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Djibouti. Plus que jamais une République en uniformes… étrangers (2/2)

Publié le jeudi 29 décembre 2011 à 17h18min

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Djibouti est, en Afrique de l’Est, aujourd’hui, ce qu’on disait du Gabon, sur la côte Ouest-africaine, dans les années 1970-1980. « Une jolie fille que tout le monde courtise ». Le Gabon était alors une puissance pétrolière équatoriale sous-peuplée. Djibouti n’a pas de pétrole mais une idée fixe : faire de ce pays le pôle de fixation des forces « mondiales » préoccupées par la situation qui prévaut dans la péninsule arabique et l’océan Indien. Les puissances majeures y sont d’ores et déjà présentes (cf. LDD Djibouti 008/Jeudi 22 décembre 2011). Y compris le Japon qui a investi 40 millions de dollars pour construire une base navale permanente.

Selon les responsables djiboutiens, la Belgique, le Royaume Uni, l’Italie, la République tchèque, le Danemark, l’Australie… souhaiteraient, eux aussi, « signer des accords de stationnement de leurs forces à Djibouti ». Mais, hormis les Etats-Unis, le premier partenaire « géopolitique » de Djibouti demeure la France.

Quand, à l’occasion de son « Discours du Cap », le 28 février 2008, le président Nicolas Sarkozy avait affirmé que « la France n’a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique », chacun pouvait penser que Djibouti risquait de disparaître de la carte militaire française dès lors que Paris privilégiait son implantation, plus à l’Est, dans les émirats du Golfe. Près de quatre années plus tard, il faut bien se rendre à l’évidence : Djibouti permet aux troupes françaises une « facilitation » que n’autorisent par les Emirats. Il y a quelques jours, le 21 décembre 2011, le président Omar Guelleh était à Paris. Pour signer avec Sarkozy un nouveau traité en matière de défense.

Ce texte établit, dit le communiqué de l’Elysée, « le cadre de la coopération militaire bilatérale », et détaille « les facilités opérationnelles accordées » aux « forces françaises stationnées à Djibouti » : 1.900 hommes prépositionnés ! Ce qui en fait la plus grande base militaire française à l’étranger. Selon l’Elysée, ce traité « démontre l’attachement de nos deux pays à une coopération étroite en matière de sécurité », et souligne que « la France est fermement attachée à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de la République de Djibouti, stratégiquement située au cœur d’une zone fragile » (une formulation que le très « sarkozien » quotidien Le Figaro, dans son édition du 22 décembre 2011, juge ambiguë. Isabelle Lasserre écrit ainsi : « Les choses paraissent moins claires, en revanche, sur la possibilité qu’auront ou non les forces françaises de défendre l’intégrité territoriale de Djibouti si le pays était attaqué de l’extérieur »).

Cet attachement de la France à son ancrage militaire à Djibouti a trouvé son expression dans l’organisation, du 9 au 12 décembre 2011, d’une visite d’études sur le terrain djiboutien des auditeurs de la 64ème session nationale de l’IHEDN. Un séjour (avec bivouac dans le désert du Grand Bara, manœuvres aéroterrestres dans le désert de Mermersan, démonstration amphibie, etc.) qui s’inscrivait parfaitement dans le thème d’étude de cette session : « La France et ses partenaires de l’Union européenne, de l’OTAN et en Eurasie face aux enjeux stratégiques et géopolitiques globaux : une vision prospective ». « Stabilité » et « sécurité » sont, en ce qui concerne Djibouti, les deux mots clés qui justifient cet intérêt « géopolitique » des puissances mondiales pour la minuscule enclave Est-africaine.

