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Youssou N’Dour, candidat à la présidentielle : Plus qu’une victoire de la « société civile », c’est l’échec de la classe politique sénégalaise.

Publié le mercredi 4 janvier 2012 à 16h51min

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En avril 1999, Youssou N’Dour rentrait des Etats-Unis. Il venait d’animer à New York un grand « bal », un concept qu’il avait déjà expérimenté, deux ans auparavant, à Washington. Très « ambiance » ; près de quatre heures de musique ; des artistes invités… Un « must » pour la communauté africaine en Amérique.

« You » est une star mondiale, bien au-delà de la world music depuis son duo avec Neneh Cherry, chanteuse pop et hip-hop, belle-fille de Don Cherry, un des chefs de file afro-américain du free-jazz dans les années 1960. C’était en 1994 et Seven Seconds deviendra un tube planétaire. L’idée maîtresse de Seven Seconds dira Youssou N’Dour à Patrick Labesse (Le Monde daté du 17 août 2005), c’est de dire que « les gens constatent des problèmes qui existent dans le monde, mais personne ne fait rien ; on attend… ». Déjà ! Cinq ans plus tard, à son retour de New York, « You » sera escorté entre l’aéroport de Dakar-Yoff et sa concession du Point E par une foule de jeune sénégalais hurlant : « You, président ! ». C’était quelques mois seulement avant la présidentielle de 2000 qui allait opposer Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, ce dernier l’emportant sur le « sortant ». Interrogé par Emmanuelle Pontié (Afrique Magazine - juin 1999) sur ce « You, président ! », Youssou N’Dour avait répondu : « Sérieusement, je veux être très clair à ce sujet, je ne me présenterai jamais aux élections, ça ne m’intéresse pas, chacun son métier ». Il ajoutait : « Je suis populaire, mais personne ne peut croire que j’ai les qualités requises pour être élu à un poste de responsabilité ».

Douze ans plus tard, Youssou N’Dour annonce sa candidature à la présidentielle sénégalaise. Et ce matin, mardi 3 janvier 2012, cette information fait le tour de la planète. C’est sans doute qu’ayant constaté « les problèmes qui existent dans le monde » et tout particulièrement au Sénégal, Youssou N’Dour ne veut plus « attendre ». Ce qui ne saurait étonner.

Voilà quelques années déjà que « You » est passé de l’univers du business à l’univers de la politique. Il est vrai que son business, ces dernières années, se trouvait à la frontière entre les deux univers : son groupe ; Futurs Médias, comprend un quotidien, un magazine, une station de radio et une chaîne de télé qui a été « la cerise sur le gâteau » et une source de tensions entre lui et Wade. La « complicité » revendiquée par les deux hommes par le passé s’est transformée en animosité au fil des années et voici deux ans (Jeune Afrique du 28 février 2010 - entretien avec Cécile Sow), Youssou N’Dour ne manquait pas de déclarer : « Je ne dis plus « jamais je ne ferai de politique ». Désormais, je ne serai plus neutre [*] Le moment venu je ferai mon choix ».

A Jean-Michel Denis (Afrique Magazine - avril 2010), il en dira plus : « L’élection présidentielle se tiendra en 2012, elle approche, et j’ai décidé d’ouvrir les yeux de la population sur nos leaders politiques, de la sensibiliser. Je vais user de mon audience et de ma crédibilité pour cela […] J’ai donc décidé que, quelques semaines avant le scrutin, je rencontrerai la majorité et l’opposition, je leur poserai les questions qui nous concernent, les Sénégalais et moi. En fonction de leurs réponses, je prendrai parti, je choisirai mon candidat ».
Son choix, aujourd’hui, est fait : son candidat s’appelle Youssou N’Dour !

A la veille de la présidentielle 2012, Youssou N’Dour a pris conscience, comme tout le monde, de la réalité sociale du pays : un président qui veut s’engager dans un mandat de trop ; une « opposition » opportuniste issue des rangs de la majorité présidentielle qui n’a d’autre ambition que de s’installer, à son tour, au pouvoir ; des leaders de « l’opposition » historique incapables de faire leur union. Et une « société civile » qui n’en peut plus et tente d’exprimer son mécontentement en trois mots : « Y’en a marre ! ». En 2000, après les longues années d’immobilisme des présidents « socialistes » qui ont géré le pays comme une rente sans jamais penser à son avenir, Wade avait été le champion de « l’alternance » pour le « changement » (le Sopi).

