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Sénégal 2012. « L’effet papillon » de la candidature de Youssou N’Dour à la présidentielle.

Publié le jeudi 5 janvier 2012 à 18h51min

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« Un simple battement d’ailes d’un papillon peut-il déclencher une tornade à l’autre bout du monde ? ». C’est ce que l’on appelle, joliment, « l’effet papillon ». Et, en wolof, « l’effet papillon » doit se dire désormais : Youssou N’Dour. La candidature à la présidentielle du 26 février 2012 de la star mondiale du mbalax aurait dû n’être qu’anecdotique. Mais, à l’instar de celle de Coluche, en France, en octobre 1980 (dans la perspective de la présidentielle 1981), elle ne manque pas de faire des vagues.

L’info avait déjà été reprise par tous les médias français dès hier, mardi 3 janvier 2012. Ce matin (mercredi 4 janvier 2012), Le Figaro et L’Humanité lui consacrent une pleine page, Libération une double page tandis que Le Parisien publie un entretien avec le chanteur. Les radios et les télés ne sont pas en reste. Plus que la candidature de « You », c’est l’état des lieux du Sénégal qui se retrouve dans le collimateur. Dénoncée par des « politiques » sénégalais, la situation démocratique du pays ne suscitait guère d’intérêt en France. Dénoncée par une star mondiale de la world music, elle trouve de l’écho. Youssou N’Dour en est conscient. Il l’a dit à Catherine Tardrew (Le Parisien - 4 janvier 2012) : « Ma présence dans ce scrutin va peut-être faire que la communauté sera plus attentive ».

A moins de huit semaines du premier tour de la présidentielle, la candidature de Youssou N’Dour doit être d’abord perçue comme une dénonciation de celle d’Abdoulaye Wade. Le chanteur (dont on oublie trop souvent qu’il est aussi un remarquable homme d’affaires à la tête du premier pôle médiatique sénégalais) est, certes, candidat à cette présidentielle mais son objectif premier, avant de battre Wade lors du scrutin, est d’empêcher le « Vieux » d’être candidat. Il l’a dit à Catherine Tardrew : « Je compte sur la communauté internationale pour qu’elle dise à Abdoulaye Wade qu’il n’a pas le droit de se présenter une troisième fois, parce que la Constitution l’interdit […] J’insiste : le rôle de la France est simplement de dire que Wade ne peut pas se présenter ». Et « You » d’annoncer un million de manifestants devant le Conseil constitutionnel le jour où celui-ci va se pencher sur les candidatures à cette présidentielle, à commencer par celle de Wade… et de « You ».

La constitutionnalité de la candidature de Wade ne changerait, d’ailleurs, selon moi, pas grand-chose à l’affaire : la donnée incontournable, c’est « l’âge du capitaine ». Dans un pays dont l’espérance de vie est, selon les institutions internationales, de moins de 60 ans, un candidat qui a déjà dépassé le cap des 85 ans peut sembler anachronique.

Youssou N’Dour sert de révélateur. Il annonce, sobrement, sur sa propre chaîne de télé : « Je suis candidat ». Et suscite aussitôt l’intérêt des médias alors que deux jours auparavant, le samedi 31 décembre 2011, Wade a infligé aux Sénégalais, pendant plus de quatre-vingt minutes, un message de fin d’année non seulement interminable mais incohérent, bien peu présidentiel, trop enclin à la religiosité et notablement démagogique*. « You », c’est l’anti-wade : la société civile contre la classe politique ; le « populaire » contre « l’élitisme » ; la simplicité des mœurs du griot contre l’ostentation du chef ; l’homme privé contre l’homme public ; la jeunesse contre la vieillesse ; la nouveauté contre l’usure… Une candidature qui ne révèle rien de « You » mais, par contraste, tout de Wade ! A son corps défendant.

Sauf, bien sûr, que Youssou N’Dour peut être jugé crédible dans la dénonciation de la « crise politique » sénégalaise qui se profilerait à l’horizon si la candidature de Wade est validée par le Conseil constitutionnel - et qui serait, à terme, une « crise de succession » - mais qu’il le sera beaucoup moins pour ce qui est de sa résolution. Les Sénégalais ne sont pas des Haïtiens. Et si « You » connaît la musique, il y a longtemps que Wade fait danser la classe politique sénégalaise sur l’air qui lui plait. « You » ne sera pas président de la République du Sénégal (il n’est même pas certain qu’il sera candidat jusqu’au bout). Wade le sera à nouveau (pour combien de temps) s’il parvient à organiser sa victoire dès le premier tour. Une seule certitude : tout cela est un formidable gâchis dont personne ne se relèvera intact.

