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Djibouti. Plus que jamais une République en uniformes… étrangers (1/2)

Publié le mardi 27 décembre 2011 à 19h30min

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Avant d’être la République de Djibouti, c’était le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI). Un « confetti d’empire » aux confins de l’Afrique de l’Est. 23.000 km² (et, aujourd’hui, à peine plus de 800.000 habitants). Pas grand-chose. Rien d’autre, disait-on alors, qu’un « camp retranché pour la Légion étrangère ».

35 années d’indépendance au printemps prochain (27 juin 1977-27 juin 2012) ; deux chefs d’Etat : Hassan Gouled Aptidon, décédé le 21 novembre 2006 (cf. LDD Djibouti 005/Mercredi 22 novembre 2006), puis Ismaël Omar Guelleh depuis le 9 avril 1999. Pas de quoi susciter l’intérêt de la « communauté internationale ». Sauf que le « 21 septembre » allait changer la donne dès lors que l’Amérique et ses alliés redécouvraient l’exceptionnelle position géostratégique de cette enclave des bords de la mer Rouge. Depuis, la montée en puissance « entrepreneuriale » des pays du Golfe, l’émergence des pays asiatiques, l’irruption de la piraterie maritime dans le golfe d’Aden, l’effondrement de la Somalie… ont fait de Djibouti la terre d’élection des hommes en uniformes. Tous les uniformes.

Omar Guelleh, qui a été réélu pour un troisième mandat le 8 avril 2011, entend dès lors aller plus vite plus loin comme partenaire géostratégique des pays de la planète qui ont, dans le monde, des ambitions hégémoniques ou sécuritaires (sans que l’on puisse faire la part des choses entre les unes et les autres). La diplomatie djiboutienne a ainsi défini des « orientations stratégiques » qui s’appuient, d’une part, sur des « principes fondamentaux », d’autre part sur des « composantes essentielles ».

Les « principes fondamentaux » sont des… fondamentaux universels de la diplomatie. Souveraineté nationale et intégrité territoriale ; promotion de la paix, de la démocratie et de la stabilité ; règlement des différends par des moyens pacifiques et non-ingérence dans les affaires intérieures ; sécurité collective ; développement économique et social avec une mobilisation plus significative des ressources financières. Si Djibouti rappelle que « les principaux fondamentaux qui ont toujours inspiré notre politique étrangère n’ont pas cessé de se fonder sur le respect de certaines valeurs universelles qui sont restées constantes et ont conservé, aujourd’hui encore, toute leur actualité », ses responsables soulignent les contraintes externes auxquelles le pays est soumis à ses frontières.

L’Erythrée d’abord, « menace sérieuse et source d’instabilité pour notre pays et dans l’espace IGAD* » (mais la médiation du Qatar laisserait espérer le retour à la paix) ; la Somalie ensuite où, selon Djibouti (qui envoie sur le terrain un contingent de 900 hommes), « tout reste à faire » ; le Sud Soudan enfin, « issu de la sécession du Soudan » et qui, de ce fait, ne se trouve pas « à l’abri des défis sécuritaires ».

Considérant « qu’aucun pays ne peut aujourd’hui se protéger et assurer seul sa sécurité », Djibouti appelle à la mise en place « d’un système de sécurité collective efficace, juste et équitable » dans l’espace IGAD mais également, « à un niveau plus général », à une réforme des Nations unies et du Conseil de sécurité réclamée par l’Union africaine. Il appelle aussi à un « grand projet de réforme de l’organisation panarabe » alors que la « stabilité du Yémen [de l’autre côté de la mer Rouge] est plus que jamais ébranlée », que la « question palestinienne » n’est pas résolue, que l’Irak est confronté au départ des troupes US et que les relations entre Etats arabes sont délicates.

S’ajoutent à cela « la lutte contre le terrorisme, la piraterie, le trafic humain et tous les phénomènes engendrés par les situations de crise dans le Corne de l’Afrique ». Quant au développement économique et social, si c’est le ministère des Affaires étrangères « qui joue un rôle central dans la conduite et la réalisation des stratégies de coopération pour le développement », cette action doit être menée dans le cadre d’une « véritable stratégie » avec le ministère de l’Economie et des Finances. « Cette coordination étroite est essentielle également pour la définition de la stratégie d’intervention des partenaires au développement ».

