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FEMMES ACCUSEES DE SORCELLERIE : "Le symbole de la démission de l’Etat"

Publié le vendredi 25 novembre 2011 à 01h19min

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François de Sales Bado estime, dans le point de vue qui suit, que l’inauguration d’un nouveau centre d’accueil pour les femmes accusées de sorcellerie, est symbole de la démission de l’Etat.
Très révolté contre la politique de l’Etat en matière de lutte contre l’exclusion sociale et les violences faites aux femmes, je n’ai pu résister à mon désir d’exprimer mon opinion, lorsque j’ai entendu parler de l’inauguration d’un nouveau centre pour accueillir les pensionnaires du Centre Delwendé de Tanghin.

S’il convient de saluer l’initiative du ministère de l’Action sociale et de la solidarité nationale (MASSN) dont l’objectif est de prévenir les risques d’inondation du Centre Delwendé dans son emplacement actuel, il n’en demeure pas moins que la construction de ce Centre traduit, toute analyse faite, la démission de l’Etat dans la lutte contre l’exclusion sociale et les violences faites aux femmes en général, et particulièrement pour celles accusées de sorcellerie. Après plus d’un demi¬ siècle de lutte contre ce fléau sans succès, il est temps que l’Etat change de stratégie pour mettre définitivement fin aux traitements inhumains, cruels et dégradants que certains citoyens, notamment des femmes, sont obligés de subir de la part d’autres citoyens dans un Etat qui se dit de droit. Une nouvelle vision de la politique de l’Etat dans la lutte contre les injustices sociales s’impose de nos jours, afin qu’à moyen ou à long terme on n’assiste plus jamais à des cérémonies d’ouverture, mais plutôt à des cérémonies de fermeture de ces nombreux centres d’accueil disséminés un peu partout sur le plateau mossi.

De la pertinence du projet

Le 1er septembre 2009, le Centre Delwendé de Tanghin, à l’image de nombreuses maisons d’habitation et d’autres infrastructures privées et publiques, avait été inondé par les eaux des pluies diluviennes. N’eut été l’intervention des habitants du quartier Tanghin, des personnes de bonne volonté et des organisations humanitaires, les eaux auraient emporté les 365 pensionnaires que compte ce Centre dans le barrage n°2. Depuis cette date, qui restera longtemps inoubliable dans la mémoire des Burkinabè, l’emplacement de ce centre qui se trouve pratiquement dans le lit du barrage constituait une préoccupation pour le gouvernement. Ainsi, à la faveur de la décision du Conseil des ministres de déguerpir toutes les maisons d’habitation qui se trouvent dans les zones inondables, le MASSN a obtenu des ressources auprès du Fonds de Solidarité créé a cette occasion, pour construire un Centre en vue de délocaliser celui de Tanghin.

Ce nouveau Centre est situé dans le village de Sakoula à une dizaine de kilomètres de la ville de Ouagadougou après le cimetière de Toudbwéogo. C’est ce Centre qui fera l’objet d’une cérémonie officielle d’inauguration, placée sous le très haut patronage de Son Excellence Monsieur le Premier ministre, le 15 novembre 2011 à l’occasion du mois de la solidarité. A la question de savoir si la construction de ce Centre est une bonne chose, je dirai oui. Car aucun homme sensé et a fortiori, un gouvernement responsable ne voudrait avoir sur la conscience, la mort de pauvres vielles femmes emportées par des eaux de pluie. Il faut donc les caser quelque part avant que l’irréparable ne se produise.

