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NOUVELLE DU VENDREDI : Bonjour Nadine

Publié le vendredi 25 novembre 2011 à 01h14min

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Elle lui enfila une marinière à sa taille, puis le mit sur le dos de Poko, une fillette du voisinage, âgée d’environ dix ans. A celle-ci, la nouvelle mère demanda d’aller à ses jeux, le temps que la voiture des visiteurs agaçants fût partie. L’engin incriminé venait de boucler une sorte de tour d’honneur effectué à vive allure. En guise de tour, il s’était agi d’aller et de venir alternativement sur les deux routes dont l’intersection était la cour de l’école, déserte en ce jeudi matin.

- Et si quelqu’un te demande de qui est l’enfant, tu lui dis que sa mère est une étrangère qui vient d’arriver chez vous.
- Mais les gens savent que tu es revenue de la ville avec ton bébé, remarqua Poko.

- Ecoute, l’interpella-t-elle, la naissance de ma fille ne regarde que moi ! Les gens peuvent me rendre visite s’ils le désirent, mais je ne permettrai à personne de jaser sur une si précieuse grâce divine. Eux, ils m’en ont déjà fait voir de toutes les couleurs… Afin que le bébé fût solidement installé contre le dos de sa porteuse, la mère employa un pagne dont elle relia les extrémités sur la menue poitrine de Poko.

- Maintenant, vous êtes prêtes pour les jeux ! Cela fut dit avec l’assurance que la fillette, ordinairement si obéissante, garderait sa langue face aux prévisibles indiscrétions. Bientôt, des groupuscules se formeraient sous les effets conjugués de l’angoisse et de la curiosité. Tandis que les uns chercheraient à identifier les occupants de la voiture, les autres supputeraient sur la personne du "délinquant" ainsi recherché par les agents de police. Son expérience personnelle lui enseignait que souvent, le malheur surprend dans le choix de ses cibles. Aussi, Nadine se retrancha-t-elle dans la maison partagée avec Bouba, son époux de vigile, contraint à passer ses nuits dans les périmètres de la Mutuelle des agriculteurs. Sitôt rentré à six heures, il était ressorti pour un enterrement qui, à ce moment-même, ne pouvait être épargné du remue-ménage qui s’annonçait.

Ces-gens de la voiture, Nadine ne se doutait aucunement qu’ils fussent tentés de faire des ronds dans les environs du cimetière, dans l’espoir de détecter un comportement suspect parmi les creuseurs de la fosse. Sait-on jamais. Les enquêtes policières flirtent avec toutes les apparences ; de l’ordinaire à l’extravagant en passant par la comédie. En l’occurrence, les hommes de tenue détenaient le pouvoir de reconnaître le cadavre, de passer un interrogatoire musclé au petit monde rassemblé à la maison et au cimetière. « Pourvu qu’ils n’aillent pas brutaliser mon pauvre Bouba. » Elle ferma la porte à double tour et se mit en prière. Mais les soucis eurent raison de ce moment de piété.

Pour sûr, les gens épiloguaient depuis seulement la veille au soir, lorsqu’ils la virent descendre du car en provenance de Zinda la belle. A propos de la grossesse, leurs soupçons allaient du Pasteur à l’alphabétiseur, sans s’intéresser à Bouba à qui il fut longtemps renié la capacité de procréer. De l’avenir de leur foyer, ils prédisaient tout, sauf un lendemain. Enfin, de l’innocent qui venait de naître, ils attendaient une calamité. Nadine s’avisa tout de même que la visite de la police apportait de l’eau au moulin des mauvaises langues que Dieu seul avait la capacité de recenser dans ce village rompu à l’art de la médisance. Déjà, culturellement malhonnêtes, les gens s’efforçaient d’ignorer que cet enfant-là était véritablement une grâce arrachée au Seigneur à coups de prières et larmes.

C’est pourquoi la plupart de ceux qui la virent rentrer chez elle auréolée de son nouveau statut de mère, orientèrent leurs regards ailleurs. Certains laissèrent percevoir leur malaise. Pour le prénom de l’enfant, elle préparerait des propositions. Afin de soumettre son goût au discernement du Seigneur, elle se dota d’un mode de recherche des moins hasardeuses : trier dans la fournée des saints hommes de la Bible. D’abord, dans le Nouveau Testament. Jean, le disciple chouchou du Christ présente une garantie de sainteté non, discutable. Mathieu, ex-collecteur d’impôt, non, il a abondamment flirté avec le péché. Joseph, « vendu par ses frères », ou père adoptif du Christ, invoque par ailleurs le personnage qui aida le Christ au cours du portement de la Croix. L’Ancien Testament ensuite.

