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Le Royaume des Pays-Bas veut une diplomatie apte « à ancrer à l’étranger la réalisation de son projet intérieur » (1/2)

Publié le lundi 19 décembre 2011 à 12h50min

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S’il est un pays d’Europe occidentale qui véhicule une image de « bobo » (bourgeois-bohême), c’est bien celui-là. « Cool » la Hollande, le royaume de la permissivité, de la dépénalisation de l’usage individuel du cannabis et où les prostituées sont considérées, pour les droits sociaux, comme des salariées ou des « travailleurs indépendants ». Ce pays où 44 % de la population ne revendique aucune appartenance religieuse est aussi une capitale mondiale du droit.

Dès 1893, y a été créée la Conférence de La Haye de droit international privé et la capitale administrative accueille nombre d’institutions judiciaires et juridiques dont, bien sûr, la Cour pénale internationale (CPI). Les Pays-Bas étaient également considérés comme un des Etats les plus engagés dans l’aide publique au développement (0,8 % du PIB en 2010) et la défense des droits de l’homme. Cette image est-elle révolue ? Sans doute. Le Royaume des Pays-Bas a entrepris de réviser, drastiquement, son action diplomatique. Première décision formulée dans une lettre sur la coopération au développement adressée le 26 novembre 2010 à la Chambre des représentants : le gouvernement entend réduire de 33 à 15 le nombre de ses pays partenaires ; le montant total alloué à l’aide publique au développement doit être ramené de 0,8 % à 0,7 % du PIB, soit une réduction de 1,9 milliard d’euros.

Dans son choix des pays partenaires, cinq critères ont été retenus : perspective d’obtention des meilleurs résultats ; niveau de revenu et de pauvreté ; capacité de progresser dans les domaines prioritaires ; possibilité et intérêt des ministères les plus concernés ; qualité de la gouvernance. Les pays retenus sont les suivants : Afghanistan ; Bangladesh ; Bénin ; Burundi ; Éthiopie ; Ghana ; Indonésie ; Kenya ; Mali ; Mozambique ; Ouganda ; Rwanda ; Soudan ; Territoires palestiniens ; Yémen. Par ailleurs, trois pays reçoivent une aide temporaire pour la transition de la coopération au développement vers la coopération économique : Afrique du Sud ; Colombie ; Viêt Nam. Dans le même temps, dans le souci de rendre le réseau diplomatique « plus efficace et moins onéreux », le gouvernement a décidé la fermeture de neuf ambassades. Cinq en Amérique latine : Montevideo (Uruguay) ; Quito (Equateur) ; Guatemala City (Guatemala) ; Managua (Nicaragua) ; La Paz (Bolivie). Quatre en Afrique : Yaoundé (Cameroun) ; Asmara (Erythrée) ; Ouagadougou (Burkina Faso) ; Lusaka (Zambie). L’ouverture de trois postes diplomatiques est envisagée : une ambassade à Panama, une nouvelle représentation diplomatique à Juba (Soudan) et un consulat général en Chine occidentale.

« Flexibilité, ciblage, action intégrée ». La « Lettre » à la Chambre des représentants (cf. supra) est explicite en ce qui concerne « la modernisation de la diplomatie néerlandaise. Ce sont là, dit-elle, « les habits neufs d’une fonction intemporelle ». « La présence diplomatique néerlandaise, ajoute-t-elle, ne se manifeste pas nécessairement à travers une ambassade (un bâtiment surmonté d’un drapeau, où sont remplies toutes les tâches imaginables, outre celles de soutien administratif ou d’entretien), elle peut aussi prendre une tout autre forme. Par exemple avec les ambassadeurs itinérants ou des équipes stratégiques facilement déployables A partir d’antennes régionales. Ou en choisissant un engagement spécifique pour les entreprises ».