Le « changement » aura, finalement, des allures de bouleversement ; mais le « Vieux », arrivé trop tard au pouvoir, aura été trop vite, trop loin, rêvant un Sénégal éloigné des réalités vécues, au quotidien, par les Sénégalais. « You » se veut, a-t-il dit hier soir, lundi 2 janvier 2012, dans sa déclaration de candidature à la présidentielle du 26 février 2012, « l’alternative à l’alternance » ajoutant que, tout au long de sa vie, il avait fait « preuve de compétence, d’engagement, de rigueur et d’efficience ». Il a dit aussi qu’il « n’a pas fait d’études supérieures, mais la présidence, précisera-t-il, est une fonction et non un métier ».

Après Senghor, Diouf et Wade - tous considérés comme des « intellectuels » - il est vrai qu’un président venu des rangs des saltimbanques (Youssou N’Dour est casté, ce qui, au Sénégal, n’est pas une donnée neutre) fait désordre, même en un temps où les people ont le vent en poupe. C’est pourquoi, sans doute, « You » a tenu à faire de la présidence « une fonction et non un métier ». Une formule qui oppose une activité qui consiste essentiellement en « l’exercice d’une charge » à une activité qui exige une « formation professionnelle ». Il faudra en faire un sujet d’examen ! Mais il n’est pas certain qu’elle soit adéquate dans le contexte sénégalais dès lors que « l’exercice d’une charge » peut-être héréditaire puisqu’elle n’exige pas de « formation professionnelle » ; or, c’est justement cette perspective d’une « dérive monarchique » que Youssou N’Dour et les autres ont dans le collimateur. Une « dérive monarchique » qui porte un prénom : Karim, et un nom : Wade.

Pour le reste, le fait que « You » soit candidat à la présidentielle est un constat d’échec. Echec de Wade d’abord, qui, à l’âge qu’il a et avec le parcours qui est le sien, aurait pu se retirer à l’issue de son premier mandat (un septennat, ce n’est pas négligeable) après avoir posé des jalons pour l’avenir. Le quinquennat qu’il est en train de boucler n’aura rien apporté politiquement, si ce n’est le sentiment que c’était déjà le mandat de trop et qu’il déboucherait, en cas de troisième mandat, sur le chaos. Echec de toutes les « oppositions » ensuite dont l’incohérence politique atteint des sommets. Et si, dans la forme, on ne peut partager la stigmatisation qu’en a faite Wade dans son message de fin d’année, on ne peut s’empêcher de penser que, dans le fond, le portrait qu’il en fait caractérise bien ces « leaders » fantomatiques : « Quant aux égarés aveuglés par l’appétit du « pouvoir tout de suite » qui passent leur temps dans les beaux hôtels des capitales occidentales, pour quémander des audiences et, au cours de dîners et de lunchs, médire sur leur pays et ses dirigeants, tout en rêvant de chaos d’où, tout naturellement, ils sortiraient indemnes, ils feraient mieux de revenir sur terre et au pays ».

Personnalité mondiale, « You » est dans l’air du temps. Celui où l’on ne veut plus croire en rien et, surtout pas, à l’action politique. On s’indigne, on s’insurge, on se révolte… on veut que les temps changent mais, hélas, on ne se donne plus les moyens de « changer le monde ». On se mobilise au sein de mouvements démobilisateurs ; spontanés avant d’être instrumentalisés. « You » se voulait un éveilleur de conscience. Pas nécessaire. Les Sénégalais savent où ils en sont : au fond du trou. Et que ce n’est ni le palais présidentiel ni les « élites » sociales, ni les « leaders » politiques, ni les « acteurs » économiques qui vont les en sortir. La conscience de la situation dans laquelle ils sont, ils l’ont. Ce qui leur manque, c’est justement le « changement » promis en 2000 et qui a permis l’enrichissement de quelques uns et l’appauvrissement des autres. Il n’est pas sûr que « You » soit la réponse à la question : « Qui pour diriger le Sénégal ? ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 4 janvier 2012 à 18:07 En réponse à : Youssou N’Dour, candidat à la présidentielle : Plus qu’une victoire de la « société civile », c’est l’échec de la classe politique sénégalaise.

    En voici un autre pays encore plus pourri que le notre car ce vieux Wade ne se gène même pas pour s’en mettre plein les poches et aussi pour corrompre le premier venu.Regardez son gouvernement,il doit doit y avoir plus de 60 ministres avec des titres aussi bidon les uns que les autres,que des fantomes comme par exemple,ministre de la connectivité ou des ministres sans porte feuille.C’est la décadence mais aussi parceque les sénégalais génétiquement,aiment l’argent et je crois que c’est que Blaise est entrain d’inculquer aux Burkinabè.C’est grave et même très dangereux.
    Je crois sincèrement qu’il sera battu malgré la dispersion de l’opposition parceque ce monsieur est trop détesté mais il fera tout pour se déclarer vainqueur et donc je crois qu’en cette année 2012,il sera le premier chef d’Etat africain a rejoindre Kadhafi,j’en suis convaincu et ça sera tant mieux

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