Venons-en aux « composantes essentielles » de l’action diplomatique djiboutienne. Elles portent sur la « consolidation des acquis avec les partenaires bilatéraux et multilatéraux privilégiés** » ; une « plus grand visibilité et une présence diplomatique internationale renforcée en Afrique, en Europe et au Moyen-Orient » ; une « valorisation accrue de notre position stratégique » ; des « initiatives nouvelles » ; une « réforme du dispositif administratif ». Le nombre des ambassades est passé de 19 à 24 avec l’ouverture de représentations en Afrique du Sud, en Allemagne, au Koweït, au Maroc et en Russie (et, prochainement, en Grande-Bretagne afin que Djibouti soit présent dans chacun des pays membres permanents du Conseil de sécurité).

Dans le même temps, neuf ambassadeurs ont été rappelés cette années tandis que huit sont restés en poste : Arabie Saoudite, Cuba, Egypte, France, Inde, Japon, Suisse (Genève) et Somalie. Un ancrage diplomatique « classique » qui privilégie les puissances « mondiales » bien plus que les « émergents ». « La position stratégique de notre pays, explique Djibouti, a conservé toute son importance qui ne cesse de gagner de l’ampleur avec les multitudes de défis sécuritaires auxquels font face les pays de la sous-région mais, également, la communauté internationale sérieusement préoccupée par la sécurité maritime et le phénomène récent de la piraterie ou le trafic humain. Ceci explique sans aucune doute l’intérêt grandissant des grandes puissances pour notre pays qui est devenu, en raison de sa stabilité et de sa sécurité, la tête de pont de la lutte contre la piraterie […] Il est indéniable que nous devons envisager et entreprendre de sérieusement valoriser cet atout et de capitaliser sur cette position stratégique dont nous escomptons tirer davantage de retombées politique, économique et financière ».

On ne peut pas être plus clair. Enfin, si. Et Djibouti s’y attelle. Le ministre allemand de la Défense était à Djibouti au début du mois de décembre 2011 (un contingent allemand est présent dans le pays dans le cadre de l’opération anti-piraterie « Atalante »). Quelques jours plus tard, c’était au secrétaire US à la Défense, Leon Panetta, d’être à Djibouti pour y rencontrer le président Ismaël Omar Guelleh, visiter la base US du Camp Lemonier (3.000 hommes) et affirmer que « Djibouti est un endroit clé pour poursuivre le combat contre le terrorisme ». Dans le même temps, une mission djiboutienne séjournait à Bruxelles « dans le cadre du renforcement du partenariat et des liens de coopération entre la République de Djibouti et l’Union européenne » dans la perspective « de consolider le corridor djibouto-éthiopien et la place de Djibouti comme hub régional des services et échanges commerciaux pour la sous-région ».

Il y a quelques jours, c’est l’envoyé spécial du président de Russie en charge des affaires africaines qui rencontrait le chef de l’Etat à Djibouti. Mikhaïl V. Margelov était accompagné du PDG du groupe financier Gazprom Bank. Au menu des discussions, les relations bilatérales mais, aussi, la situation internationale. C’est dire que Djibouti est devenu, depuis le « 11 septembre », l’interlocuteur incontournable des grandes puissances qui entendent le rester. Et tant que le triangle Djibouti-Aden-Mogadiscio sera celui de la peur, Omar Guelleh entend surfer sur cette situation géopolitique exceptionnelle.

* L’IGAD, organisation sous-régionale dont le siège est à Djibouti, regroupe l’Ethiopie, Djibouti, le Kenya, l’Ouganda, le Soudan, la Somalie et l’Erythrée (provisoirement suspendue).

** Ce sont, selon le classement officiel de Djibouti : la France, les Etats-Unis, le Japon, la Chine, l’Arabie saoudite, le Yémen, l’Ethiopie, l’ONU, l’IGAD, l’Union africaine et la Ligue arabe.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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