Tant d’autres prénoms furent passés en revue : Elisée, Job, Esdras… et ce fut Salomon, devenu à jamais sous tous les cieux l’icône de la sagesse, qui trouva grâce aux yeux de la jeune mère. Oui, si Bouba, revenant de l’enterrement saint et sauf n’y trouvait pas à redire, il y aurait un petit Salomon sous leur toit. Le bruit de la voiture se rapprocha et Nadine à genoux, du fond de la chambre proclama des vœux, avec force émotion et sincère ferveur. La voiture repartit en vitesse, poussée par une force que ses occupants ignoraient. Sans doute. Par quatre fois, la nouvelle mère eut raison de la visite des policiers. Alors, elle se réconforta dans l’idée que l’histoire découlait certainement d’un plan d’amour de son Dieu pour elle.

Ce fut la prophétie du Pasteur qui marqua résolument le début de la manifestation de la réponse de Dieu à ses lamentations commencées depuis une décennie, soit deux ans après son mariage avec Bouba. A jamais, le film de la réponse de Dieu resterait gravé dans la mémoire de Nadine. Au cours d’une prière d’intercession bien préparée, l’homme oint par Dieu entra dans une de ces transes que lui connaissaient tous ses fidèles, surtout les néophytes. Dans le monde auquel il accéda, des paroles prophétiques et des visions lui furent accordées et dont il obtint du même coup l’autorisation de publication. Alors, de sa bouche faite pour dire vrai et juste, s’échappèrent une fournée de dires. Ce jour-là, il revint à chaque fidèle d’appréhender en toute sagesse sa part de message, d’en prendre la mesure à travers un comportement digne.

Mais, des jours après, profitant de la fragilité de la chaire, le doute visita l’esprit de Nadine. Intrépide, elle puisa dans l’arsenal de la foi l’arme de combat et vainquit la pensée calamiteuse. Par la suite, tout se confirma grâce à la fréquence d’une parole jaillissant de la bouche du Pasteur à l’occasion des prières auxquelles participait Nadine. « Ma fille, tu habites un corps vivant, sois sereine ; seule ma volonté sera faite. Mais je t’exhorte à prier abondamment. » La parole fit l’effet d’une naissance dans la famille ; Bouba se mit à faire preuve d’un enthousiasme jamais soupçonné de lui. Quant à son épouse, elle passa dès lors le plus clair de son temps au temple.

- Toi, tu ne vas jamais à la maternité pour les consultations prénatales, remarqua un jour la mère de Poko.
- Essaie de me comprendre, lui suggéra l’épouse de Bouba, j’ai ouï dire que les produits reçus par les femmes, soit lors de ces consultations, soit pour la contraception, contiennent de quoi rendre infécond ou avorter. En attendant que tu me convainques du contraire, je vais te dire que ma grossesse est purement une grâce que je dois entretenir par la foi.
- Et que ferais-tu des éventuelles complications ?
- Pardon, toi, ne me pousse pas au doute. En effet, plus jamais Nadine ne se douta qu’elle fût enceinte. Autant elle prépara l’accouchement dans le secret de sa maison. Vendant arachides grillées, soumbala, et piment sous le gros arbre à l’entrée de leur cour, elle acheta berceau, layette et produits de maquillage au cas où le Seigneur lui offrirait une fille. Par ailleurs, elle se garda des fréquentations et autres actes compromettants : rituels païens, pharmacopée occulte, palabres, disputes, cérémonies populaires quasi athées…

Entre-temps, le film de ce long moment fut interrompu. Nadine qui entendait entrer sereinement dans sa nouvelle vie de mère fut perturbée par le rapprochement d’un vrombissement imaginaire de voiture. Un silence extérieur la rassura. L’équipe avait-elle appréhendé un tueur avant de retourner, avait-elle élu domicile chez un suspect ? Tout lui sembla possible ; la situation restait donc susceptible de générer une surprise, voire un scandale. Elle ne put s’empêcher d’imaginer les missionnaires marchant n’importe où, cherchant leur chemin où le mil récolté avait fait place à un terrain parsemé de souches de tiges et d’anciennes butes. Marchant tels des forcenés, les hommes de tenue allaient dans toutes les directions, sauf dans celle qui les conduirait devant la porte de tôle ondulée derrière laquelle des prières alternaient avec le film d’une grossesse.

