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Cinq ans après la mort du professeur Joseph Ki-Zerbo, où sont passés les « intellectuels africains engagés » ? (1/3)

Publié le jeudi 8 décembre 2011 à 17h11min

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Lundi 4 décembre 2006-dimanche 4 décembre 2011. Voilà cinq ans déjà qu’est mort le professeur burkinabè Joseph Ki-Zerbo. Il était âgé de 84 ans. Historien et homme politique de l’opposition (de toutes les oppositions), il aura été une des figures majeures du Burkina Faso mais aussi de l’Afrique et son nom reste synonyme d’Histoire africaine, bien au-delà du continent.

Quand en Afrique notamment, beaucoup d’hommes politiques se parent du titre de professeur ou de docteur, s’ils avaient jeté un œil sur la vie et l’œuvre de Ki-Zerbo, cela les auraient obligé à plus d’humilité. Humilité qui conviendrait également à ceux qui revendiquent un leadership dans les « oppositions ». Ki-Zerbo n’a appartenu à aucun gouvernement, n’a occupé aucune fonction officielle à la tête d’une organisation internationale. Ce n’est pas qu’il n’ait pas été sollicité, bien au contraire, mais il a été, plus qu’aucun autre, un homme libre dans ses engagements, se refusant à « se laisser absorber, asservir culturellement ».

Joseph Ki-Zerbo était né le 21 juin 1922, à Toma, Nord-Ouest de la Haute-Volta, entre Koudougou et Tougan, en pays San (province du Sourou). Ki et Zerbo sont deux patronymes distincts. Pour l’administration coloniale, Joseph était né Ki. C’est son père (généralement considéré comme le premier chrétien de Haute-Volta), alors que Joseph était étudiant, qui était intervenu pour que les deux patronymes (expression de l’alliance des familles Ki et Zerbo) soient accolés. « Il faut redresser cela, dira le père au fils, parce que Ki n’est pas notre nom en entier. Nous nous appelons Ki-Zerbo ; il n’y a qu’à écouter les griots quand ils appellent notre famille ». L’anecdote est plus exemplaire qu’on ne pourrait le penser. L’administration française (contre la coutume, y compris en France) privilégie le nom du père sur celui de la mère ; mais comment vivre pleinement sa filiation quand on naît, ainsi, boiteux ?

Ki-Zerbo, lui, marchera sur ses deux jambes. L’identité sera pour lui une préoccupation majeure. Il a eu la perception de cette nécessité vitale dès qu’il s’est engagé dans le combat contre le colonialisme. « Dans la mesure où nous voulions renverser la situation, dira-t-il au magazine burkinabè Regard (6-12 septembre 1993), nous remettre sur nos jambes, nous tenir de nouveau debout comme des peuples libres, eh bien, dans cette mesure, nous devions changer les noms [Il évoquait, dans ce cas, le nom des ex-colonies] et revenir, peut-être, à des moments de notre histoire qui témoignent de notre capacité non seulement à exister, mais aussi à produire, à nous exprimer. Cette idée de se retrouver, d’avoir son identité, de ne pas se laisser absorber, asservir culturellement, est une idée […] matrice et maîtresse. [Il s’agit] de retrouver son identité, de renouer avec soi-même et de se reproduire : non pas de produire seulement, mais de se reproduire ».

En 1949, Ki-Zerbo débarquera à Paris. Il a 27 ans, a exercé de nombreux jobs (moniteur, journaliste, employé du chemin de fer, surveillant de lycée, etc.) et obtenu le bachot en candidat libre. Commence alors, pour lui, une formidable aventure intellectuelle et politique qui va, en quelques années, en faire l’archétype de « l’intellectuel africain engagé », un positionnement qui est dans l’air du temps en cette période d’après-guerre marquée par la montée en puissance des mouvements d’émancipation des peuples colonisés.

