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Conseil de l’Entente : Le « vieux machin » peut-il servir autre chose que les intérêts ivoiriens ? (2/2)

Publié le mercredi 14 décembre 2011 à 13h31min

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Côte d’Ivoire, Niger, Haute-Volta, Dahomey, Côte d’Ivoire. De sa fondation, en 1959, jusqu’en 1963, le Conseil de l’Entente a tourné rond. Sur le papier. Ensuite, les présidences vont s’éterniser : 1964-1977 pour le Niger (onze ans de Hamani Diori avant la présidence de Seyni Kountché) ; 1977-1979 pour le Togo d’Eyadéma ; 1979-1981 pour la Haute-Volta de Lamizana ; 1982-1984 pour le Bénin de Kérékou ; 1984-1994 pour le Niger de Kountché, Ali Saïbou, Amadou Cheffou, Mahamane Ousmane ; 1994-1998 pour, à nouveau, le Togo d’Eyadéma.

Le Bénin préside l’institution depuis… 1998 (Kérékou puis Boni Yayi depuis 2006). Une flopée de militaires (souvent putschistes, parfois « marxistes ») aux côtés du plus « civil » des chefs d’Etat africains : Félix Houphouët-Boigny. C’est dire que la cohabitation n’aura jamais été facile entre un président de la Côte d’Ivoire qui aura régné trente trois ans en étant confronté à l’instabilité gouvernementale de ses partenaires (notamment en Haute-Volta et au Niger).

Le « vieux machin », créé en 1959 (cf. LDD Côte d’Ivoire 0354/Mercredi 7 décembre 2011), est en voie de réhabilitation. Le 5 décembre 2011 s’est tenue à Cotonou la conférence des chefs d’Etat du Conseil de l’Entente (avec deux pays « observateurs » : Guinée et Mali). Mais personne ne sait à quoi peut bien servir ce truc-là. Cependant, chacun sait que la donne régionale a changé avec le « retour de la paix ». « Cette situation est favorable à la reprise économique régionale dans un contexte mondial dominé par la crise économique financière sans précédent » note le communiqué final.

Dans ce contexte, le Conseil de l’Entente a ressorti le dossier du « maillage plus vaste des réseaux ferroviaires des Etats membres à travers le projet de la boucle Cotonou-Parakou-Niamey-Kaya-Ouagadougou-Abidjan », s’est « préoccupé de la recrudescence des actes de piraterie maritime dans le golfe de Guinée et de la situation d’insécurité qui prévaut dans les pays de la sous-région du fait des conséquences de la crise libyenne et de l’activisme des groupes terroristes ». Le Conseil de l’Entente, qui ne s’était pas réuni au niveau des chefs d’Etat depuis le 11 juillet 2009 (sommet du cinquantenaire à Yamoussoukro), se veut un « outil de concertation sous-régionale » jouant un « rôle politique et économique […] en harmonie avec les autres organisations sous-régionales, notamment la Cédéao et l’UEMOA » afin de créer « un espace de paix, de sécurité et de coopération ».

Jamais, depuis sa création, le Conseil de l’Entente n’a été aussi homogène. Au-delà des axes Compaoré/Ouattara et Compaoré/Eyadéma, Boni Yayi et Issoufou Mahamadou sont en adéquation avec leurs pairs burkinabè et ivoirien. Conakry, où Alpha Condé vient d’arriver, tend à lorgner du côté de l’axe Ouaga-Abidjan dès lors que le point d’appui dakarois est aléatoire. Quant à Bamako, où l’alternance politique est une certitude puisque Amadou Toumani Touré ne peut pas se représenter à la présidentielle 2012, son basculement du côté de « l’Entente » est une revanche sur l’Histoire. Alassane Ouattara, qui maîtrise parfaitement « l’houphouëtisme », ne s’y est pas trompé : dès son accession effective au pouvoir, il avait entrepris une tournée sous-régionale visant, justement, à remettre en route le « vieux machin ». Et à l’élargir.

Etant le dernier du « groupe des cinq » à avoir accédé au pouvoir, et n’ayant donc rien à voir avec la gestion précédente, Alassane D. Ouattara était bien placé pour dénoncer le « dysfonctionnement » du Conseil de l’Entente au cours de la décennie passée. Celui-ci n’a pas permis d’empêcher le déclenchement de la « crise ivoiro-ivoirienne » et sa résolution est passée par Ouaga et nulle part ailleurs.

