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Le Royaume des Pays-Bas veut une diplomatie apte « à ancrer à l’étranger la réalisation de son projet intérieur » (2/2)

Publié le mardi 20 décembre 2011 à 12h23min

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Dans le gouvernement Rutte/Verhagen (cf. LDD Pays-Bas 002/Mercredi 14 décembre 2011), c’est Hubertus Petrus Maria dit « Ben » Knapen, qui occupe le portefeuille de secrétaire d’Etat des Affaires étrangères avec le titre de ministre en charge des Affaires européennes et de la Coopération internationale. C’est lui qui, le 18 mars 2011, a présenté les nouvelles orientations de la coopération au développement des Pays-Bas à la Chambre des représentants.

« En période de crise, a-t-il déclaré, nous devons tous faire des sacrifices. Il nous faut donc effectuer des choix et accroître notre efficacité. Les Pays-Bas entendent également apporter une contribution constructive et équitable, tant en Europe que dans les pays en voie de développement. Je m’emploierai à donner aux Pays-Bas un profil clair. En Europe et dans le monde. Cela implique de faire des choix politiques nets, qui comptent à l’étranger et nous donnent un vrai visage. Bien entendu, c’est là une tâche que les Affaires étrangères ne peuvent assumer seules. Mais trait d’union entre différents acteurs, le ministère a un rôle important à jouer. C’est ce rôle que j’entends concrétiser dans les prochaines années ».

La Haye prône ce que le ministère des Affaires étrangères appelle la « méthode 3D » : D comme défense ; D comme diplomatie ; D comme développement. Cette approche « combinatoire » vise à assurer la sécurité intérieure et extérieur des Pays-Bas, à promouvoir la stabilité de l’économie mondiale et à défendre les intérêts économiques néerlandais* et à œuvrer pour la liberté de conscience, de religion et d’expression. On présente, parfois, l’ultra libéralisme des nouvelles orientations diplomatiques de La Haye (notamment la « fermeture d’ambassades » en Amérique latine et en Afrique) comme un effet « Wilders ». L’actuel gouvernement de coalition entre les libéraux du VVD et les démocrates chrétiens du CDA, minoritaire, a été contraint de passer un accord avec le parti populiste, le PVV, de Geert Wilders, qui s’est imposé comme la troisième force politique du pays. Wilders développe une idéologie qui aurait fait passer Jean-Marie Le Pen pour un doux démocrate (Wilders réfute pourtant cette comparaison).

Il se refuse à considérer l’islam « comme une religion comme une autre » et la compare « au stalinisme ou au fascisme », une « idéologie totalitaire », une « menace barbare » ; même, dit-il, s’il n’a « rien contre les musulmans ». Il entend donc combattre « les mouvements qui promeuvent la Charia mais aussi et surtout cette classe politique qui ignore le problème de l’islamisation de notre société et regarde ailleurs ». Pas raciste, dit-il, mais se refusant seulement à être « un relativiste en ce qui concerne la culture. Je pense que notre culture judéo-chrétienne est meilleure que l’islam ». A l’immigration (qui est selon lui la troisième « invasion islamique » après celles stoppées à Poitiers puis à Vienne), il préférerait une « guerre ouverte, car alors on verrait l’ennemi en face alors qu’aujourd’hui l’invasion se fait légalement par l’immigration et la natalité ».

Qu’un tel leader politique soit la troisième force politique des Pays-Bas avec 24 députés (après les Libéraux avec 31 députés, les Travaillistes avec 30 députés, mais devant les chrétiens démocrates avec 21 députés et les socialistes avec 15 députés, les libéraux et les Verts avec chacun 10 députés…) oblige à s’interroger sur l’évolution de la société néerlandaise.

