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Professeur Hamadé Savadogo : ‘’La politique sous la IVe République ne m’emballe pas du tout ‘’

Publié le mercredi 4 janvier 2012 à 00h32min

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La philosophie morale et politique, l’histoire de la philosophie moderne et contemporaine constituent ses domaines de compétence par excellence. Le professeur Hamadé Savadogo (48 ans), c’est de lui qu’il est question, fait figure de valeur sûre du système universitaire Burkinabè et Africain, sinon de l’espace francophone. A force de travail, le Pr Savadogo est devenu aujourd’hui une référence. Ses publications (une quarantaine), ses titres et fonctions actuelles donnent la pleine mesure de sa carrure d’intellectuel de haut vol : professeur titulaire en philosophie et président du Comité Technique Spécialisé Lettre et Sciences du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (C.A.M.E.S), directeur de publication de la revue internationale “ Le Cahier Philosophique d’Afrique ‘’, responsable de la formation doctorale de philosophie de l’Université de Ouagadougou (UO), directeur de l’Ecole Doctorale Lettres, Sciences Humaines et Communication de l’UO, etc. Bref, c’est un véritable monument de la réflexion.

Comme quoi, la valeur n’attend point le nombre des années : Pr Savadogo n’a pas encore la cinquantaine. Déjà, c’est à l’âge de 19 ans qu’il décrochait à l’époque, en juillet 1982, son Baccalauréat littéraire (A4) avec mention Bien, au lycée Philippe Zinda Kaboré de Ouagadougou. Ce qui lui vaudra une bourse du gouvernement français et il était d’ailleurs le seul bachelier littéraire à en bénéficier. C’est ainsi que Hamadé se retrouve en France pour faire les classes préparatoires en vue de passer le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure. Il est alors inscrit en lettres. L’ex-pensionnaire de l’Ecole centre C de Ouahigouya passe d’abord l’année académique 1982 – 1983 au lycée La Bruyère de Versailles. Ensuite, le voilà l’année suivante au lycée Lakanal de Sceaux où il obtient le ‘’Khâgne’’(diplôme équivalent au DEUG= Diplôme d’études universitaires générales) en philosophie. Après un échec au concours d’entrée à l’école normale supérieure en 1984, Hamadé refuse de reprendre le concours comme bon nombre de ses camarades.

1988 : Année très fructueuse

Il décide alors de s’inscrire à l’Université Paris IV Sorbonne pour la poursuite de ses études de philosophie. Il y réussit en 1985 sa licence qui sera suivie l’année d’après d’une maîtrise. Mais, c’est surtout en 1988 que le séjour dans l’Hexagone d’Hamadé allait être plus fructueux. Cette année là, il décrocha à la fois le Diplôme d’Etudes Approfondies (D.E.A), le Certificat d’aptitude professionnelle de l’enseignement supérieur (CAPES), et l’agrégation en philosophie. Il va confirmer quatre ans plus tard en 1992 avec l’obtention du doctorat avec la mention très honorable. Après quelques mois de cours à l’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (I.U.F.M) de Chartres et au lycée Frédéric Joliot-Curie de Dammarie-Les-Lys en France, le jeune docteur est recruté en Octobre 1992 par l’Université de Ouagadougou comme enseignant-chercheur.

Dès lors la grande carrière commence pour lui. Il est successivement : Maître assistant du C.A.M.E.S. de juillet 1995 à juillet 1998, Maître de conférences du C.A.M.E.S. de juillet 1998 à juillet 2002, Chef du Département de Philosophie et Psychologie de l’Université de Ouagadougou de juillet 1997 à juin 2000, Vice-doyen chargé de la recherche et de la vulgarisation. La suite, on la connaît : Hamadé Savadogo est Professeur titulaire du C.A.M.E.S à qui d’importantes responsabilités sont confiées. Au cours de la dernière décennie, il a été beaucoup sollicité pour donner des cours dans de nombreuses structures d’enseignement supérieur de l’espace francophone : Faculté de philosophie et lettres de Namur en Belgique, Université Cheick Anta Diop de Dakar au Sénégal, Faculté de philosophie et lettres des de Notre Dame de la paix de Namur en Belgique, Université de Lille III en France, Université de Bouaké, Université de Brazzaville, Université de Bremen en Allemagne, Institut Don Bosco de Lomé, Université catholique de l’Afrique de l’Ouest d’Abidjan, pour ne citer que celles-ci.

