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Vingt-deux ans après la disparition d’Ahmadou Ahidjo : le Cameroun de Paul Biya est en état de mort clinique politique.

Publié le mercredi 7 décembre 2011 à 16h40min

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Jeudi 30 novembre 1989-mercredi 30 novembre 2011. Il y a tout juste vingt-deux ans, exilé à Dakar (et en France : il passait une partie de l’année sur la Côte d’Azur, à Grasse, où il avait acquis une villa), Ahmadou Ahidjo mourait subitement, victime d’une crise cardiaque. Il n’avait que 65 ans et un long parcours politique derrière lui (député du Nord-Cameroun à l’Assemblée représentative du territoire à 23 ans !).

Le jeudi 4 novembre 1982, il avait créé l’événement en décidant d’abandonner le pouvoir à son « successeur constitutionnel » : Paul Biya. Une vraie-fausse sortie. Biya était chef de l’Etat ; Ahidjo demeurait le patron du parti unique, l’UNC. Le message de la surprenante démission du président de la République, considéré comme le « père de l’indépendance » et, surtout, celui de la « réunification » du Cameroun, avait été diffusé par la radio nationale. Ahidjo n’avait jamais autorisé l’implantation de la télévision. « J’ai décidé de démissionner de mes fonctions de président de la République unie du Cameroun. J’invite toutes les Camerounaises et tous les Camerounais à accorder sans réserve leur confiance et à apporter leur concours à mon successeur constitutionnel, Monsieur Paul Biya. Il mérite la confiance de tous à l’intérieur et à l’extérieur ». Aucune autre explication. Siradiou Diallo qui, par le plus pur des hasards se trouvait sur place ce jour-là, évoquera un « coup de massue » (Jeune Afrique - 17 novembre 1982).

Ce sera un « coup de Jarnac ». Sans que l’on sache jamais, vraiment, ce qui avait motivé la démission d’Ahidjo et ce qui motivera sa volonté de revenir aux affaires. « Ahidjo avait abandonné le pouvoir visible (en démissionnant en novembre 1982) pour garder le pouvoir invisible » commentera le procureur qui, en février 1984, le condamnera à mort par contumace pour « complot contre la sécurité de l’Etat et subversion » (affaire du « 18 juin 1983 »). Ahidjo, que l’on avait jusqu’alors présenté comme un bourreau, deviendra peu à peu une victime. Celle du régime de Biya. Et les circonvolutions politiques du « successeur » vont rapidement permettre que le « père de l’indépendance » soit présenté comme le « père de la nation » ; une nation que Biya n’aurait cessé de « détricoter ».

Philippe Gaillard, qui a été le biographe d’Ahidjo, dira (Jeune Afrique du 28 juillet 1994) : « Au départ, j’avais un peu les mêmes idées reçues que tout le monde. Ahidjo était perçu comme un véritable tyran dans les milieux intellectuels à l’étranger. On a surestimé son manque de respect des droits de l’homme au point d’occulter les qualités de l’homme d’Etat […] Ahidjo était un autocrate. Il a instauré un régime policier, avec une police politique qui était l’un des mieux organisées d’Afrique. Mais il n’y a pas eu les milliers d’arrestation arbitraires, les centaines de morts sous la torture ou dans les camps que l’on a dit ». Lors de son retrait du pouvoir, la détestation d’Ahidjo était d’autant plus forte que l’espérance d’un changement opéré par Biya était forte. Ce sera une espérance trahie. Et la mort d’Ahidjo, en exil, va faire de l’ancien chef de l’Etat une figure mythique, chacun oubliant le « despote » qu’il avait été (« C’est sans doute un despote, mais un despote éclairé », affirmait Pierre Chauleur, alors rédacteur en chef de Marchés Tropicaux, au lendemain de l’annonce de sa démission, dans l’édition du 12 novembre 1982 de l’hebdomadaire).

