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Brésil : « Exemplaire » politiquement sous Lula, le Brésil se veut « exemplaire » économiquement sous Dilma Rousseff.

Publié le vendredi 6 janvier 2012 à 15h59min

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Dans la morosité (et c’est un euphémisme) politico-économique qui affecte le monde capitaliste « occidental », particulièrement l’Union européenne, l’info est passée inaperçue. Avec un PIB de 2.510 milliards de dollars, le Brésil est devenu la sixième puissance économique mondiale, passant devant la Grande-Bretagne (où a été inventé le capitalisme) et se trouvant ainsi derrière les Etats-Unis, la Chine, le Japon, l’Allemagne et la France qui composent le Top-5 de l’économie mondiale.

Et, à ce rythme, il ne faudra pas longtemps pour que les vieilles puissances européennes soient balayées par cette irrésistible samba brésilienne impulsée voici à peine plus de neuf ans par Luiz Inacio Lula da Silva. Quand le leader du Parti des Travailleurs (PT), un sidérurgiste, a accédé au pouvoir le dimanche 27 octobre 2002, le Brésil ne figurait pas encore dans le Top-10 de l’économie mondiale. Mais Lula d’abord, en huit ans de pouvoir, Dilma Roussef, depuis son accession effective au pouvoir voici tout juste un an, le 1er janvier 2011, ont su non seulement surfer sur la reconfiguration du monde contemporain (la « mondialisation ») mais, plus encore, mobiliser les énormes potentialités industrielles et humaines du Brésil. Le président (1995-2003) Fernando Henrique Cardoso disait que « le Brésil n’est pas pauvre mais inégal ». Aujourd’hui, il est plus riche qu’il ne l’était ; et demeure inégal : mais sa richesse a permis la mise en œuvre de programmes éducatifs et sociaux qui, par certains aspects, n’ont rien a envier aux pays européens. Une nécessité absolue dans ce pays de 192 millions d’habitants où la pauvreté de la population confine, trop souvent, à la misère.

Il n’était pas facile pour Dilma Rousseff de prendre la suite du très charismatique Lula. Au cours de ses deux mandats, celui-ci n’avait pas manqué d’être confronté à de sérieuses difficultés et, plus encore, à de multiples dérives de la classe politique dirigeante. Rousseff avait donc à gérer une situation qui, politiquement et économiquement, pouvait être explosive. L’élection de Lula, en 2002, et sa réélection, en 2006, ne devaient rien au hasard ni au marketing politique. C’était l’aboutissement d’une longue (et rude) lutte contre les dictateurs puis un mode de production politique dont les options économiques avaient un coût social élevé. Le PT accepta, avec ce qu’il fallait de sens politique et de pragmatisme (parfois même d’opportunisme), de refuser la polarisation ; au risque « d’une défiguration idéologique » s’il avait été « trop loin dans les concessions que nécessite l’accès au pouvoir » (Candido Mendes in « Lula et l’autre Brésil » - cf. LDD Brésil 002/Jeudi 20 novembre 2003).

L’arrivée au pouvoir de Lula a été l’occasion de démontrer, comme il l’a écrit lui-même, que « plus que jamais dans l’histoire, un autre monde est possible ». Il ne parlait pas de révolution prolétarienne (même s’il était issu du prolétariat), de révolution mondiale et de « grand soir » (même s’il était le leader d’un parti révolutionnaire). Il évoquait simplement un monde interdépendant dans lequel « la préoccupation de la justice est aussi forte que le pouvoir de la démocratie pour le réaliser ». Il y a eu, incontestablement, un « effet Lula ». Et ce n’est pas remettre en question les avancées de la démocratie brésilienne que d’affirmer que la dauphine de Lula a été une héritière. Qui ne l’aurait pas été sans le poids charismatique de son « sponsor » qui avait imposé sa candidature au PT.

Pragmatisme et symbolique. Qui, ailleurs (et notamment en Afrique), aurait suscité la réprobation ! Certes, le parcours politique (et plus encore militant) de Dilma Rousseff était incontestable ; mais elle n’avait jamais affronté une élection et ce n’était pas une tête d’affiche du PT. D’autres étaient bien placés pour penser pouvoir briguer la succession politique de Lula. Lula a décidé qu’elle serait « médiatique ». Restait à savoir si c’était le bon choix… politique ! Mais aussi diplomatique et économique.