La présence de Wilders dans la sphère politique néerlandaise fait que La Haye n’est pas obligée de dire tout haut ce qu’une partie de l’Europe pense tout bas ; Wilders s’en charge : l’aide publique au développement vise, désormais, bien plus à aider le pays émetteur que le pays récepteur ! Et doit être un frein à l’émigration. Il n’en demeure pas moins que la « sélectivité » instaurée par le Royaume des Pays-Bas va impacter lourdement les pays rayés de la liste des bénéficiaires. Par ailleurs, n’étant pas explicitée, cette sélectivité ouvre la porte à tous les commentaires. Ce que La Haye explique ce sont les raisons qui justifient le choix des 15 pays partenaires (cf. LDD Pays-Bas 002/Mercredi 14 décembre 2011) ; pas celui de « l’exclusion » des autres. Les Pays-Bas distinguent ainsi trois catégories de pays qui méritent d’être des « partenaires » : « les pays à faible revenu » (Bénin, Ethiopie, Mali, Mozambique, Ouganda, Rwanda) ; « les Etats fragiles » (Afghanistan, Autorité palestinienne, Burundi, Soudan, Yémen) ; « les Etats présentant une croissance économique saine » (Bangladesh, Ghana, Indonésie, Kenya). Autant d’Etats et autant de raisons de n’être pas en adéquation avec la « sélection » opérée par La Haye. Mais La Haye a sans doute « ses raisons que la raison ne connaît pas »… ! On notera cependant que l’Afrique est la mieux lotie avec 10 pays sur 15 et que l’Amérique latine est, désormais, totalement absente de ce listing.

La Haye évoque une « sortie responsable » de ces pays, soulignant qu’elle y maintiendra au même niveau l’appui budgétaire jusqu’en 2013. Les ambassadeurs dans les pays concernés affirment à leurs interlocuteurs qu’il « n’est d’ailleurs pas exclu qu’après cette période d’accompagnement, le Royaume des Pays-Bas continue d’intervenir à travers des institutions comme l’Unicef » ajoutant que les ONG hollandaises, telles que l’organisation néerlandaise de développement (la SNV) resteront actives et que l’aide apportée dans le cadre de la coopération multilatérale se poursuivra tout comme la coopération militaire. On a le sentiment, cependant, d’une rupture brutale qui ne manquera pas d’être préjudiciable à l’image de La Haye sur la scène diplomatique mondiale ; cette rupture paraissant, à tort ou à raison, bien plus liée à des motivations idéologiques qu’à des critères strictement économiques ou financiers. Précipitation dans la décision ? Les responsables politiques néerlandais évoquent « huit mois de débat » sur cette question.

Nommé en août 2010 ambassadeur à Ouagadougou, Ernst Albert Normann (qui prenait la suite de Gérard Duijfjes en poste depuis septembre 2006 et nommé désormais ambassadeur à Accra), a été reçu par le Premier ministre Tertius Zongo le 23 novembre 2010. L’occasion pour le nouvel ambassadeur de se « réjouir d’une coopération vieille de près de quarante ans ». Normann soulignera, à cette occasion, que « son pays était le plus grand bailleur bilatéral pour l’appui budgétaire sectoriel dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la bonne gouvernance », ajoutant : « Nous sommes très actifs ici comme bailleur de fonds et nous sommes maintenant vice-président de la troïka des bailleurs de fonds ». Quelques mois plus tard, la donne a changé. L’exemplarité de la relation Pays-Bas/Burkina Faso n’est plus à l’ordre du jour.

En ce qui concerne l’Afrique, c’est vrai aussi pour Asmara, Lusaka et Yaoundé. La réponse de Djibrill Bassolé, le ministre burkinabè des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, le jeudi 18 août 2011, lorsqu’il sera informé officiellement de la décision de La Haye, sera digne et froide : si les Pays-Bas ont « leurs contraintes et leurs critères », il a estimé que « cette situation permettra au Burkina Faso de travailler davantage pour améliorer le taux de recouvrement des recettes en vue d’accroître ses ressources ». Réponse du berger à la bergère : nous aussi nous avons nos contraintes et nos critères et, en bons Sahéliens, nous savons aussi ce que commercer veut dire !

Une diplomatie à géométrie variable est-elle une diplomatie viable ? La question est posée et la réponse est désormais à aller chercher du côté de La Haye.

* En matière de « diplomatie économique », les Pays-Bas se concentrent sur neuf secteurs prioritaires : agro-alimentaire ; horticulture ; haute technologie ; énergie ; logistique ; industrie de la création ; sciences de la vie ; chimie ; gestion de l’eau.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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