L’histoire a voulu que Wade accède au pouvoir tardivement ; à l’âge auquel Senghor avait démissionné. C’était une donnée qui s’est imposée à tous et d’abord à ses « amis ». Leur responsabilité historique était de l’aider dans sa tâche. Il fallait que « l’alternance » réussisse et que le pays trouve une réelle stabilité politique lui permettant de s’atteler au remodelage du paysage économique. Wade ne manquait pas d’ambitions pour l’Afrique et pour son pays ; il manquait de moyens politiques et humains pour les concrétiser. Il lui a manqué, surtout, le soutien politique des personnalités qui ont voulu « l’alternance ». Trop souvent pour eux-mêmes. Ils ont pensé qu’il se contenterait d’un petit tour présidentiel, aboutissement de son combat politique, avant de se retirer en faveur d’un dauphin. Trop de dauphins l’ont pensé. Et puis Wade s’est pris au jeu du pouvoir ; son entourage aussi. Meilleur moral ; meilleure santé. Un temps. Ce qui, bien sûr, n’a pas enchanté ses « amis ».

Wade, du même coup, pour avancer mois après mois, année après année, a dû s’engager dans une fuite en avant épuisante pour le pays : une flopée de premiers ministres, de gouvernements, de ministres, de projets… Dans son Portrait du colonisé, publié au mitan des années 1950, le Tunisien Albert Memmi, évoquait « le douloureux décalage d’avec soi » qui, selon lui, caractérisait le colonisé devenu indépendant. Ce même « douloureux décalage d’avec soi » caractérise Wade. Comme si l’opposant qu’il a été trop longtemps voulait le punir d’être, aujourd’hui, celui qui est au pouvoir. Et le Wade contestataire, libéral, démocrate, rassembleur… est devenu celui dont on dénonce, désormais, la « violence politique », le « despotisme », la « dérive politique », etc.

Il était pourtant difficile de trouver, sur le continent, un homme d’Etat ayant son cursus intellectuel et politique. Ce n’est pas un ex-militaire reconverti. Il n’est pas arrivé au pouvoir par un coup d’Etat. C’est un homme de réflexion qui sait exprimer sa pensée. Il a été un homme d’action. Plus encore, il adhère à une idéologie qui est « tendance » : libérale et mondialiste ! Il n’est guère d’exemple, en Afrique noire, d’un chef d’Etat qui ait eu, lors de son élection (je parle de 2000, ne considérant pas 2007 comme une élection « normale »), autant d’atouts en mains et qui ait été capable, dès son premier mandat, de les distribuer les uns après les autres à ses opposants, tout en gâchant la partie à ses partenaires les plus fidèles. Le drame du Sénégal, c’est que les opposants n’ont pas été capables de valoriser cette situation. Et que la fidélité des « amis » de Wade a été volatile ; pas toujours pour des raisons politiques ou éthiques !

* Exemples, parmi d’autres, d’un message de fin d’année qui tend à démontrer, hélas, que le pire, chez Wade, c’est quand les ministres, les conseillers et les autres se sentent obligés à faire plus que du « wade » : du « wadisme » ; sans en avoir ni le talent, ni le souffle, ni l’expérience :
« Au lendemain du scrutin et de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle, le même soleil se lèvera, toujours brillant, toujours radieux, et un tantinet rieur des grands naïfs qui auront confondu leurs désirs et les réalités, en rêvant de catastrophes et de chaos, de révolutions violentes et… du fauteuil présidentiel ».
« Le Sénégal continuera d’avancer dans la paix, la concorde et marchera inexorablement, toujours vers plus de mieux, sous la protection de nos Saints et de nos Guides religieux dont les prières seront toujours exaucées par Allah, le Miséricordieux, le Généreux et le Tout-Puissant, le Maître de la Terre et de l’Univers ».
« Mon dernier mot est pour la jeunesse, garçons et filles, jeunesse courageuse et indomptable qui a pleinement conscience de son rôle d’avant-garde, sentinelle vigilante ; elle comprend que son rôle est de protéger le patrimoine national que leurs parents et grands-parents ont bâti, petit à petit, grâce à beaucoup de sacrifices et de privations ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 5 janvier 2012 à 19:18 En réponse à : Sénégal 2012. « L’effet papillon » de la candidature de Youssou N’Dour à la présidentielle.

    pour ces élections de février,wade sera proprement battu parcequ’il est trop détesté pour la simple raison qu’il a presque constitutionnalisé la corruption,le vol,les pillages des deniers comme chez nous mais il fera tout pour se faire déclarer vainqueur comme cela se passe partout avec les régimes despotes et dans cette perspective,il sera abattu comme kadhafi
    donc pour cette nouvelle année,il sera le premier des chefs d’état africains à subir la foudre de la rue et c’est presque i-né-vi-ta-ble
    rendez-vous dans moins de 2 mois pour ceux qui ne me croient pas

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