« Père de la nation », « guide éclairé », « bâtisseur infatigable », « artisan de l’unité », « apôtre de la paix »… Au pouvoir, Ahidjo était paré de qualités (par ceux qui profitaient du régime). Il n’était pas, parmi les « pères de l’indépendance » mis en place par l’administration française, ni meilleur ni pire qu’un autre. Mais en un temps où, partout dans le monde, la jeunesse et la « société civile » (que l’on ne qualifiait pas encore ainsi) entendaient bouleverser la donne politique et sociale (l’économie, alors, n’était pas vraiment une préoccupation), il était bien évident que le mode de production politique d’Ahidjo s’apparentait bien plus à une dictature qu’à une démocratie (en France, le régime du général De Gaulle avait subi le même ostracisme de la part de la jeunesse). Même si une certaine rigueur de comportement (qui devait beaucoup aux origines peules d’Ahidjo) était en rupture avec l’ostentation de bien des leaders catalogués de « fascistes » au sein de ce qu’on appelait alors le « tiers-monde ». Quand Ahidjo va mourir, le Cameroun ne lui accordera pas des obsèques nationales, les drapeaux ne seront pas mis en berne, l’ambassadeur du Cameroun à Dakar ne rendra pas un dernier hommage au disparu et il ne trouvera que la terre sénégalaise, au cimetière musulman de Yoff, pour l’accueillir.

Il y a vingt-deux ans que cela dure (c’est le temps pendant lequel Ahidjo a régné sur le pays). Chaque année, on évoque le retour au Cameroun de la dépouille du premier président de la République. Avec plus d’insistance encore en 2010, année du cinquantenaire de l’indépendance du Cameroun (1er janvier 1960). Alors que le Cameroun était en campagne présidentielle, ces derniers mois, la question avait été soulevée par quelques candidats qui rappelaient qu’Ahidjo, musulman du Nord Cameroun, avait confié sa succession à un chrétien du Centre-Sud ; ce qui, dans ce pays est significatif. La question n’est pas qu’anecdotique ; elle est aussi politique dans la mesure où le régime Biya entend, définitivement, tirer un trait sur les « années Ahidjo ». La Cameroun se résumerait donc à Biya et à Biya seulement. Il est vrai qu’il ne faut pas être loin de l’âge de la retraite pour se souvenir de ce qu’ont été les « années Ahidjo ». Ce n’est d’ailleurs pas, en matière de communication, le meilleur choix opéré par Biya.

En pratiquant l’ostracisme à l’encontre de son « illustre prédécesseur », le chef de l’Etat empêche de comprendre ce qui justifie chez lui cet acharnement au pouvoir ; et, plus encore, cette complaisance (ou cette indifférence) des Camerounais à son égard (les manipulations électorales n’expliquent pas tout le processus politique dans ce pays depuis 1982). C’est en réaction par rapport à Ahidjo que les Camerounais, tout d’abord, se sont engouffrés dans le « Renouveau » prôné par Biya ; et c’est en réaction par rapport à ce que le pays avait dû subir, des années 1950 aux années 1990, que les Camerounais, bien que déçus par les promesses non tenues du « Renouveau », ont redouté, plus que tout, ce qu’ils pensaient être l’aventurisme de l’alternance. « Nous voulons la paix » ne cesse-t-on de proclamer dans ce pays qui, il est vrai, a connu la guerre civile, la terreur qui l’accompagne et les dictatures qui en résultent.

La paix au Cameroun, désormais, confine à la totale indifférence politique. Ce pays n’a connu que deux chefs d’Etat. Biya a été largement réélu, dans la même indifférence, le 9 octobre 2011 pour un… sixième mandat. Il a prêté serment, une fois encore, le 3 novembre 2011. Depuis, le pays vit en apesanteur. Aucun nouveau premier ministre n’a été nommé, aucun changement de gouvernement n’a été opéré. Non pas qu’il n’y ait pas nécessité de procéder à des changements ; c’est que ceux-ci n’ont pas encore été opérés tant il est toujours difficile, dans ce pays, de parvenir à un équilibre ethnique qui ne recouvre pas, bien sûr, nécessairement (et c’est un euphémisme), la compétence des heureux « élus ».

Autant dire que, politiquement, le Cameroun est en état de mort clinique. Dans les administrations, les ambassades, les entreprises… aucune décision ne peut être prise, personne n’étant certain d’être encore, dans quelques jours ou quelques semaines, là où il se trouve actuellement. Mais, bien sûr, cela ne gêne que les observateurs étrangers. Les Camerounais, eux, sont rodés à l’inertie d’un système politique pour lequel une seule question se pose : qu’en adviendra-t-il quand Biya aura rejoint Ahidjo ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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