Sarkozy l’avait dit, déjà, lorsqu’en janvier 2010 il avait escalé à Djibouti, de retour de La Réunion. Il avait souligné alors « combien il était important pour nous que Djibouti reste à la tête du combat contre la piraterie dans une région qui a besoin de beaucoup de stabilité et beaucoup de sécurité ». C’est aussi que la piraterie n’est pas la seule préoccupation de Paris dans la sous-région : Erythrée, Somalie, Yémen, Al Qaida… C’est surtout que Djibouti est un « terrain d’entraînement » incomparable pour les armées françaises (terre, air, mer) et, particulièrement, pour les « forces spéciales ». Dans le dernier numéro de RAIDS, Jean-Marc Tanguy soulignait que « Djibouti est un cas particulier puisque c’est le seul plot situé à l’étranger armé en permanence par les forces spéciales. Et c’est le seul plot étranger, hors opérations évidemment, où sont déployés les commandos marine et le CPA 10 ». « Une présence incontournable », notait-il*.

Paris à une antériorité à Djibouti (en 2012, il y aura 150 ans que les Français y auront installé un dépôt de charbon ; c’était treize ans seulement après le percement du canal de Suez). Et une connaissance intime du pays que ne maîtrise aucune autre puissance majeure. Mal exploitées l’une et l’autre. Ce qui explique que cet Etat hors norme ait été voir ailleurs ce qui se passe. En matière géopolitique comme en matière économique. Djibouti, ce n’est pas la principauté de Monaco ; et il faut en prendre conscience. Et appliquer à ce pays une grille de lecture qui prenne en compte sa géographie, son histoire, son peuplement, sans jamais perdre de vue qu’il est à la fois africain et arabe et, dans le même temps, bien plus moyen-oriental qu’africain. Quand le président Ismaël Omar Guelleh parle de la situation au Yémen (entretien avec François Soudan - Jeune Afrique du 27 novembre 2011), on ne peut que considérer que la situation de Djibouti, si elle est différente, est, au moins, aussi « embrouillée ». « En fait, dit-il, le problème yéménite est plus complexe que ce qu’en disent les médias qui y voient une révolution arabe comme les autres. C’est fondamentalement une rivalité entre gens du même clan avec en arrière plan le projet contesté d’une succession dynastique entre le président et son fils. Si vous ajoutez à cela les tribus, Al-Qaïda et les tensions latentes entre le Nord et le Sud, nous sommes loin de l’image réductrice d’un quelconque printemps démocratique ».

Refuser les « images réductrices », c’est essentiel en ce qui concerne Djibouti tant il est vrai que ce pays à nul autre pareil se prête, facilement, à la caricature dès lors qu’on lui applique une grille de lecture strictement « occidentale ». Et il faut reconnaître que son président excelle à mettre le doigt sur la différence plutôt qu’à la nier (ainsi, à François Soudan - cf. supra - qui lui rappelait qu’il avait été élu en avril 2011 « avec un peu plus de 80 % des voix », Guelleh répond simplement : « Score politiquement incorrect, j’en conviens » ajoutant aussitôt : « Mais, hélas pour mes détracteurs, parfaitement conforme à la vérité des urnes ». Guelleh n’a pas besoin de conseiller en communication !). Consciente de ce qu’elle représente géopolitiquement pour les puissances majeures dans une sous-région en ébullition, consciente également de ses potentialités économiques en tant que hub sous-régional (même si Djibouti n’est quand même pas Dubaï), la République de Djibouti tend à être de plus en plus « sûre d’elle-même et dominatrice » et cultive son image de « havre de paix dans la zone des tempêtes » ainsi que j’avais titré déjà un papier sur ce pays publié, voici près de vingt ans, en septembre 1992. Un proverbe local dit : « Etends tes jambes selon la longueur de ton matelas ». Les Djiboutiens donnent parfois l’impression de trouver le matelas un peu trop petit. Ou un peu trop convoité par les autres.

* Commentant les accords militaires entre Paris et Djibouti, le président Ismaël Omar Guelleh a déclaré à François Soudan (Jeune Afrique du 27 novembre 2011) : « Plutôt que de l’argent [30 millions d’euros payés par la France pour son implantation à Djibouti], nous voulons que Paris nous aide à renforcer les capacités de l’armée djiboutienne, l’objectif étant que nous soyons en mesure de nous défendre seuls. Lorsque l’Erythrée nous a agressés, la question de l’interprétation de nos accords de défense s’est posée, et je peux admettre que les soldats français ne souhaitent pas mourir pour Ras Doumeïra. La présence française ici doit être avant tout dissuasive ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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