L’ensemble des discours qui seront prononcés par les autorités au cours de cette cérémonie vont donc :
- Faire les éloges du MASSN pour avoir eu l’initiative du projet et l’avoir conduit à bon port ;
- Magnifier la solidarité nationale et internationale grâce à laquelle les ressources ont été obtenues pour financer la construction du Centre ;
- Exprimer les préoccupations du gouvernement par rapport au phénomène de l’exclusion sociale et des violences faites aux femmes ;
- Exprimer la compassion et la solidarité du gouvernement quant au sort des pensionnaires ;
- Promettre de prendre les mesures appropriées pour mettre fin à ce fléau ;
- Promettre de mobiliser des ressources complémentaires pour améliorer le cadre de vie ;
- Inviter les pensionnaires à faire un bon usage de ce joyau ;
- Etc. Au total, on assistera à une belle cérémonie ponctuée de discours et d’applaudissements, mais le sort des femmes victimes d’exclusion sociale et de violences du fait des accusations de sorcellerie ne connaîtra pas une amélioration du fait de l’absence d’une volonté politique clairement affichée.

De la démission de l’Etat

Parmi les multiples violences faites aux femmes au Burkina Faso, les actions de lutte les plus visibles portent généralement sur les Mutilations génitales féminines (MGF) et les accusations de sorcellerie. Concernant les MGF, on peut affirmer sans risque de se tromper qu’il existe une politique. En effet, à travers le Comité national de lutte contre la pratique de l’excision (CNLPE), un travail important se fait sur le terrain et des dispositions légales ont été adoptées avec pour objectif d’éliminer totalement cette pratique. Sur demande, le CNLPE peut présenter des statistiques montrant l’évolution des résultats à travers les différentes actions menées sur le terrain. Quant aux accusations de sorcellerie, je n’ai pas connaissance d’une volonté politique de l’Etat clairement affichée pour mettre fin à ce fléau. Le sentiment général qui se dégage est que l’Etat ne fait que gérer les conséquences de ce fléau au lieu de prendre les mesures appropriées pour mettre fin à cette cruauté humaine.

Depuis plus d’un demi-siècle que des organisations de la société civile, des confessions religieuses ainsi que des personnes de bonne volonté luttent contre ce fléau, des centres d’accueil continuent de se construire sur le terrain, et ceux qui existent refusent du monde faute de place pour accueillir les personnes accusées de sorcellerie. Le MASSN peut-il présenter des statistiques montrant l’évolution à la baisse du nombre de personnes accusées de sorcellerie, de par son action propre ou en collaboration avec d’autres départements ministériels ou avec les organisations de la société civile ? Selon une étude menée par l’Association ADRA en mars 2006 dans les Centres d’accueil Delwende et Paspanga situés dans la ville de Ouagadougou, 99,79% des pensionnaires sont de l’ethnie majoritaire mossi.

Elles viennent notamment des provinces du Kourwéogo (chef- lieu Boussé) avec 31.0%, du Passoré (chef- lieu Yako) avec 22,30, de l’Oubritenga (chef-lieu Ziniaré) avec 13.9%, Sanmatenga (chef-lieu Kaya) avec 9,4%, Bazèga (Chef-lieu Kombissiri) avec 7,6%, Boulkiemdé (chef- lieu Koudougou) avec 7,2%, du Kadiogo (chef-lieu Ouagadougou) avec 5,9%. Viennent ensuite les provinces du Zoundwéogo, du Bam, du Kourittenga, et du Yatenga. Selon la même étude, seul 10% des personnes accusées et bannies pour cause de sorcellerie, arrivent à trouver refuge dans les différents Centres d’accueil. Ainsi donc, consciemment ou inconsciemment, et sans tenir compte des décès qui sont enregistrés chaque jour dans ces Centres, nous sommes tous complices d’un génocide qui ne dit pas son nom. Oui, par notre silence, nos peurs, nous sommes individuellement et collectivement responsables de génocide à l’égard de milliers d’hommes et de femmes pauvres et sans défense, à qui notre société dénie tout simplement le droit à la parole, le droit à la présomption d’innocence, en un mot, le droit à la vie.

La nécessité de changer le fusil d’épaule

Etant un défenseur des droits fondamentaux de la personne humaine, mon engagement dans la lutte contre l’exclusion sociale et les violences faites aux femmes, notamment le cas des femmes accusées de sorcellerie, m’a donné la conviction que l’on peut éradiquer très rapidement ce fléau à la seule condition que l’Etat accepte de prendre les mesures administratives et juridiques appropriées d’une part, et d’autre part qu’il puisse affirmer son autorité. Concernant les mesures administratives, il s’agit d’instructions fermes à donner à tout l’appareil administratif aussi bien déconcentré que décentralisé pour interdire toutes les pratiques coutumières et traditionnelles qui portent atteinte aux droits et à la dignité de la personne humaine.

Les mesures juridiques sont les textes législatifs et règlementaires qui érigent ces pratiques en infractions pour permettre aux magistrats de les réprimer. L’affirmation de l’autorité de l’Etat se traduit par la mise à la disposition de l’administration de moyens nécessaires pour faire respecter le droit. L’expérience a montré que si l’administration publique est frileuse, si elle n’est pas engagée aux côtés de la société civile pour accompagner ses actions, les résultats seront mitigés quelle que soit la qualité de la mobilisation sociale. La Déclaration universelle des droits de l’Homme et la Constitution du Burkina Faso, reconnaissent à toute personne le droit à la liberté de penser, de conscience et de religion.

Toutefois, l’on ne saurait tolérer que dans un Etat de droit, une personne ou un groupe de personnes, sur la base de ses croyances ou de ses convictions religieuses ou culturelles, viole impunément les droits des autres, ou se fasse justice soi-même. Si ces femmes qu’on accuse de sorcellerie ont effectivement commis des crimes ou attenté à la vie d’autrui, elles doivent être jugées et punies conformément à la loi en vigueur au Burkina Faso. Leur place ne devrait pas être dans des Centres d’accueil mais dans des prisons. Il est donc nécessaire de respecter les droits humains au Burkina Faso et surtout d’accorder une attention particulière aux droits des personnes âgées, démunies et sans défense.

Drôle de solidarité

L’inauguration de ce nouveau Centre d’accueil des femmes accusées de sorcellerie au milieu du mois de la solidarité devrait interpeller tout un chacun sur le sens que l’on donne au terme « Solidarité ». La solidarité au vrai sens du terme, c’est de donner à autrui ce dont on a besoin soi-même. Toutes ces femmes qui se retrouvent exclues de leur village, de leurs familles, qui ont abandonné leurs enfants, qui ont été flagellées et torturées, qui ont vu leurs maisons détruites et incendiées, leurs maigres revenus spoliés, ont tout simplement besoin de vivre comme nous, dans la dignité, avec leurs familles et leurs enfants. Elles ont des droits et des devoirs, et elles veulent que ces droits soient respectés afin qu’elles puissent également contribuer, à leur manière ,à la construction de ce pays.

Les médias font assez régulièrement l’écho de généreux bienfaiteurs, tant de l’intérieur que de l’extérieur, qui inondent les Centres d’accueil de multiples dons. Malgré leur utilité, ce ne sont pas ces dons humanitaires en argent, en vivres et en vêtements, qui mettront fin à ce fléau. Il faut avoir le courage de se regarder en face et prendre les mesures appropriées pour mettre fin à ces pratiques culturelles et traditionnelles qui portent gravement atteinte aux droits de l’Homme et à la dignité de la personne humaine.

Conclusion

Je voudrais conclure cet article par un rêve qui m’habite. Ce rêve est de voir la fin des violences et des exclusions sociales pour cause de sorcellerie au Burkina Faso, et la transformation des fameux Centres d’accueil existants en Centres de loisirs et de détente pour personnes âgées, où la jeunesse ira côtoyer la sagesse et boire à sa source. Ce rêve, je voudrais le partager avec tous les citoyens du Burkina et plus particulièrement ceux qui occupent les plus hautes fonctions de l’Etat, car il leur appartient de donner les orientations et la vision nécessaires pour faire du Burkina une société de justice, de paix où les droits et la dignité de la personne humaine sont respectés.

Un grand penseur contemporain disait que "l’on reconnaît l’humanité d’une société par sa capacité de protéger ses couches les plus vulnérables."