ADO, loin des poncifs des discours (« Un Conseil de l’Entente des peuples plus intégrés, plus solidaires et plus fraternels, parlant d’une seule voix dans les questions de gouvernance sous-régionale et mondiale et entretenant la culture de la paix et de la sécurité en leur sein », dixit Yayi Boni), a « mis les pieds dans le plat ». « Nous nous sommes rendu compte que les dirigeants de cette structure, ces quatre et cinq dernières années, ont dilapidé dix milliards de francs CFA des ressources de cette institution. Il y aura donc un audit et des poursuites parce qu’il faut que l’argent des contribuables soit restitué » a déclaré le chef de l’Etat ivoirien.

Surfant sur cette réalité financière, il n’a pas manqué de déclarer : « Le poste de secrétaire exécutif a été attribué à la Côte d’Ivoire, et j’ai informé la conférence au sommet que, compte tenu des problèmes financiers, à l’intérieur comme à l’extérieur, que je leur proposais la candidature du ministre Patrice Kouamé qui a été saluée par les chefs d’Etat. Donc, Patrice Kouamé prendra le secrétariat exécutif* du Conseil de l’Entente dès le 1er janvier [2012] pour mettre de l’ordre dans cette institution »

Exit donc Magloire Kéké Teti qui semblait espérer pouvoir « rempiler » affirmant vouloir « redonner espoir à nos populations et leur demander de croire aux objectifs du Conseil de l’Entente », soulignant par ailleurs : « Je veux leur dire que c’est en leur faveur que nous sommes en train de réfléchir ». Trop tard. Il n’est plus temps de réfléchir ; il convient d’agir. Et ce sera le rôle de Patrice Kouamé. Un banquier de 68 ans (il est né le 17 mars 1943 à Abidjan), docteur ès sciences économiques, qui vient de la… BCEAO (il y a été directeur central des opérations financières à Paris puis à Dakar de 1977 à 1984) tout comme le chef de l’Etat ivoirien. Directeur général (1984) puis PDG de la Banque nationale pour le développement agricole (BNDA), il a été ministre de l’Emploi et de la Fonction publique du 30 novembre 1990 (le premier gouvernement constitué par Ouattara) au 15 décembre 1993 (il sera remplacé par Achi Atsain dans le premier gouvernement d’Henri Konan Bédié dont le premier ministre était Daniel Kablan Duncan). La première mission de Kouamé sera de procéder à la « restructuration » du Fonds d’entraide et de garantie des emprunts afin de « lui donner une nouvelle orientation ».

Le chef de l’Etat béninois, Boni Yayi, a, quant à lui, été reconduit à la présidence du Conseil de l’Entente. Ce qui convient bien à Ouattara : entre « banquiers » on se comprend mieux qu’entre « politiques ». Et on peut penser que la conception du Conseil de l’Entente qui est celle de Boni Yayi est aussi celle de Ouattara : « un espace de solidarité et de fraternité entre les peuples […] Une intégration politique qui engendre une coopération économique permettant la mise en œuvre de projets de développement au profit des populations dans les domaines de l’agriculture, du développement rural, du transport, de l’électrification rurale… » (j’aménage quelque peu le discours de Boni Yayi lors de la conférence des chefs d’Etat, mais j’en respecte l’esprit et, plus encore, les termes).

Le Conseil de l’Entente sera, pour la Côte d’Ivoire, un outil de coopération régionale de proximité, plus flexible que l’UEMOA ou la Cédéao s’articulant autour des ports d’Abidjan (boucle ferroviaire Abidjan, Ouaga, Niamey, Parakou, Cotonou) et de San Pedro (boucle ferroviaire San Pedro, Man avec des embranchements vers la Guinée d’une part et le Mali d’autre part). Histoire de concrétiser la vision « cinquantenaire » d’Houphouët-Boigny ; avec plus d’ampleur encore !

* Si le secrétariat exécutif est dévolu à la Côte d’Ivoire, un poste de secrétaire exécutif adjoint a été attribué au Niger tandis que le Bénin obtient la direction du département en charge de la coopération politique, de la paix et de la sécurité, le Burkina Faso la direction du département en charge de la coopération au développement, le Togo la direction du département en charge des infrastructures et des grands travaux. Le poste de contrôleur financier reste ouvert à compétition.

Jen-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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