Dans la logique des séquences, il y eut des omissions sans doute constituées de faits mineurs, parfois sans liens déterminants avec la grossesse. Arriva vite la séquence du travail qui se situe neuf mois et demi après la prophétie du Pasteur. Nadine se revit assise à l’arrière de la bicyclette de Bouba, alors pressé de la conduire à la station de l’unique car en partance pour la ville ce jour-là. Elle connaissait bien la ville pour y avoir séjourné en tant qu’aide familiale chez un oncle maintenant à la retraite. Justement, la famille de cet oncle la vit arriver un soir, sereine mais d’une physionomie que fit soupçonner l’objet du voyage. Du reste, elle était parvenue, des mois bien avant, à mettre la puce à l’oreille de la mère de famille.

Ce qui accéléra les séquences suivantes : repas, consultation à la maternité du Centre hospitalier régional, examens, changement de service pour emprunter un couloir par lequel nombre de malades allaient allongés dans des civières, destination : le bloc opératoire. Ce qui se passa ensuite échappa à la conscience de Nadine. Toujours est-il que le lendemain, quel ne fut son désarroi, lorsque, en lieu et place du bébé tant espéré, il lui fut montré un kyste ovarien de quatre kilogrammes ! Elle se souvint en revanche de ce qui advint quand, après quarante-huit heures, elle demanda le droit de prendre de l’air dans le couloir. Elle s’avança poussée dans la direction nord par quelque instinct. L’instinct en question l’orienta vers la maternité, précisément devant la porte au-dessus de laquelle se lisait "suite de couches".

Puis, il lui dicta d’entrer, de passer deux portes ouvertes. A la troisième porte, elle comprit qu’elle devait y entrer, aller droit vers un lit dans lequel était assoupie une jeune femme aux côtés d’un bébé rose. Sa main se porta sur ce bébé qu’elle embrassa longuement sans être vue. Il lui vint ensuite dans la tête l’idée de porter le bébé sur son dos avec le pagne qui l’emmaillotait, de se diriger avec lui vers le portail, sourire indiscret. Enfin, elle ne put résister à la tentation de prendre un taxi en direction de la gare routière. Et, pour en finir avec cette vie sans enfant, survint l’acte majeur de partir. Malin qui devinerait la suite du film ! En attendant, se rappela Nadine, si Bouba, revenant de l’enterrement saint et sauf n’y trouvait pas à redire, il y aurait un petit Salomon sous leur toit.

Après deux heures d’investigation agitée, les policiers changèrent leur fusil d’épaule en garant la voiture à l’ombre du hangar de la Mutuelle des agriculteurs. De là, ils se remirent à sillonner le village, bientôt suivis par une meute de gosses difficilement ébranlables. Dissuasions en tous genres, gifles et injures n’y firent rien, la bande atteignit la vingtaine. Les habitants se mirent à se délecter du spectacle donné par les deux promeneurs trimbalant une cohorte de petits observateurs en mal d’occupations. Maintenant, les deux sections de marcheurs suivaient les venelles ; la seconde freinait lorsque la première ralentissait et jetait un coup d’œil dans les concessions où la première s’entretenait avec les habitants.

Poko se mesurait à la marelle avec une amie lorsque, entrainée par les deux adultes, la cohorte d’enfants de sa classe d’âge arriva à sa hauteur, chantant un air scolaire et marchant au pas. D’instinct, les deux amies se joignirent au groupe. Leurs voix communièrent à l’euphorie de la procession insensée, tandis que leurs pieds trouvèrent le pas convenable. Elles parcoururent à peine une cinquantaine de mètres que le cri du bébé sonna comme une fausse note. « C’est pareil même avec les grandes dames », se consola Poko au milieu des regards suscités par cette perturbation.

- Où est sa mère, tonna une voix de policier rodé dans la détection de l’insolite. Il marqua un arrêt net qui influença la cohorte des suiveurs.
- Elle se repose chez elle, répondit Poko.
- Eh bien, elle recevra une correction exemplaire ! Moins de dix minutes après, Nadine fut tirée de l’intérieur de la maison par la meute d’enfants. Poussant la porte, elle reconnut les visiteurs du jour.

Aimé A.H. BEOGO E-mail : aimerbeogo@yahoo.fr

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 25 novembre 2011 à 10:30 En réponse à : NOUVELLE DU VENDREDI : Bonjour Nadine

    Merci cher journaliste. J’avoue que vous écrivez bien dans une aisance qui force l’admiration. Mais sachez que Dieu a fait, fait et fera TOUJOURS des miracles, des vrais ! Soyons vrais, sincères avec lui. Et il n’est pas interdit à un croyant d’avoir recourt à la médecine moderne !

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