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Laurent Chabert d’Hieres, DG d’Eau Vive : « Le progrès dans l’accès à l’eau potable et l’assainissement ne sera réel que si tous les acteurs sont impliqués »

Publié le lundi 19 décembre 2011 à 03h08min

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Tout comme l’ONG trentenaire qu’il dirige, Laurent Chabert d’Hieres, directeur général d’Eau Vive est un farouche partisan de l’approche « multi-acteurs », considérée comme l’un des meilleurs moyens de favoriser l’accès de tous à l’eau potable et à l’assainissement, et donc de contribuer sur la question à l’atteinte des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD). A la veille du forum national de l’eau du Burkina Faso dont sa structure est partie prenante, Laurent Chabert nous situe sur les actions et enjeux à court, moyens et long terme dans le secteur de l’eau potable et de l’assainissement.

Lefaso.net : Pouvez vous présenter, en quelques mots, votre ONG ?

Laurent Chabert d’Hieres : Eau Vive, créée en 1978, a trois activités principales. La première consiste à apporter un soutien en conseils et en financement à des communautés humaines, principalement en milieu rural, qui sont engagées sur des actions de développement local : accès à l’eau et à l’assainissement, éducation, organisation, animation de territoires, formation, production agricole, etc. De plus en plus, du fait de la décentralisation en Afrique sub-saharienne, ce travail s’effectue en appui à la maîtrise d’ouvrage communale et nationale : accompagner des maires, des élus, des services communaux à planifier, réaliser, gérer leurs services publics, pour l’amélioration des conditions de vie des habitants et le développement de la citoyenneté dans des zones le plus souvent démunies.

La seconde activité consiste à accompagner des coopérations entre collectivités françaises et africaines, dans le cadre de la coopération décentralisée. Enfin, Eau Vive s’engage progressivement dans des activités de plaidoyer, En Afrique comme en Europe : contester des modèles inefficaces, proposer des solutions performantes, obtenir des Etats comme des élus et des citoyens un engagement plus déterminé pour l’accès à l’eau et à l’assainissement pour tous.

Par ailleurs, Eau Vive va bientôt achever une réforme structurelle et stratégique : la mise en place d’une fédération Eau Vive Internationale, rassemblant 5 ONG pour démarrer 5 organisations Eau Vive (Burkina Faso, France, Mali, Niger et Sénégal) dans un même mouvement citoyen, pour renforcer ses actions locales comme son plaidoyer national et international.

Vous êtes à l’initiative du processus A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde ! De quoi s’agit-il ? Comment l’idée est-elle née ?

L’idée est venue de deux constats essentiels. Le premier est que de nombreux pays africains n’ont pas su développer des espaces de dialogue ouverts, rassemblant dans la concertation et l’action tous les acteurs concernés par le secteur de l’eau et de l’assainissement. Or nous savons qu’il ne peut y avoir de réel progrès dans la desserte de l’eau et l’assainissement si l’Etat n’implique pas plus nettement les autres acteurs (usagers, élus locaux, secteur privé, groupements et associations, etc) dans la concertation, la planification, la mise en œuvre de plans opérationnels concrets. Atteindre les OMD dans le secteur de l’eau au niveau national, cela ne peut se faire qu’avec la contribution de tous, la responsabilisation de tous, le partage des tâches entre chacun.

Le second constat c’est que l’Afrique n’est pas assez associée, partie prenante, des grands débats internationaux. Elle doit exposer à la communauté internationale ses savoir-faire, ses succès comme ses difficultés, montrer que ce continent sait aussi trouver des solutions et s’engager. A l’inverse, elle doit pouvoir retirer de ces évènements internationaux les appuis et les expériences qui peuvent lui servir.

Et pour que ces évolutions soient connues et appropriées par les citoyens, des événements artistiques sont organisés, marquant l’idée que les artistes comme les citoyens doivent être inclus dans cette mobilisation nationale pour la cause de l’eau et de l’assainissement.

Quel soutien apportez vous au 6 pays qui ont décidé d’engager ces processus de forums nationaux de l’eau appuyés par A l’Eau l’Afrique A l’Eau le Monde ?

Eau Vive est avant tout en assistance technique : compléter les financements nationaux par de l’appui financier extérieur, aider au montage technique des événements, forum et action artistique, assurer une bonne communication autour des événements, rassembler les énergies autour du projet. Sans jamais s’installer comme porteur du processus : ceci revient aux Etats, premiers responsables des avancées comme de l’inertie, parfois, de l’action publique, premiers garants de la desserte de toute la population. Etre une ONG qui encourage et aide un Etat à s’engager à l’action, au dialogue national et international, qui ensuite soutiendra les plans nationaux opérationnels par son action locale auprès des communes, voilà notre ambition.

Où en est le processus dans la préparation du 6e Forum Mondial de l’Eau qui se tiendra à Marseille, en mars 2012 ?

