvernement. Il sera gouverneur pour la Côte d’Ivoire auprès du groupe de la Banque mondiale, de la Banque islamique de développement et de la BAD. En cette qualité, il assurera la présidence du Conseil des gouverneurs de cette dernière à la suite de la désignation en mai 2009 de la Côte d’Ivoire comme pays hôte de l’édition 2010 des assemblées annuelles du groupe.

Passé le cap du quinquennat pour lequel il avait « élu », Gbagbo n’est plus perçu par la « communauté internationale » comme politiquement fiable. Son entourage encore moins ; Simone est, plus que jamais, tonitruante. Et les « affaires » s’ajoutent aux « affaires ». Bohoun Bouabré, venu de nulle part, s’est retrouvé en quelques années au firmament d’une Côte d’Ivoire en déconfiture. Guy-André Kieffer évoquera un « enrichissement vertigineux ». Et Cheikh Yérim Seck, dans Jeune Afrique (13 juillet 2008), écrira : « De source proche de son cabinet, il [Patrick Ramaël, le juge français chargé du dossier Kieffer] demeure persuadé que Kieffer a été éliminé pour avoir tenté de mettre son nez dans la gestion de la filière café-cacao par le « clan » Bohoun Bouabré. D’où le soin qu’il a pris à passer au peigne fin l’entourage de ce dernier ». Bohoun Bouabré se trouvait alors au centre d’une nébuleuse politico-affairiste dont la mission était de donner une apparence « économie nationale » à des activités dont la finalité était la constitution d’un trésor de guerre permettant le financement des activités « occultes » du clan Gbagbo : trafic d’influence ; solde des mercenaires et autres conseillers en « sécurité » ; achat d’armes, etc.

Bohoun Bouabré rêvait d’ailleurs de se mettre à l’abri au sein d’une institution qui lui permettrait de tirer les ficelles sans avoir l’air d’un marionnettiste. Il visera, dès 2005 (quand Charles Konan Banny sera nommé premier ministre de la Côte d’Ivoire), le poste de gouverneur de la BCEAO. Il reviendra à la charge en 2007 alors que l’intérim est toujours assuré par le Burkinabé Damo Justin Barro. Il va faire la tournée des capitales de l’Afrique de l’Ouest et chargera son directeur de la communication, Léonard Guédé, de « rencontrer » les journalistes pour leur expliquer tout le bien qu’il fallait penser du candidat officiel de Gbagbo. Ils n’y manqueront pas. Mais Bohoun Bouabré était « trop typé » pour certains chefs d’Etat de la région et, aussi, pour Paris. Il était « trop typé » aussi au sein du FPI où chacun pensait, déjà, à l’après-Gbagbo. Le brouhaha de la communication internationale de Bohoun Bouabré ne couvrira pas le tohu-bohu des « casseroles » politiques et financières qu’il traînait derrière lui. Finalement, Gbagbo désignera un outsider : Philippe-Henry Dacoury-Tabley sur lequel un consensus pouvait être obtenu. Pas question, pour la Côte d’Ivoire, de perdre le job de gouverneur de la BCEAO qu’Abidjan considère toujours comme lui revenant de fait !

Monsieur le ministre d’Etat, ministre du Plan et du Développement ne baissera pas les bras pour autant. Il se repliera sur son ministère et chantera ses louanges de ministre de l’Economie et des Finances : « Il choisit d’introduire une nouvelle philosophie de gestion dont le leitmotiv est de redonner de la valeur au travail […] Le ministre d’Etat a accordé une priorité à l’assainissement des finances publiques, à travers d’importantes réformes et mesures visant la transparence et l’efficacité de la dépense publique mais également l’amélioration du rendement des régies financières ». Il chantera aussi ses louanges de ministre du Plan et du Développement : « Ainsi, dans le cadre d’une approche participative, le ministre d’Etat a impulsé des opérations de concertation des populations à la base sur l’ensemble du territoire, en vue de recueillir leurs besoins et leurs priorités pour le développement. Son implication personnelle marquée par sa présence sur le terrain aux côtés de ses agents et des populations, notamment en zone sous contrôle de l’ex-rébellion, a été un signal fort qui a permis de briser le mur de méfiance et rassembler les fils et filles de la Côte d’Ivoire autour des questions de développement ». Et son cheval de bataille sera « le combat pour le retour de la BAD à son siège à Abidjan »*

Le 7 décembre 2010, le ministère du Plan et du Développement (et ses archives) sera confié au premier ministre fantoche nommé par Gbagbo au lendemain de sa défaite à la présidentielle : Gilbert Marie Aké N’Gbo. Bohoun Bouabré, lui, choisira d’aller voir du côté d’Israël ce qui se passe. Gbagbo veut protéger jusqu’au bout ceux qui sont les dépositaires des secrets des « années Gbagbo ». La Grande Faucheuse est passée à Jérusalem au bon moment.

* Message de huit pages sur « les grands chantiers du ministère du plan et du développement », réalisé par les Editions du Jaguar et publié par Jeune Afrique.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique