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La politique africaine de François Hollande ressemblera-t-elle à celle de François Mitterrand ?

Publié le mardi 29 novembre 2011 à 00h36min

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Les dés sont jetés… C’est François Hollande, candidat élu par le parti socialiste, qui sera chargé de battre Nicolas Sarkozy aux prochaines élections présidentielles françaises, le 6 Mai 2012.
La conjoncture lui est si éminemment favorable que l’on ne prend pas un grand risque en pronostiquant sa victoire. La France a soif d’alternance. Il faudrait un miracle pour que Sarkozy remonte la pente, tant il a déçu ceux qui avaient voté pour lui en 2007. Sur le plan international, ses ingérences maladroites dans les affaires africaines ont ravivé la méfiance chronique des populations envers l’ancienne puissance coloniale.

Face aux excès de Sarkozy, le candidat François Hollande fait figure d’antidote : tout en lui est mesure, courtoisie, patience et respect des autres, même de ses adversaires. Il a pris son temps et a su attendre son heure. L’ambition politique de son ex-femme Ségolène Royale lui barrait la route. Aujourd’hui, après avoir mis de l’ordre dans sa vie privée et choisi une nouvelle compagne qui le valorise et l’encourage, il peut compter sur le soutien sans restriction des socialistes. François Hollande semble conscient de ce qui l’attend au cas où il serait élu Président. La France est sens dessus-dessous, l’Europe aussi, quant au monde, il déborde de problèmes insolubles. Cette configuration générale l’incite à la prudence : « Je ne ferai pas de promesses que je ne pourrais pas tenir, car je ne voudrais pas me retrouver au bout de cinq ans avec le bilan de Mr Sarkozy ! »

Longtemps cantonné à des seconds rôles et missionné pour maintenir la cohésion du parti socialiste, François Hollande est passé maître dans l’art d’arrondir les angles. Lors d’une interview de « Jeune Afrique »(Août 2011), on lui demande ce qu’il pense du président Wade qui va se représenter à 85 ans. Il répond : « C’est au peuple sénégalais de le dire. Ce n’est pas à un Français de fixer les limites d’âge pour les chefs d’Etat étrangers ». A toutes les questions, il répond de façon à la fois sobre et directe. Toutefois, qu’entend-t-il par : « Nous ne cherchons pas à déstabiliser des pays africains et leurs dirigeants. Nous voulons clarifier nos rapports. » ? Certains ont traduit : « les chefs d’État africains traditionnellement soutenus par la France n’ont rien à craindre ». Pourtant, le 22 octobre, François Hollande a solennellement promis : « Notre République portera une nouvelle politique à l’égard de l’Afrique qui répudiera sans regrets les miasmes de la *Françafrique ».

Quelles sont les chances réelles d’en finir avec la Françafrique ?
Peut-on espérer que cette fois-ci, la gauche ne se paiera pas de mots, mais d’actes ?

Il faudrait pour cela que François Hollande en finisse avec le fantôme du Président François Mitterrand, qui dirigea la France de 1981 à 1995, et dont le souvenir fait encore l’objet d’un culte parmi les responsables socialistes. Son accession au pouvoir a permis des avancées sociales importantes, mais ces acquis ne doivent pas nous empêcher de porter un regard critique sur la politique d’un homme d’un autre temps. En effet, le jeune François Mitterrand a d’abord été un farouche nationaliste de droite avant et après la seconde guerre mondiale. Ensuite, il a évolué vers la gauche, mais sans jamais renier ses premières amitiés. « Ce à quoi je croyais à vingt ans, j’y crois encore », avouait-il en 1977. Très attaché aux colonies, c’est à contre cœur qu’il a dû céder du terrain. « Seule la route du Sud est disponible, large, et bordée d’espaces inoccupés », écrivait-il en 1945. Plus tard : « Sous l’affreux aspect de l’utilitarisme, nos colonies nous sont nécessaires ». Erreurs de jeunesse ? Pas vraiment si l’on en juge par cette déclaration faisant suite à son élection de 1981 : « Il n’y a pas de hiatus dans la politique africaine de la France avant Mai 1981 et après.

Si la méthode a changé, l’objectif est resté. Il consiste à préserver le rôle et les intérêts de la France en Afrique ». A contrario, ambivalence ou duplicité, il lui arrivera de tenir des propos surprenants, comme par exemple cette tirade à la conférence de Cancun en Octobre 1981 où l’on croirait entendre Thomas Sankara : « Salut aux humiliés, aux émigrés, aux exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres ! Salut à celles et à ceux qu’on bâillonne, qu’on persécute ou qu’on torture, qui veulent vivre et vivre libres ! Salut aux séquestrés, aux disparus et aux assassinés qui voulaient seulement vivre et vivre libres ! Salut aux prêtres brutalisés, aux syndicalistes emprisonnés, aux chômeurs qui vendent leur sang pour survivre, aux Indiens pourchassés dans leur forêt, aux travailleurs sans droit, aux paysans sans terre, aux résistants sans arme qui veulent vivre et vivre libres ! A tous, la France dit : Courage, la liberté vaincra ».

Dans le même élan, il nommera ministre de la Coopération Jean Pierre Cot, un homme qui ne faisait pas mystère de sa volonté d’en finir avec la Françafrique. Hélas, sous la pression d’Omar Bongo et consorts, Mitterrand sacrifiera vite son ministre. Son réseau françafricain, composé de Guy Penne, Roland Dumas, et de son fils Jean-Christophe succédera sans heurts à celui de Jacques Chirac. Lui-même nouera des amitiés solides avec Omar Bongo, Habyarimana, Houphouët Boigny. « Il s’agit d’agir en douceur et avec discrétion pour ne pas indisposer certains chefs d’Etat africains », disait-il. Ce qui ne l’empêchera pas d’intervenir militairement au Tchad, puis au Rwanda. Le Discours de La Baule prononcé en Juin 1990 devant 35 chefs d’Etat africains est un chef d’œuvre d’habileté paternaliste. Tout en se gardant de critiquer ou de donner des conseils à des chefs d’Etats désormais indépendants, l’exquise politesse de ses propos n’en laisse pas moins transparaitre son sentiment de supériorité et son indifférence pour la souffrance des peuples africains. Seuls comptent le commerce, les affaires, le rayonnement de la France.

Le but de Mitterrand, c’est que les dirigeants africains dépendants du pré-carré français soient plus présentables devant les instances internationales. Comme le souligne Philippe Marchesin dans son livre « Le nègre du palais » (Albin Michel 1994), « les puissants ne demandent ni loyauté ni compétence, et surtout pas d’encombrantes convictions. Ils n’espèrent que du dévouement… »
Le Burkina Faso a payé cher pour le savoir. Mitterrand n’a pas supporté la franchise de Thomas Sankara, son attitude digne et fière, ses idéaux de justice sociale. Lui, le socialiste, n’y a vu que l’intolérable insubordination d’un sujet. Il fallait sévir, faire un exemple, de peur que la contagion ne gagne. (Lire « La Françafrique » de François Xavier Verschave. Ed. Fayart).

Dans ces conditions, on peut s’interroger sur le sens de l’adhésion de certains opposants africains au parti socialiste français. Effectivement, l’aventure d’un Laurent Gbagbo, devenu dirigeant de la Côte d’Ivoire, fait ressortir la confusion du parti socialiste : certains le déclarent « non fréquentable » d’autres lui sont restés fidèles jusqu’au bout. Une ligne claire reste à définir.

Si la référence à François Mitterrand plane toujours, le monde a bien changé depuis son décès. Le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources, la crise financière mondiale menacent la planète. Aussi Martine Aubry s’est-elle présentée au Forum Social Mondial de Dakar de Février 2011 comme altermondialiste. Malheureusement, entre son désir d’humilier Sarkozy et son allégeance involontaire à François Mitterrand, elle s’est prise les pieds dans le tapis : D’un côté, elle évoque Lumumba, Mandela et même Sankara et de l’autre, elle ne peut s’empêcher de célébrer les tirailleurs sénégalais sur un mode…postcolonial : « Ne sont-ils pas entrés dans l’histoire par la porte immense de l’héroïsme, ces Tirailleurs que chantait Senghor ! » Comme Jacques Chirac, Martine Aubry aime l’art africain, ce qui est très insuffisant pour infléchir la politique africaine du parti socialiste.

Arnaud Montebourg, l’étoile montante, de son coté, semble déterminé à rompre avec le pré-carré africain : « La réalité a dépassé la caricature ». Ses idées sont radicales, mais il n’a pas encore fait ses preuves sur le terrain. La seule socialiste qui ait vraiment fait ses preuves, c’est Ségolène Royale. Elle aussi a été formée par un François Mitterrand qu’elle vénère. Mais en ce qui concerne la politique africaine, elle s’en démarque totalement. Son discours de Dakar (Avril 2009) reste un témoignage remarquable et très émouvant de son intérêt pour l’Afrique et de sa connaissance approfondie des problèmes et des richesses africaines. Elle n’est pas seulement née au Sénégal, elle a noué des liens personnels, s’est investie dans la coopérative écologique féminine de Fatick jumelée avec sa région du Poitou-Charente. Ségolène défend les paysans et les exploitations familiales contre les menaces de l’agrobusiness. Elle n’est pas dupe du rôle du FMI et de ses plans d’ajustements structurels néfastes.
Elle rappelle le passé africain, l’existence des grands royaumes antérieurs à l’arrivée des Blancs, et s’attarde sur l’étonnante Charte du Mandé qui au 13ème siècle définissait les droits de la personne humaine longtemps avant la Révolution française.