François de Sales BADO Secrétaire national de la Commission épiscopale justice et paix, Chevalier de l’Ordre national E-mail:frbado@yahoo.fr Tél. : 70 25 73 55

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 25 novembre 2011 à 08:42, par Le "Veilleur" En réponse à : FEMMES ACCUSEES DE SORCELLERIE : "Le symbole de la démission de l’Etat"

    Très bel article. Pour vous dire vrai, j’ai toujours été sidéré de constater que 99,99% sinon 100% des victimes de ce phénomène ne sont que des femmes. Comme pour dire qu’il ne peut y avoir d’hommes sorciers même si je ne crois pas à la sorcellerie du genre mangeuse d’âmes.
    Et pour la lutte contre ce fléau, à mon avis, il n’est pas besoin de s’asseoir élaborer une politique avec des visions, des plans d’actions et des instances de pilotage de cette politique ; il suffirait bien sûr en travaillant à sensibiliser largement sur le phénomène, à entreprendre des actions vigoureuses du genre emprisonnement massif et systématique avec jugement de tous les instigateurs de ce phénomène. Je suis convaincu que ces actions mettront de l’eau dans le vin de tout un chacun.

  • Le 25 novembre 2011 à 09:58, par Kelguinka En réponse à : FEMMES ACCUSEES DE SORCELLERIE : "Le symbole de la démission de l’Etat"

    Bravo monsieur ! Vous êtes bénis parmi les millions de burkinabè car vous avez encore un coeur là où nous la majorité, nous avons une pierre. C’est juste une manière de convenir avec vous que le Burkina va mal. En effet, nous assistons honteusement à l’émergence d’un Burkina où tout se résume au matériel. On n’a plus de coeur pour son prochain. Et, ce qui est plus inquiétant, cette situation est en phase d’être institutionaliser car, il plus courant de voir nos autorités politiques faire le prodada d’un jeunes entrepreneurs qui s’est vite enrichi peu importe la manière que de les voir féliciter et encourager quelqu’un qui travail dans l’ombre pour réhabiliter ses semblables victimes de notre propre injustice.
    Cela vous paraîtra invraissemblable mais, depuis l’inauguration du fameux nouveau centre, je me pose beaucoup de question sur notre société. En fait, ces grandes mères n’ont pas besoin de notre pitié. Elles ont plutôt droit à notre amour. Alors moi qui ne suis pas encore marié, je souhaite un jour me marier en compagnie de ces vieilles avec qui je vais partager mon modeste repas de ce jour. Je rêve de cela car ma grand mère qui n’est plus de ce monde représente tout pour moi. Comme mon souhait était qu’elle assiste à mon mariage et qu’elle n’est plus, je pense qu’elle sera contente là où elle est de me voir avec ces semblables qui vont la représenter. Priez Dieu pour moi pour que quand j’aurai les moyens, je puisse réaliser mon rêve avec vous comme invité.
    Que Dieu nous bénisse.

    • Le 25 novembre 2011 à 18:29, par François de Sales BADO En réponse à : FEMMES ACCUSEES DE SORCELLERIE : "Le symbole de la démission de l’Etat"

      La commission Justice et Paix organise chaque année une journée de solidarité avec ces femmes. Au cours de cette journée dont le thème est "briser les peurs pour favoriser la réinsertion sociale", ceux qui le désirent sont invités à adopter ses femmes à travers un tirage au sort. Les femmes dont les noms sont tirés au sort deviennent les mamans de ceux qui les ont choisies. Le rôle des adoptants (enfants) est de passer de temps en temps leur dire bonjour, causer avec elles en vue de briser l’isolement et de leur donner un grain d’amour. A ce jour, plus d’une centaine de femmes ont été adoptées par des personnes de bonne volonté. prenez attache avec la Commission Épiscopale Justice et Paix si cela vous intéresse.
      Email:cjp-burkina@yahoo.fr Tél : 50 30 15 85/50 31 01 61.
      fasse Dieu que vous puissiez trouver rapidement l’âme sœur afin que nous puissions partager votre joie entourés de nos mamans.
      Cordialement.

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