Politiquement, au cours de sa première année d’exercice, Rousseff s’est forgée une image de « dame de fer ». Sept de ses principaux ministres ont été dégagés en touche pour des affaires de corruption. Une opération de « nettoyage » - l’expression est de Rousseff - qui a convaincu la société civile (Rousseff a terminé l’année 2011 avec une cote de popularité de 71 % !) que l’impunité dont avait bénéficié la classe politique était terminée : non seulement les ministres sont dégagés ou appelés à démissionner (y compris pour des affaires de « corruption » qui, en France, n’auraient suscité que l’intérêt « distancié » de la justice) mais des dizaines d’acteurs et de bénéficiaires de ce clientélisme politique sont derrière les barreaux. Il est vrai que Rousseff, qui ne doit son élection qu’à Lula, peut être plus intransigeante que Lula lui-même qui devait son élection à ses « alliances » politiques (le PT ne compte que 85 députés sur 581) parfois contre nature. C’est aussi, pour l’ancien président, l’occasion de « nettoyer » la scène politique brésilienne dans la perspective de son retour aux affaires en 2014 (si sa santé - il souffre d’un cancer du larynx - lui en donne l’occasion).

Bien sûr, cette rigueur a un coût politique. Dilma Rousseff a, dans un contexte de crise économique et financière mondiale, donné un coup de barre à gauche. Dans ce pays traumatisé par les tensions inflationnistes où les taux d’intérêts sont parmi les plus élevés du monde (que Thierry Ogier, le correspondant à Sao Paulo du quotidien Les Echos - 22 septembre 2011 - caractérisait de « stratosphérique »), Rousseff a décidé d’assouplir sa politique financière afin de relancer la croissance (+ 5 % prévus en 2012 contre + 3 % en 2011 mais elle était de + 7,5 % en 2010) et améliorer la compétitivité de l’industrie brésilienne. En « sciant la branche sur laquelle sont assis les rentiers » (revendication du PT), Rousseff déplait à ses alliés politiques nécessairement plus à droite que ne l’est son propre parti.

Il lui faut donc passer du temps à gérer les états d’âme politiques de ses « partenaires » et, du fait d’une croissance molle, mettre en sommeil les programmes sociaux qui sont le fondement de son action politique (« Ma maison ma vie », « Brésil sans misère », « Bourse famille », « Programme d’accélération de la croissance », etc.). Il y a cependant des raisons d’espérer : les investissements étrangers directs explosent (le flux monétaire - différence entre les entrées et les sorties de devises - s’est élevé à plus de 65,2 milliards de dollars en 2011) ; la crédibilité financière du Brésil est forte (le pays vient de lever, le 3 janvier 2012, 750 millions de dollars sur le marché financier mondial ; en novembre 2011, la note du Brésil a été relevée à « BBB » par Standard and Poor’s compte tenu de sa « capacité croissante » à faire face à la crise économique mondiale) ; la compagnie nationale des pétroles, Petrobras*, se porte mieux que jamais : c’est la plus grande entreprise d’Amérique latine, l’une des cinq plus grosses capitalisations mondiales et elle pourrait devenir, dans les dix ans à venir, la première devant les Américains ExxonMobil, Apple…

Cette préoccupation « économique » n’est pas sans influer sur la diplomatie brésilienne qui, on l’a vu dans la gestion onusienne des dossiers « Libye » et « Syrie », s’aligne sur les BRICS (dont elle est le B), c’est-à-dire sur la Russie et la Chine. Souverainistes, les Brésiliens veillent à ce que la « communauté internationale » ne s’immisce pas dans ses affaires (notamment dans sa gestion de l’Amazonie) ; et, du même coup, n’entend pas s’immiscer dans les affaires des autres. On ne peut pas être « exemplaire » en tout !

* Petrobras a levé 70 milliards de dollars de fonds en 2010 (pour financer un programme d’investissement 2011-2015 de 224,7 milliards de dollars) ce qui est considéré comme « la plus importante levée de fonds jamais réalisée dans l’histoire du capitalisme moderne ».

Jean-Pierre BEJOT
LA Dépêche Diplomatique

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