« Nation commerçante », les Pays-Bas affirment sans ambages que « pour réaliser ses ambitions, il faut réussir, être meilleur et plus habile que les autres ». « Au niveau international, les règles du jeu évoluent sous l’influence de nouveaux acteurs […], nos intérêts aussi fluctuent […] Pour réaliser ses ambitions [obsession des Bataves], il faut élargir son horizon, partager et réunir ». Ainsi, la diplomatie est « l’outil qui permet aux Pays-Bas d’ancrer à l’étranger la réalisation de leur projet intérieur, en oeuvrant à la prospérité, à la sécurité et à la liberté dans le monde, et en s’appuyant sur une action consulaire forte ». La Haye présente le « savoir-faire néerlandais » en matière de coopération internationale comme le fondement de la nouvelle « préoccupation » des instances mondiales : l’objectif serait la « croissance économique des pays en développement » ; « Les partenariats public-privé, les instruments contractuels et la diplomatie économique peuvent s’avérer payants, en termes de commerce et de réduction de la pauvreté ». Il s’agit « d’apporter une valeur ajoutée particulière » aux pays partenaires.

La politique de « coopération au développement » de La Haye est un ultra-libéralisme sans états d’âme (moins hypocrite que la démarche française - cf. LDD AFD 003/Vendredi 2 décembre 2011). Notons que, même en baisse, l’APD des Pays-Bas est supérieure en pourcentage du PIB à celle de la France et qu’elle respecte le taux fixé internationalement (0,7 %). « Efficacité » et « efficience » impliquent le « passage du social à l’économie, de l’aide à l’investissement », un « accord sur l’autonomie pour éviter toute dépendance indésirable », des « partenariats public-privé aux lieux de distorsion du marché », la « réduction du nombre de thèmes* et de pays partenaires** », une « meilleure concordance avec l’expertise et les intérêts néerlandais », des « ONG moins dépendantes du financement public ».

Les élections législatives anticipées du 9 juin 2010 ont porté au pouvoir un gouvernement de droite (14 octobre 2010) formé des libéraux (VVD) et les chrétiens démocrates (CDA). Coalition minoritaire (52 sièges sur 150) à la Chambre basse, qui a obligé à conclure un accord de soutien avec le PVV du controversé Geert Wilders (le PVV ne détient aucun portefeuille). Au sein de ce gouvernement resserré (12 ministres - y compris le premier ministre et le vice-premier ministre - et 8 secrétaires d’Etat), les affaires étrangères ont été confiées à Uriël (Uri) Rosenthal. Ce docteur en sciences politiques, professeur à l’université de Leyde, était sénateur VVD depuis juin 1999. Sa nomination dans le gouvernement de coalition Mark Rutte (premier ministre VVD)/Maxime Verhagen (vice-premier ministre CDA) est une première expérience ministérielle. Numéro trois du gouvernement, Rosenthal est spécialiste des questions de sécurité, de gestion des crises et de l’administration publique. Le secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères (avec le titre de ministre en charge des Affaires européennes et de la Coopération internationale) est le démocrate chrétien Hubertus Petrus Maria (Ben) Knapen. C’est un professeur d’histoire, spécialiste des relations (1917-1943) entre les Pays-Bas et l’Union soviétique, reconverti dans le journalisme (presse puis télévision), correspondant en Allemagne, aux Etats-Unis puis en Asie du Sud-Est ; il a été directeur senior de la communication, du marketing et des relations institutionnelles du groupe néerlandais Philips. C’est aussi sa première expérience gouvernementale.

* Les quatre axes prioritaires sont la sécurité et l’ordre juridique, l’eau, la sécurité alimentaire et la santé ainsi que les droits reproductifs et sexuels (sic). Il est précisé que « ce sont autant de domaines dans lesquels les entreprises, les organisations de la société civile et les instituts de recherche peuvent offrir leur expertise et apporter une valeur ajoutée ».

** Il est précisé que « cette réduction ne signifie pas qu’aucun crédit ne sera investi ailleurs. Les Pays-Bas continueront de prêter assistance à d’autres pays par le biais de fonds multilatéraux (comme ceux des Nations unies et de l’Union européenne), d’ONG et de programmes tels que le Fonds de stabilité et le Fonds pour les droits de l’homme. Le secteur privé voit aussi son rôle renforcé dans la coopération au développement ». Il est ajouté : « Pour les anciens pays partenaires, l’aide bilatérale sera supprimée progressivement, avec la précaution voulue. Bien que cette réorientation résulte de son choix propre, le gouvernement cherchera à agir conjointement avec d’autres pays donateurs. La stratégie suivie - abandon ou transformation du partenariat - sera adaptée en fonction du pays ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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