Eric Weil, son auteur de prédilection

Le Pr Savadogo a traité de nombreux sujets de la philosophie. Le thème de sa thèse de doctorat s’intitule ‘’Eric Weil et la question du sens de l’existence’’. Sur le choix de Eric Weil, philosophe contemporain français d’origine allemande mort 1977, l’enseignant chercheur s’explique : « C’est un auteur qui a une vision systématique de la philosophique et qui essaie de prendre en compte l’héritage des grands classiques de la philosophique : Aristote, Kant, Hegel. Dès que je l’ai lu, j’ai considéré que c’était un auteur qui avait une vision exigeante de la philosophie et je me suis intéressé à lui ». Le directeur de publication de la revue internationale “Le Cahier Philosophique d’Afrique” totalise à ce jour une quarantaine de publications. Mais, contrairement à ce que certains pensaient à l’époque, à savoir qu’on ne pouvait plus rien dire de nouveau ou de plus en philosophie, Hamadé Savadogo s’est refusé à emprunter les sentiers battus et s’est résolument engagé dans l’exploration de pistes innovantes de questionnement sur les grandes préoccupations existentielles de l’humanité.

‘’Après ma thèse, j’ai évolué et aujourd’hui je suis dans une position où j’essaie moi-même de proposer une pensée, une vision de la philosophie’’, nous confie t-il. Ainsi, son premier grand ouvrage ‘’Philosophie et Existence’’ publié en 2001 chez l’Harmattan, avait pour but justement de relancer même la philosophie comme projet. Dans cette publication, le Pr Savadogo a démontré qu’on pouvait bel et bien dire de choses nouvelles dans la discipline, à condition seulement que la philosophie revienne à se poser la question de son sens pour l’existence.

Monde des idées inséparable du monde réel

Avec Hamadé, il n’est pas question pour l’intellectuel de s’enfermer dans une tour d’ivoire. Chez lui le monde des idées et le monde réel ne sont pas séparables. A ceux qui pensent que les philosophes sont fous, il leur réserve cette réponse pleine de sagesse : ‘’ il y a différentes manières d’être fou. Il y a une folie positive dont la société elle-même a besoin pour se remettre en question, pour se transformer. Et pour moi, la philosophie participe de cette folie positive. De toute façon, notre société, tout comme toutes les sociétés, a besoin de réflexion. Et la philosophie est cette discipline dans laquelle l’exigence de la réflexion est poussée à son niveau le plus élevé’’. Et de se réjouir du fait que la philosophie dans notre pays soit enseignée depuis le second cycle du secondaire et du fait que la formation en philosophie à l’université de Ouagadougou va jusqu’au doctorat.’’ Tous ces éléments, petit à petit, vont contribuer à libérer la réflexion’’, ajoute t-il.

Responsable du mouvement des intellectuels ‘’Manifeste pour la Liberté’’, le Pr Savadogo s’inscrit en faux à l’idée selon laquelle les intellectuels Africains et Burkinabè en particulier ne jouent pas leur rôle sur les débats de société. « Justement un des objectifs de notre mouvement, c’est d’encourager l’engagement des intellectuels. Dans le cadre de cette initiative, nous n’avons jamais cessé d’organiser des conférences, de faire des publications à travers lesquelles nous avons analysé les différentes situations politiques. En dehors de nous, des intellectuels de différents secteurs sont amenés à s’exprimer. D’une manière générale, il faut constater, depuis la mobilisation consécutive à l’assassinat de Norbert Zongo, une libération de la parole. Il y a de plus en plus d’individualités ou d’acteurs collectifs qui cherchent à se prononcer sur la vie collective. Evidemment, le processus peut être encore approfondi. En tout cas, on constate un changement par rapport à ce qui se passait il y a 15 ou 20 ans », s’est-il expliqué.

Partisan des changements radicaux

Toutefois, Hamadé Savadogo reconnaît que tous les intellectuels engagés du pays n’ont pas le même dégré de conscience politique, ni n’accordent la même valeur à l’engagement. Pour lui, il n’y a pas de doute aujourd’hui sur le fait que les intellectuels jouent leur rôle dans la société. Le problème, à l’entendre, c’est qu’ils ne sont pas suivis par les politiques. ‘’Une chose c’est de parler et l’autre, c’est d’être écouté’’. Le professeur Savadogo a réaffirmé son opposition à la révision de l’article 37 de la Constitution qui continue de défrayer la chronique.

Mais, pourquoi, l’intellectuel engagé qu’il est, et de surcroît spécialiste de la philosophie morale et politique, hésite t-il à prendre place, comme certains collègues, dans l’arène politique, ne serait-ce que pour contribuer à rehausser le niveau du débat ? Sa réponse ne s’est pas fait attendre : « Ce n’est pas une hésitation. C’est une vision : la politique telle qu’elle se pratique sous la IVe République ne m’emballe pas du tout. Ça c’est clair. C’est toute une vision. Moi je suis partisan des changements radicaux, en profondeur qui ne s’accomplissent en peu de temps, ne se réalisent pas par la courte échelle. Il y a un travail de sensibilisation de la population auquel je participe et qui produira peut-être des résultats un jour. Donc, je n’hésite pas, j’ai une façon de voir ma contribution à la vie politique qui ne m’encourage pas à chercher à accéder à tel ou tel poste. C’est tout ».