Sera-t-elle écoutée par son ex-mari auquel elle s’est ralliée après les primaires ? Bien que les subtilités de la politique internationale ne soit pas son fort, elle plaidera de toutes ses convictions pour le respect réel des peuples africains. Et il est possible que François Hollande juge son expertise pertinente. Aura-t-il la clairvoyance de favoriser l’alternance, et donc l’accession au pouvoir d’hommes nouveaux ? Ou n’osera-t-il pas prendre ce risque ? Agira-t-il « en douceur » comme Mitterrand, ou suivra-t-il Arnaud Montebourg et Ségolène Royale ? Qu’en sera-t-il pour le Burkina Faso ? Il est probable que Blaise Compaoré se pose aussi la question, et c’est pourquoi il continue de se réserver la possibilité de modifier l’article 37. Il nous reste à espérer que la France nouvelle, si elle gagne le pouvoir, aura à cœur d’encourager l’Afrique nouvelle.

Françoise Gérard

Mutations
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Vos commentaires

  • Le 29 novembre 2011 à 12:29, par TGM En réponse à : La politique africaine de François Hollande ressemblera-t-elle à celle de François Mitterrand ?

    Bel article, mais ayez toujours en tete que la France n’a pas d’amis, la France n’a que des interets. Si les interets de la France sont tels qu’il est necessaire de modifier la constitution au Burkina, soyez sur qu’elle sera modifiée.

  • Le 29 novembre 2011 à 12:51, par la comète de halley En réponse à : La politique africaine de François Hollande ressemblera-t-elle à celle de François Mitterrand ?

    HOLLANDE ne peut pas battre SARKOZY,c’est du bla bla.la politique sarkozienne,même si elle est inhumaine a quelque part gonflé l’économie française ;or tout le monde sait que la france n’a pas d’ami mais des interêts. ce faisant SARKOZY va rebelotter pour continuer sa croisade contre l’AFRIQUE et pour les intrêts FRANCAIS.

  • Le 29 novembre 2011 à 13:09, par La vision En réponse à : La politique africaine de François Hollande ressemblera-t-elle à celle de François Mitterrand ?

    bonne recherche,bonne analyse,"je crois qu’il est enfin tant de signer l’acte de décès de la franceafrique", repatir sur de nouvelles bases et permettre au peuple noir de sortir de la misère.

    "Pourquoi avons nous le continent le plus riche mais nous restons toujours pauvres" ?

  • Le 29 novembre 2011 à 15:37, par Raogo En réponse à : La politique africaine de François Hollande ressemblera-t-elle à celle de François Mitterrand ?

    .....Pas bete l affiche . mais...... sera t il a la hauteur de son Altesse Miterrand le Hollande wait and see....

    • Le 30 novembre 2011 à 11:43 En réponse à : La politique africaine de François Hollande ressemblera-t-elle à celle de François Mitterrand ?

      Il n’y aucune raison objective pour que la continuité ne soit pas à l’ordre du jour en la matière. Plus sérieusement, les socialistes français n’ont jamais été des révolutionnaires et ne sont socialistes que de nom. L’horizon politique de cette sociale-démocratie n’a jamais été au-delà des étiquettes et des affichages pour la galerie. Comme les forces de droite, les socialistes français adorent tout autant les connexions au réseau françafricain et les collectes de Djimbés d’or et de dollars en Afrique où les renvois d’ascenseurs intéressent localement les élites politiques au pouvoir. C’est la condition même du maintien de l’ordre néo-colonial pompeusement qualifié ici par l’insulte de bonne gouvernance. Oui bonne gouvernance et non bon gouvernement ! C’est-à-dire que le peuple se laisse tondre et conduire à l’abattoir social.
      Il faut être naïf pour voir des différences politiques entre la droite française et des sociaux-démocrates rose-bonbons. Tous se soucient des peuples d’Afrique comme d’une guigne. Leurs priorités communes restent la préservation du pacte colonial et néo-colonial qui tue notre avenir. Ne l’oublions pas, car cette même social-démocratie française réactionnaire a comploté à l’assassinat crapuleux du Président Thomas Sankara en 1987 ; tout comme elle a voté comme un seul homme, avec la droite xénophobe sarkoziste, la guerre d’annexion et de recolonisation en Côte d’Ivoire ou en Libye. Ne soyons plus dupe !

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