A un peu plus de 3 mois de l’évènement, les préparatifs sont plus ou moins avancés. Les ONG sont plutôt bien organisées et sont en train de finaliser leurs solutions, leurs plaidoyers auprès des autres
acteurs, leurs propositions pour que la communauté internationale se mobilise bien plus que dans les précédents fora (Kyoto, Mexico, Istanbul pour ne citer que les plus récents). Le processus ministériel vient de tenir sa première conférence préparatoire à Paris : en sort un premier « draft » de déclaration que les ONG mais aussi de nombreux Etats trouvent très timoré, sans réelle avancée : il reste deux mois pour que les Etats prennent la mesure de leur responsabilité et s’accordent sur des engagements nettement plus concrets. Du côté du processus des autorités locales et parlementaires, de nombreux acteurs s’accordent pour dire que rien n’est encore vraiment significatif.

La concertation continentale au sein du processus régional (Europe, Asie, Afrique, Amériques) semble plus productive : des engagements apparaissent, bien connectés aux enjeux régionaux. Reste à faire en sorte que ces engagements soient suivis d’effet.

Quelles retombées attendez vous du 6e Forum Mondial de l’Eau dans les pays d’A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde ?

Deux avancées seront à son actif : l’intégration de la société civile dans les enceintes de discussion, la reconnaissance de son expertise et de son rôle, ce qui est une grande nouveauté ; et la promotion de l’action concertée multi-acteurs : tout le monde sait maintenant, après le peu d’avancées des partenariats public-privé, que l’avenir est dans le partage des savoirs et des responsabilités, la mise en œuvre de plans associant tous les acteurs.

Mais le 6e Forum ne résoudra pas tout. D’abord, parce que c’est un évènement qui ne produit pas vraiment de plans d’action concrets, c’est ailleurs, dans les budgets nationaux, dans les instances bilatérales et multilatérales, au sein des grands bailleurs de fonds, que se prennent les décisions techniques et financières. A cet égard, un enjeu de taille se profile : l’intégration de la thématique « eau » dans l’agenda des Nations-Unies, et au premier chef lors de la Conférence Rio + 20 en juin 2012.

ombreux sont ceux qui pensent que la gouvernance comme le financement du secteur ne seront efficaces qu’une fois intégrés dans le cadre formel international. Le second écueil réside dans le fait que de nombreux pays ou bailleurs ne se sentent pas concernés par ce forum, encore perçu comme une initiative du secteur privé, ce qui n’est plus vraiment le cas pour celui-ci, accueilli par la France. Enfin, il ne faut pas négliger le fait que la crise financière internationale peut brider les engagements .

Mais dans tous les cas, cet événement est nécessaire : A ce jour, c’est le plus important rassemblement de la communauté internationale sur la question de l’eau. Avec la précision suivante : c’est moins le forum lui-même qui compte, que l’entre-deux fora : ce qui sera concerté, planifié à Marseille en mars 2012, sera-t-il suivi d’effet d’ici le prochain forum en Corée du Sud en 2015, date qui marque aussi la fin du processus OMD ?

Que pensez-vous de l’accès à l’eau et à l’assainissement en Afrique de l’Ouest et tout particulièrement dans les 6 pays de A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde ? Les Objectifs du Millénaire pour le Développement peuvent ils être atteints ?

Bien entendu, l’Afrique est parfaitement capable d’assurer l’accès à l’eau et à un assainissement minimal pour toute sa population. Les ressources existent, il faut simplement les maîtriser et les protéger : le Niger, pays trop souvent présenté comme fragile, est un immense réservoir d’eau. Les savoir-faire existants ne demandent qu’à être mieux exploités : trop de compétences, dans les communautés humaines, les excellentes écoles d’ingénieur, ou dans l’administration sont encore méconnues et délaissées. Et le continent connaît déjà de multiples réussites, au Ghana, en Ouganda, au Sénégal, pour ne citer que ces pays.

Pour avancer, il faudra utiliser sans doute trois leviers puissants. D’abord la mise en œuvre du Droit à l’Eau. Reconnu par les Nations Unies, il reste à appliquer dans les législations nationales. Ensuite le financement du secteur, à condition qu’il devienne une priorité des budgets nationaux, préalable à l’appui financier international. Enfin la mobilisation de la population : l’eau et l’assainissement, c’est l’affaire de tous.

Du 5 au 7 décembre, Ouagadougou a abrité un forum de haut niveau sur la question de l’eau et de l’assainissement. Y avez-vous été convié ? Que pensez-vous d’une telle initiative ?

Eau Vive, à travers ses équipes en Afrique, a été conviée à ce forum et y a partagé sa vision dans le cadre d’une session sur le financement piloté par le secrétariat international de l’eau qui est partenaire de l’Initiative A l’Eau l’Afrique, A l’Eau le Monde !. Le CREPA qui organisait l’évènement est une institution avec laquelle nous collaborons dans plusieurs pays et qui a fait ses preuves en matière de recherche et de formation particulièrement dans le domaine de l’assainissement ; toute chose nécessaire à la pérennisation des services d’eau et d’assainissement fournis aux populations.

Interview réalisée par Grégoire B. BAZIE
Lefaso.net

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