Mais, comment apprécie t-il les collègues qui ont franchi le pas de la politique partisane ?

A ses collègues politiciens, le natif de Ouahigouya pense qu’il faut d’abord reconnaître le droit de faire leurs choix. Maintenant, qu’ils ont opéré leurs choix, l’essentiel pour eux c’est de les assumer. Et de préciser : ‘’Si vous allez à tel ou tel poste et dans telle ou telle organisation et vous estimez après que vous n’êtes pas suffisamment écouté et que vous n’avez pas assez de liberté pour exprimer vos idées, vous ne pouvez qu’en vouloir à vous-même. Effectivement, le fonctionnement de certaines organisations, les mœurs de certaines organisations, même au niveau de l’Etat, ne permettent pas toujours aux intellectuels de s’épanouir. Mais, ceux qui y vont doivent également en avoir conscience ’’.

‘’La science est universelle’’

Sur la comparaison des systèmes universitaires occidentaux et ceux de l’Afrique, la grande différence, selon Hamadé, réside essentiellement dans la disponibilité de la documentation et des structures. ‘’En Occident, vous avez par exemple des bibliothèques équipées, des budgets pour acquérir de nouveaux ouvrages, des occasions de rencontres entre les doctorants et entre les enseignants chercheurs. Ce que nous n’avons pas ici suffisamment. Sinon, en ce qui concerne l’orientation même de l’enseignement, les thèmes enseignés, c’est presque partout aujourd’hui la même chose, pas seulement en Afrique mais à travers le monde. Vous savez… la science, elle est…universelle’’, nous fait-il savoir.

S’agissant de la misère dans laquelle vivotent nos universités africaines, le Pr Savadogo l’explique par la situation globale de nos Etats. Mais, que faudrait-il faire pour en sortir ? Dans son entendement, un effort général d’organisation de la société est nécessaire pour faire en sorte que chacun puisse avoir un rôle à jouer selon ses compétences et qu’il y ait une transparence dans la gestion des affaires publiques. Concernant le cas particulier des universités, il pense qu’il y a des choix budgétaire à faire par les autorités pour encourager l’enseignement supérieur et la recherche, en se convainquant que c’est à travers ce secteur qu’on peut avoir une influence à long terme sur l’évolution de nos sociétés.

Pour ce qui est des difficultés des étudiants à soutenir dans les universités africaines, le président du Comité Technique Spécialisé (C.T.S.) Lettres et Sciences du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur voit en la création des écoles doctorales de précieux moyens d’y faire face. A l’écouter, l’un des objectifs de ces écoles doctorales, c’est de contribuer à mieux organiser le travail de sorte que les enseignants de rang magistral s’investissent pleinement dans l’encadrement des étudiants afin de mieux suivre l’évolution des recherches des doctorants et d’organiser régulièrement des évaluations.

Vision optimiste de nos sociétés

« D’une manière générale, j’ai une vision optimiste de l’évolution de nos sociétés malgré toutes les difficultés. Je reste convaincu que dans toutes les sociétés africaines il existe toujours des acteurs individuels ou collectifs sur lesquels l’on peut s’appuyer pour envisager un meilleur avenir pour l’Afrique », s’est-il résumé.

Mais, quel sentiment éprouve aujourd’hui Hamadé Savadogo, lorsqu’il jette un regard rétrospectif sur son propre parcours, lui qui, jusqu’à sa deuxième année d’université rêvait encore de devenir interprète dans les langues française, anglaise et allemande ; langues qu’il maîtrise relativement et dans lesquelles il était bon au secondaire ? En d’autres termes, l’homme est-il heureux en philosophie, discipline dans laquelle il était aussi bon au lycée mais pour laquelle il ne nourrissait pas assez de passion ? Là-dessus, il reconnaît avoir eu beaucoup de chance et avoir aussi beaucoup travaillé pour se trouver là où il est. Mais, le plus important pour lui, ce n’est pas ce qui est passé mais ses nombreuses responsabilités actuelles, ses projets et l’avenir.
« Je me rends compte que si j’avais choisi une autre discipline, peut-être que je me serais ennuyé. Donc, je ne regrette pas du tout d’avoir finalement choisi la philosophie », nous rassure t-il.

Grégoire B. BAZIE

Lefaso.net

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