Il fera ses études à Sciences Po (1954), à la Sorbonne, sera le premier agrégé d’histoire originaire d’Afrique noire (1955). Il enseignera à Orléans (lycée Pothier) puis à Ouagadougou (lycée Zinda) après être passé par Paris (lycée Buffon) et Dakar (lycée Van Vollenhoven). Pendant son séjour en France sera créée, en 1950, la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) dont il sera membre du bureau après avoir fondé l’Association des étudiants voltaïques en France. Catholique, il ne s’adonnera pas au marxisme-léninisme, idéologie athée alors en vogue chez les étudiants d’Afrique noire, et placera son combat politique dans une perspective plus culturelle et, du même coup, plus africaine qu’internationale (le marxisme-léninisme se voulait transnational). Dès le mitan des années 1950, il va créer le Mouvement de libération nationale (MLN) qui prônera « la renaissance africaine ». Il s’agissait de cesser d’être « des objets » pour devenir des « sujets de l’Histoire ». Il réclamait l’indépendance, les Etats-Unis d’Afrique noire, « un socialisme africain inspiré par l’Afrique » mais « pas le socialisme africain comme le prônait Senghor ».

Plus radical, sans doute ; sans être révolutionnaire. Son radicalisme (le manifeste du MLN - un sigle qui évoque le FLN algérien - s’intitulait : « Libérons l’Afrique ») s’exprimera pleinement lors du référendum sur la Constitution, le 28 septembre 1958. Il fera campagne pour le « non ». Il voulait que chacun des pays de l’AOF et de l’AEF « soit constitué en tant que personnalité politique et qu’on ait, ensuite, des liens contractuels avec la France, et non pas une union organique sur le plan politique ». Le « non » sera minoritaire dans une Afrique noire francophone où, partout, l’administration coloniale (et les organisations gaullistes) faisaient la loi. Ce « non » décidera de la carrière de Ki-Zerbo. Alors que les autres figures de proue de l’Afrique noire francophone vont accéder au pouvoir (à commencer par Léopold Sédar Senghor), Ki-Zerbo va s’ancrer durablement dans l’opposition.

Le « oui » l’avait emporté partout. Sauf en Guinée. Ahmed Sékou Touré se retrouve, du jour au lendemain, à la tête d’un pays indépendant (2 octobre 1958). Et abandonné par Paris. Il va lancer un SOS aux cadres africains afin qu’ils prennent la place des Français. Ki-Zerbo enseignait alors à Dakar, capitale de l’AOF. Il est l’élite de l’élite. Avec Léopold Sédar Senghor, ils sont les deux seuls professeurs agrégés de toute l’Afrique noire. Ki-Zerbo abandonnera Dakar pour Conakry (lycée Donka). « Pas pour la révolution, dira-t-il plus tard. C’était surtout pour la libération. Ne confondons pas les choses » ; il s’agissait « de nous mettre au service de la Guinée indépendante pour que l’expérience n’échoue pas ; pas de Sékou Touré en tant que tel ».

En 1960, la Haute-Volta accède, à son tour, à l’indépendance. Ki-Zerbo va quitter le lycée de Conakry pour celui de Ouagadougou. Il n’a pas encore 40 ans. Il va, tout à la fois, se lancer à corps perdu dans l’action politique et syndicale, et dans le travail universitaire. En 1962, il obtiendra un congé de deux ans de l’administration voltaïque et le soutien de l’Unesco pour se lancer dans la rédaction de son Histoire de l’Afrique noire. Débutée à Ouaga, en 1962, cette œuvre sera achevée à Alger, en 1969, lors du Premier festival culturel panafricain (21 juillet-1er août 1969). Cela n’étonnera pas. Alger a été un moment essentiel (mais inachevé) dans l’histoire de la lutte de l’Afrique pour son émancipation. Houari Boumediène était au pouvoir à Alger et prônait le « combat pour le développement, les luttes antiracistes ou de libération ».

Pendant toutes ces années, Ki-Zerbo va voyager à travers l’Afrique d’Abidjan à Zanzibar, mais aussi en Europe. Il va ingurgiter, dira-t-il, plus de mille volumes. Il devra faire l’impasse sur une « Histoire générale de l’Afrique » et repousser à plus tard l’étude de l’histoire de « la partie nord de l’Afrique ». Jour après jour, il « creusait, a-t-il écrit, le sentiment du gouffre d’ignorance ». Ce n’était pourtant pas là le premier ouvrage de Ki-Zerbo. Il avait publié, en 1963, un petit opuscule (96 pages) : « Le Monde africain noir. Histoire et civilisation », et avait participé, avec A.M. M’Bow et J. Devisse, à la collection d’Histoire pour l’enseignement secondaire d’Afrique francophone et de Madagascar (1969-1975).

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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